vendredi 10 novembre 2017

Question du jour: suis-je la seule?

Hier soir un peu avant 22 heures, orage violent : éclair qui déchire la nuit noire, coup de tonnerre en même temps. On dirait une explosion. Le vent se lève, impression que la bourrasque arrache les planchettes de vinyle du mur nord, la pluie tombe drue. On entend l’eau tomber dans la gouttière d’aluminium, un supplice.

Pourtant on aura de l’électricité jusqu’à l’aube. Je le sais parce que je me suis levée à 5h30. À 6 heures, tous les clignotants des réveils-matins, cuisinière, four micro-ondes, grille-pain, ordinateurs sont éteints. Il fait encore 15 dans la maison. Eh oui, la nuit, chez nous, les thermostats sont à 15.

À 7 heures, je lève et je vais faire un feu dans notre vieux poêle à combustion-plus-lente-depuis-belle-lurette qu’on garde justement pour les pannes prolongées. Je pense à aller chercher des bûches de bois franc à l’extérieur, mais rien qu’à l’idée d’affronter le vent et le ressenti de moins 15, je me contente des blocs de bois mou entassés au sous-sol.

Sur notre téléphone à fil accordéon acheté justement aussi pour les pannes prolongées, j’appelle Hydro-Québec. « Consultez notre site pannes.hydro.quesbec.com pour connaître la situation actuelle du réseau », « consultez votre téléphone intelligent pour connaître l’heure prévue de rétablissement du service ». « Téléchargez l’application d’Hydro-Québec pour suivre l’évolution des pannes et restez informé grâce aux notifications » 

Ben oui, pis si vous n’avez pas de téléphone intelligent?

Encore heureux, après toute cette promotion — numéro d’un vendeur avec ça? — on m’informe que la panne qui me concerne a déjà été signalée, mais qu’on n’est pas en mesure de me dire quand le service sera rétabli.

On sort le kit de camping : petit réchaud, ce sera bagel froid et café dans Bodum pour ce matin.

Pas de Presse+, pas de courriels ni de Facebook ni de blogues à lire puisque chez nous : pas de téléphone intelligent + pas d’électricité = pas d’Internet. Il reste quand même la liseuse et une bonne pile de livres papier, mais je n’ai pas la tête aux histoires des autres. J’attends. Je suis choquée contre la nature. J’invective tout le monde et personne de ne pas prendre soin de la planète qui se rebelle de plus en plus souvent. Pendant quelques instants, je pense à arriver au 21e siècle et me procurer un téléphone intelligent comme si ça allait me ramener à une matinée normale et sans problème. Pourtant, je me trouve beaucoup plus prudente d’avoir gardé mon vieux poêle à bois, un petit tas de bûches au sous-sol, un réchaud, une bonbonne de propane, une cafetière Bodum, un téléphone à fil que d’avoir un I-Phone ou Samsung 4,5 ou… à quel numéro est-il rendu?

Retour de l’électricité vers 9 heures.
Et c’est là que me viennent les questions du jour : Tout le monde a-t-il vraiment un téléphone intelligent? Et de plus, tout le monde a-t-il vraiment un forfait Internet sur son téléphone intelligent?

mercredi 8 novembre 2017

Neuf ans de fol amour

Claude Lamarche, blogue

Neuf ans

Un an de plus, 55 billets de plus, moyenne d’un par semaine, mais à peu de mots et de chiffres près, je pourrais réécrire le billet du 12 novembre 2016. Sauf que je ne pense plus à la refonte ni à la migration vers Wordpress. Il m’arrive de vouloir de nouveaux lecteurs (je me prononcerais bien un jour sur l’écriture inclusive, mais en attendant sachez que, même s’il n’y paraît pas sur l’écran, dans mon esprit le masculin que j’utilise englobe les deux genres), mais finalement ce ne sont pas eux qui feraient que j’écrirais plus ou mieux, même si c’est quand même stimulant de savoir que ses billets sont lus… et appréciés. Les blogues des autres ne cessent d’être source de plaisir et d’inspiration. Que ce soit ceux des fervents de lecture, des voyageurs, des caravaniers, ou des féministes.

Et malgré la vague des réseaux sociaux et un engouement pour les vidéos (emballement que je n’ai pas ni pour les regarder -- sauf celui d'une amie très chère--  ni pour en créer, je demeure une incurable des mots écrits), je me plais à croire que les blogues ont encore quelques belles années devant nous. Et pas seulement pour promouvoir un produit ou une entreprise à la recherche effrénée d’une place dans les moteurs de recherche.

