lundi 9 mai 2016

Écrire sa mère

Encore une auteure qui me jette par terre. Elle a écrit sa grand-mère, sa mère et elle, en tant que mère, aussi.
Des phrases que je lirais à voix haute comme un rap, comme un slam, comme Speak White.
Le sujet des enfants abandonnés, de La femme qui fuit : un sujet puissant, mais dans le choix des mots, dans le choix même de la ponctuation, des répétitions, c’est le style qui donne toute sa force au roman. Le « tu » qui frappe. Les courts paragraphes qui martèlent.
Le format aussi que j’ai toujours aimé tenir dans mes mains.
Me touche d’autant que j’ai connu la mère de l’auteure, quand j’avais 16 ans et que nous étions au même collège. Rencontre de quelques heures dont je garde un souvenir indélébile, et ce, même si son nom n’était pas devenu public par la suite.

Écrire sa mère.
Hier, fête des Mères. Je fêtais plutôt l’anniversaire de mon frère, comme depuis des années. Et puis ma mère, elle n’était pas là, j’ai plutôt fêté l’anniversaire de sa mort la veille, le 7 mai. Morte il y a quatre ans, en 2012. Je ne suis pas prête d’oublier la date, j’avais une perruque sur la tête, entre deux traitements de chimiothérapie.

Je ne suis pas mère, mais j’en ai eu une, bien sûr.
J’ai écrit mon père, mais je ne réussis pas à écrire ma mère.
Dans mon prochain roman, il y a Mireille, la mère de Dominique.
Au début de la trilogie, en 2004, je croyais écrire sur ma lignée zigzagante de Bridget à Jenny, à Annie, à Michelle jusqu’à moi. Donnant la parole à chacune. Je n’ai pas pu. Une fois rendue à mon grand-père que j’ai connu, les visages sont devenus flous, les paroles confuses et les lieux ont bougé. Je n’ai entendu que leurs silences et je n’ai jamais su leurs secrets.
J’ai écrit une femme, une épouse une sœur et même une mère, mais pas la mienne.
La mienne m’appartient à jamais. De toute façon, chacun a la sienne, même les enfants d’une même famille ont souvent l’impression de ne pas avoir eu la même.
Le souvenir n’est pas la vérité, mais qui se soucie de la vérité quand il est question d’émotions qu’elles soient bonheurs ou blessures, amour ou ressentiment.

Dans mes romans, j’écris des émotions. Je ne crois pas que j’écrirai ma mère, jamais. Probablement parce que je ne l’ai jamais tout à fait comprise. Peut-être parce que je suis une fille, une sœur, mais pas une mère.

(Le livre dont il est question, c'est, vous l'avez reconnu: La femme qui fuit d'Anaïs Barbeau-Lavalette aux Éditions Marchand de feuilles. J'en reparlerai sûrement quand je l'aurai terminé)

6 commentaires:

  1. Merci pour ce texte d'une grande beauté et d'une impressionnante lucidité.

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  2. Gentil de prendre le temps de m'en parler... entre deux boites à ranger!

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  3. Avant, je croyais que je comprendrais mieux ma mère en devenant mère à mon tour. Maintenant, il me semble que je la comprends encore moins. Moi non plus je ne pense pas l'écrire un jour. Surtout qu'elle aussi a emporté ses secrets.

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  4. Ah! bon, Gen, tu me rassures. Finalement c'est une question de tempérament.
    Je comprenais mieux mon père, mais je m'entendais mieux avec ma mère. C'est possible, ça?
    N'empêche que pour les romans, je m'en suis inspiré un peu. Comme de toutes les personnes qui m'entourent.

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  5. Peut-être que je comprendrais mieux ma mère si je pouvais lui parler à présent, comparer mes expériences de mère, mes réflexions avec les siennes. Présentement, je peux seulement mesurer nos différences.

    Et oui, je pense qu'on peut s'entendre très bien avec quelqu'un qu'on ne comprend pas du tout : suffit que cette personne nous présente une façade agréable.

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