dimanche 30 septembre 2012

L'auteure qui lit


Bien assise au fond d’un fauteuil Adirondack, devant un bon feu rougeoyant qui me rappelle qu’on est déjà en automne, je sirote un semblant de cappuccino. Sur le bras de bois, le livre fermé de Sophie Bienvenu, Au pire, on se mariera. Un signet glissé à la page 73.
À me demander si je suis jalouse de ce bouquin. Du succès qu’il a obtenu peut-être. À être contente surtout de pouvoir être encore dehors à ce temps-ci de l’année. J’ai manqué des bouts du printemps et de l’été, des bouts où je devais restée à l’intérieur, où je n’avais pas le goût d’ouvrir un livre, où je ne voulais rien savoir des histoires des autres, où je n’avais pas envie de chialer, de me plaindre, de réfléchir, encore moins de penser. Alors, là je me rattrape, je prends mes deux mains pour compter mes petits bonheurs.
Et puis, le livre de Sophie Bienvenu, c’est un plaisir ou il te dérange? J’admets que c’est un plaisir. Moi qui me targue de vouloir (et à défaut de savoir l’écrire au moins la lire) une langue belle et toute française, bien construite, exempte d’anglicismes, au vocabulaire aussi riche que varié. Me voilà revenue aux années 1980 quand les premiers romans de Michel Tremblay ont commencé à paraître. Il écrivait en joual, il écrivait comme on parlait, même dans la narration. Ça m'a pris dix ans avant d'aimer ses textes. Faut dire qu'entre-temps, il avait peaufiné son style limitant le joual aux dialogues. Sophie Bienvenu écrit aussi comme on parle aujourd’hui, ici, au Québec. Et notre langue est celle-là aussi. Nombreux (souvent deux par page) sont les « genre » et « anyway » et ça ne m'agace pas trop.  La différence, c'est que ça ne me prendra pas sept ou huit livres de ce style avant d'aimer. Probablement moins intransigeante qu'à 20 ans quand j'étais puriste.
Dès les premières pages de Et au pire on se mariera, j'ai accroché. Parce que l’histoire est bonne, elle est bien menée, la montée dramatique est efficace. Même si je ne me reconnais pas dans le personnage, cette adolescente qui couche avec le premier venu, qui haï sa mère, qui pose des gestes qui sont à cent lieux de moi, je la trouve vraie, cette Aïcha. Voire pathétique.
Je l’ai déjà dit, une auteure ne peut pas lire un livre comme une lectrice normale. Pour oublier que je suis auteure, pour oublier que j’aurais aimé avoir écrit une telle histoire, pour oublier que je ne l’écrirai jamais, il faut vraiment que je devienne humble, que j’admire, que je respecte, que je me laisse aller, que je laisse tomber, que j’accepte de ne pas être la seule à écrire, ni la meilleure. Ne me demandez pas non plus de faire la critique d’un livre, je peux tout juste donner mes impressions et c’est certain que celles-ci seront toujours en lien avec l’auteure que je suis (ou veut être) et non la lectrice qui s’adonne à son loisir préféré.
En fait, à 19 ans, j’ai osé. Je me rappelle cette urgence de tout dire. La vérité surtout. Livrée toute crue, garrochée. Ils ont été publiés ces mots modernes, ces petites phrases courtes, isolées sur une ligne pour être fortes et efficaces. Des mots que je n'ai jamais relus. Écrits dans un style que je n'ai jamais repris par la suite. Le genre que personne ne comprend, que si je les relisais, je ne les comprendrais peut-être pas non plus. Des mots avec lesquels je voulais me démarquer, mais qui n’ont ébranlé personne. Des mots oubliés aussitôt publiés, mais que j’avais besoin d’écrire.
Voilà pourquoi — peut-être — est-ce que j’aime ce petit récit de Sophie Bienvenu (roman ou récit, je ne partirai pas une polémique sur ce sujet) : il me rappelle que moi aussi j’ai été jeune, rebelle, irrévérencieuse, amoureuse, rejetée et oh! combien contraireuse.

(Coïncidence: presque en même temps j'ai lu, en livre numérique, Testament de Vicky Gendreau: même style, même langage, même genre de personnage.)

(Illustration du livre emprunté au site de l'éditeur>>>)

7 commentaires:

  1. Pour la lecture, c'est reparti mon Kiki ! Oups.... je sors mon langage populaire québécois ! Pourquoi pas. On peut traiter ce langage d'outil quand on a la possibilité d'écrire autrement, c'est à dire un français universel. Ça me fait d'ailleurs penser à Picasso, il fallait qu'il sache très bien dessiner au départ pour arriver à ses formes "déformées".

    J'ai moi aussi aimé ce roman même si mon humeur du début ne s'accordait pas, il est venu me chercher là où j'étais.

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  2. Venise, je pense aussi que les auteurs, en fait tout le monde, peuvent très bien écrire dans plusieurs styles, tout comme ils peuvent toucher plusieurs genres littéraires.

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  3. Oui, ce sentiment de vouloir être celle qui a écrit ce livre, ça m'est familier. Ça arrive lorsque j'admire vraiment l'auteur et l'oeuvre. Et pourtant certains genres, ce n'est pas moi, alors ça aide à m'en détacher et à seulement apprécier.

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  4. Hélène: je n'écrirai probablement jamais dans ce style, mais j'admire qu'elle ait osé et je suis contente qu'un éditeur ait accepté. Et puis je me suis rappelé que moi aussi j'ai déjà osé écrire de façon moins conventionnelle.
    Il est vrai que la jalousie ou l'envie dure(nt?) moins longtemps quand on réalise qu'on ne peut pas faire comme... Il faut cesser de vouloir faire comme... Ça doit être le Québécois patenteux en nous qui, au lieu d'admirer l'oeuvre de l'artiste, se dit qu'il est capable d'en faire autant.

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  5. Je découvre votre blog suite aux soucis rencontrés sur blogspot :-)
    J'aime votre approche des choses, votre sincérité par rapport à votre ressenti de lecture, ça n'a rien d'académique et je n'aime pas l'académisme ...
    Mes livres, je les choisis dans les rayons des bibliothèques, les miens ou ceux des autres, au hasard d'un nom, d'un titre, d'une couverture...ce qui ne fait pas nécessairement le bonheur des écrivains, j'avoue.
    J'aime l'intelligence et la spontanéité. Je vous ai lue ici avec plaisir, merci !

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  6. Merci de votre passage, Saravati. Ça fait toujours bizarre cette distance supprimée, via Internet.

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  7. Bonjour Claudel!
    Je ne sais pas si je suis d'accord avec toi qu'une auteure lit différemment qu'une lectrice "normale". Tout le monde lit avec son propre prisme. Moi, par exemple, je lis sûrement différemment en étant prof que "non-prof" ou femme et non homme, etc.
    Quand je suis plongée dans un bon roman, c'est la lectrice qui lit! Pas l'écrivaine, pas la prof! Ceci dit, quand le roman est moins fluide, quand les défauts m'apparaissent... alors peut-être en effet que le "J'aurais fait ça autrement", "comment cela a-t-il pu passer à la direction littéraire?", etc. surviennent...
    Mais quand c'est bon... On plonge!
    Contente d'être passée te lire. Ça faisait un petit bout de temps!

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Les anonymes: svp petite signature