Bref, permettez qu’après vous avoir remerciés de votre assiduité, je glisse allègrement dans la dixième année qui s’annonce sans grand changement et sans surprise. Année où mes petites craintes de l’informatique me pousseront une fois de plus à être discrète pendant mes voyages. Mais année aussi où l’amour des mots et le besoin de m’exprimer alimenteront certainement ce déjà vieux blogue que j’entretiens comme une fidèle compagne dont je ne saurai plus me passer.

lundi 30 octobre 2017

C'est le cœur qui se desserre en dernier

Qu’ont en commun le roman québécois de Matthieu Simard, Ici, ailleurs, 81 pages et le roman français de Claudie Gallay, Les déferlantes, 425 pages?
La lenteur. Une lenteur fort délicieuse, s'entend.

Non pas dans le temps de le lire, mais dans la lenteur de l’esprit qui lit. Le temps de goûter, de méditer.
Une lenteur douce. Bien loin du rythme effréné d’une série américaine où la quantité des effets spéciaux sont servis à une cadence infernale. Non, une petite musique langoureuse qui permet l’introspection, la méditation. Les belles phrases.
« Entre bientôt et maintenant, il avait un peu d’espace. Et qu’il aimerait se servir de cet espace pour aller voir les oiseaux. »
« Les falaises, c’étaient mes chemins de solitude. Je ne savais plus marcher à deux. »
En commun également : le lieu. Le décor des drames. Dans Ici et ailleurs, un village qui se meurt. Un village où on ne tolère pas les nouveaux, d'où on part. Qui me rappelle le mien, dont je ne suis pas très fière. J’ai encore la tristesse, la déception plus que la colère d’un village divisé, vieillissant, silencieux, désert.
« Le silence est tombé un jeudi comme un goutte de pluie et nous a submergés pendant des années. Les oiseaux se sont tus d’un coup, le grincement  des charnières rouillées, les cris dans la cour de l’école, le haut-parleur côté passager, les feuilles mortes, le vent, plus rien. Le silence. C’était il y a trois ans, loin d’ici.[…] Dans quarante ans il ne restera rien ni le souvenir de nous ni les photos ni la mémoire de tous les disparus ni les notes d’un violoncelle dans les ruines d’une maison centenaire. »
Dans Les déferlantes, un village plein de secrets aussi, un passé douloureux, mais des sentiers que je voudrais parcourir, une lande aux couleurs d’Irlande, des effluves que je voudrais sentir.

Le vent siffle, glisse sur la surface de l’eau, le ciel s’épaissit, la mer se durcit, les bateaux tanguent, les cargos jettent l’ancre. Et les vieux marchent, attendent que la mer leur restitue leurs morts.

Dans les deux, des humains qui souffrent, qui se questionnent, qui ont perdu un enfant, un frère. Dans Ici et ailleurs, on entend la douleur de chacun. Dans Les déferlantes, chacun des nombreux personnages porte un deuil en lui. Une perte. Dans les deux cas, des liens familiaux que l'auteur nous révèle comme un lever de soleil dans un brouillard matinal.

Lenteur de la douleur, aussi, qui la rend plus supportable à lire. Qui la dissout dans les vagues de la mer, dans un ciel quand il revient bleu.
« On croit tous ça, que l’on ne saura plus faire rien sans l’autre. Et puis l’autre s’en va et on découvre qu’n sait faire des tas de choses qu’on n’imaginait pas.
[…] Je lui ai parlé de toi
Comme une épine enfoncée dans le fond de ma chair. Parfois je t’oublie. Et puis il suffit d’un geste, d’un mauvais mouvement, et la douleur revient, tellement vive. […]
On se console aussi avec des larmes. »
J’aurais voulu que l’un soit plus long et l’autre plus court. Mais au final, quand j’aurai tout savouré, je serai rassasiée, repue.

Mon village ne sera pas plus accueillant, j’aurai encore envie d’aller voir la mer au cap de la Hague. Et je cesserai de lire quelques jours comme on regarde quelqu’un à qui on s’est attaché marcher au bout de la rue, au bout du quai jusqu’à ne plus voir qu’un petit point à l’horizon. 
Le temps que le cœur se desserre.

mardi 24 octobre 2017

Il a suffi d'une rivière

Denis Marceau, peuple des rivières, Les déferlantes
Parce que c’était dimanche et que je me méfie de la langueur monotone dominicale.
Parce qu’il faisait beau. Et chaud pour un 22 octobre.
Parce que le bleu du ciel fraternisait avec de légers nuages plus blancs que gris, et rendait le rouge plutôt orangé et le doré plutôt ambré.
Le temps d’un pique-nique au bord de l’eau pour être dehors et se croire en été — tout indien fut-il — encore un peu.
Parce que l’entrée du parc de Plaisance est encore plus invitante depuis qu’elle est habillée de sculptures. Des œuvres d’art qui racontent l’histoire des peuples des rivières. (1)
Celle de Denis Marceau forme une
« pellicule en forme de vague fracassant un mur de pierre [et]illustre les changements qu’ont subis les peuples des rivières de douze mille ans à aujourd’hui. »(2)
Parce que la rivière présente, belle et douce en ce dimanche tranquille
Parce que les outardes en vol s’attardent quelques jours chez nous
Parce que les goélands regroupés aimeraient bien grappiller des restes de pique-nique
Parce que les feuilles colorées s’accrochent encore un peu
Parce que les œuvres d’art sont raconteuses de beauté et d’histoire
Je reste là, muette, observatrice, reconnaissante.
Mon petit bonheur dans les yeux et les oreilles.

Au retour, à la maison, j’ai fait un feu.
Et j’ai lu.

J’ai commencé un nouveau roman, Les déferlantes de Claudie Gallay.
Une histoire qui se passe sur le bord de la mer.
Une ornithologue qui observe les oiseaux, qui vit sa première tempête.
Mais qui, contrairement à moi qui cherche à prolonger son petit bonheur de ce dimanche, elle vivra ou sera témoin d’un petit malheur. Sûrement. Comme il se doit dans les romans. Tout le monde le sait, le bonheur est rarement intéressant dans les romans. Pourtant, les auteurs font tout pour laisser, au moins à la fin, un espoir.
« Les Indiens Hopi disent qu’il suffit de toucher une pierre dans le cours d’une rivière pour que tout la vie de la rivière en soit changée.
Il suffit d’une rencontre ».
Il a suffi d'une rivière, d'une oeuvre d'art, d'un roman, mon dimanche après-midi en fut changé.

vendredi 20 octobre 2017

Nouvelle liseuse, nouvelles autorisations


En haut, logiciel Adobe digital editions, en bas, le livre enfin transféré dans Koboreader
Comme souvent, deux sujets dans un.

En mars 2012, j’avais acheté une liseuse. Une Sony Reader qui, en plus des livres, pouvait contenir de la musique. Elle m’a bien servie et fonctionne encore, sauf que le soir ou la nuit, au lit, elle est complètement inutile. J’aurais pu lire sur ma tablette, sauf qu’après 21 heures, la batterie de la tablette a besoin d’être rechargée. Et sur la tablette, il est tellement facile de délaisser la lecture pour cliquer sur d’autres icônes. Ce dont je ne me prive pas.

Donc, après un peu de recherche et de comparatifs, après surtout m’être assurée que la liseuse pourrait télécharger des livres avec DRM, achat d’une Kobo Aura H2O edition 2.

Ayant de l’expérience, j’aurais cru qu’en quelques minutes, j’aurais réussi à télécharger les romans numériques. Ce fut le cas pour les livres sans DRM, mais quand vint le temps d’emprunter un livre via prêt numérique, ma patience fut mise à rude épreuve.

Les étapes sont pourtant simples :
1- avoir un ID Adobe : je l’avais déjà
2- télécharger Adobe digital editions : je n’ai pas pris de chance, j’ai téléchargé la nouvelle version
3- télécharger un livre numérique à partir de a BANQ ou Biblio Outaouais ou Numilog.

J’ai choisi un livre que j’avais déjà dans ma bibliothèque numérique. Je suis capable de l’ouvrir dans Adobe digital Editions, mais incapable de le transférer sur ma nouvelle liseuse : autorisation refusée.


Et tout était là, dans cette satanée autorisation.

Efface l’autorisation de l’ordinateur
Autorise le périphérique (ma nouvelle Kobo que je vois bien dans mon logiciel). Malheur : je ne peux plus lire ni dans mon ordinateur ni sur ma liseuse.
Consulte les sites et forums de ID Adobe, d’Adobe digital editions, de pretnumerique, de Kobo.
Télécharge un nouveau livre, réautorise l’ordinateur, refusé
Crée un nouvel ID adobe avec un autre nom, mais même courriel, refusé
Crée un nouvel ID avec un autre courriel et un autre mot de passe, réautorise l’ordinateur
Essaie de lire le livre, refusé
Pense à télécharger un nouveau livre avec le nouvel ID
Autorise l’ordinateur : bingo, l’ordinateur peut le lire
Transfère vers la liseuse Kobo : fiou, enfin!

Temps total des essais : plusieurs heures entrecoupées d’une nuit de sommeil agité.
Nombre de livres téléchargés : trois avant de pouvoir lire le dernier.


Pour toi, Abby
, de Dominique Lavallée

Pour l’apprentissage du téléchargement, je n’avais plus accès aux livres déjà dans ma bibliothèque. L’essai qui m’a enfin rendu la lecture possible sur ma liseuse fut le roman Pour toi Abby, de Dominique Lavallée.
C’est sur le blogue Les mille et un livres que j’avais vu passer la couverture de ce roman publié chez Guy Saint-Jean.
La sortie de ce livre est toute récente, mais dès que j’ai lu « Eva O’Hara quitte son Irlande natale pour l’Amérique » bien sûr que ma curiosité était piquée. J’avais donc hâte de savoir si Eva O'hara ressemblait à ma Bridget Bushell!

Déjà qu’il y a des livres que je ne lis pas dans l’ordre habituel, c’est-à-dire page après page, imaginez celui-là. J’ai d’abord voulu connaitre le style de l’auteure. Dès les premières pages, deux prologues. Du jamais vu quant à moi. Puis, la table des matières au début où les mots Grosse Isle, Griffintown, Carrick me confirmèrent que j’étais bien en face d’un roman où il serait question de l’arrivée d’Irlandais.

J’ai vu aussi que les chapitres étaient courts, de nombreux dialogues agrémentent l’histoire et, technique de plus en plus répandue, que j’aime beaucoup : des phrases en italique qui nous informent des pensées presque secrètes des personnages.
« Eva repense également au bébé issu du viol de sa sœur.
Où est-il rendu maintenant? Mon Dieu, faites qu’il aille bien et qu’il soit dans une bonne famille qui l’aime et le chérit. »
Au lieu d’utiliser un déroulement linéaire, il y a des retours en arrière et même une histoire que l'on pense parallèle, ce qui rend le récit très intéressant : on a hâte de savoir de qui va arriver.

Oui, oui, je lis l’histoire bien sûr. J’ai souvent deux cerveaux : la lectrice qui lit et l’auteure qui analyse. Et si parfois une aime, l’autre aime moins. Si une saute des pages, l’autre décortique les mécanismes d’écriture. Je dois avouer que la moi-auteure est assez comblée par Pour toi, Abby. La moi-lectrice trouve un peu de longueurs, des répétitions, mais, comme en tout, elle est toujours pressée de voir ce qu’il y a de l’autre côté de la colline. Ce qui indique quand même que l’histoire est suffisamment captivante pour avoir le goût d'aller voir plus loin. Je considère le personnage un peu jeune pour vivre tout ce qu’elle vit, mais sans doute y a-t-il une raison qui nous sera révélée ultérieurement. L’important c’est que c’est plausible.

Dominique Lavallée a fait un réel travail de recherches, et elle a même été jusqu’à ajouter plusieurs pages à la fin de ce premier tome… « pour les passionnés d’histoire ». Décision discutable, mais finalement pas du tout inintéressante.

Vous savez comme je n’aime aucune étiquette parce qu’aucune ne nous définit complètement et chacune nous limite, mais force est d’admettre que Pour toi Abby fait partie de la littérature populaire et, je crois bien que le nom de Dominique Lavallée côtoiera très bien ceux des Michel Langlois, Jean-Pierre Charland, France Lorrain et quelques autres.

Lien vers le blogue qui m’a fait connaitre le livre >>>

dimanche 15 octobre 2017

Des Deguire à Saint-Ours aux Larose à Ripon

comité du patrimoine de Ripon, Deguire dit Larose
Pendant le Bal des citrouilles, le comité du patrimoine de Ripon lançait le numéro d’automne de son bulletin, L’Écho des montagnes. À l’intérieur, un article sur les Deguire – Larose que j’ai rédigé en collaboration avec Françoise Larose, arrière-petite-fille de pionnier de la région de la Petite-Nation. Une passionnée de généalogie que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors d'un rassemblement des descendants des Deguire dit Larose.

Je l’ai dit et écrit souvent, et ça m’a servi de prétexte pour cet article : en arrivant dans la Petite-Nation, je n’ai pas trouvé de Deguire (le nom de ma mère). Ce n’est que des années plus tard, que j’ai réalisé que les nombreux Larose établis surtout à Ripon, mais aussi à Saint-Émile-de-Suffolk et Chénéville avaient probablement les mêmes ancêtres que moi, soient François Deguire dit Larose et Marie-Rose Colin.

J’ai cherché, fouillé, comparé et finalement preuve a été faite : les Deguire de la Petite-Nation sont tous devenus des Larose alors que ceux de Saint-Laurent, d’où je viens, sont restés Deguire. Il reste bien quelques questions, mais il faudrait sûrement des généalogistes ou des historiens moins amateurs que moi pour y répondre.


http://www.despagesetdespages.com/Revue-Ripon-Deguire-Larose.pdf

mardi 10 octobre 2017

De l'écriture féminine

En essayant de comprendre pourquoi, ces temps-ci, je préfère les romans écrits par des femmes et aussi par des Québécoises plutôt que des Françaises ou Américaines,
en essayant de comprendre pourquoi, par exemple, je préfère le dernier roman de Martine Delvaux au premier de Stéphane Larue,
j’ai longuement navigué entre des sites de thèses, des blogues et des revues populaires.
Je sais à l’avance que je conclurai qu’il n’y a pas de conclusion définitive, tout au plus un cheminement qui se poursuit depuis mes premières lectures et s’achèvera à mon dernier souffle.

Dans Google, si on écrit « romans féminins » nous aurons des pages et des pages. Danielle Steel tout à côté de Simone de Beauvoir.
Si on écrit « romans masculins », Google ne nous renvoie qu’à des prénoms.
Je n’entrerai pas dans la polémique de savoir si on doit féminiser les titres, si on doit être écrivaine ou autrice ou dire madame le ou la ministre, mais la question d’écrire « autrement » me captive.

Est-ce que j’écris différemment parce que je lis différemment? Après tout c’est la même personne qui lit et qui écrit.
Est-ce que je corresponds aux statistiques?
«Quand on remonte le fil de l'histoire, on s'aperçoit qu'il y a toujours eu des genres littéraires associés aux hommes et aux femmes. Depuis toujours, les lectures dites "sérieuses" comme les ouvrages politiques et d'histoire sont associées aux hommes, alors que la littérature de divertissement, comme les romans, est associée aux femmes.»
                                                          Anthony Glinoer dans La presse du 19 juin 2015 
Les statistiques révèlent que les femmes lisent plus que les hommes, pourtant les hommes continuent d’être plus souvent publiés que les femmes. Et gagnent plus de prix.

Et alors?
auteures, écrivaines, langage familier
Ce que je sais en revanche, c’est que nous avons tous un principe féminin et un principe masculin. Nous avons des sensibilités différentes. Et même à chaque jour, je dirais que le pourcentage change comme le soleil qui n’a pas toujours la même couleur. Ces jours-ci, je suis orange brûlé, presque rouge vif. Comme l’automne. J’entre dans la maison. J’entre à l’intérieur de mon moi. Je fais du ménage, je me prépare un nid douillet et chaud. Toutes des activités féminines? D’où l’intérêt pour les mots féminins? Peut-être.

Sur mon passage sur Google, j’ai vu souvent le nom d’Hélène Cixous. Elle parle de son écriture.
«La pensée a ses rythmes, qui sont commandés par les escalades qu’elle est amenée à faire. Tantôt on procède par bonds, on saute sur une idée, par phrases courtes ; tantôt on est obligé de descendre ou de monter, à la façon de Dante faisant le tour d’une montagne. Il y a des lacets, on est épuisé. La pensée trace elle-même son rythme, étire ses fils. Ce qu’on apprend à faire, c’est à ne pas résister, à ne pas être un juge arbitraire disant « on doit écrire comme ci et pas comme ça »(1)
C’est comme ça que je pense. Je lis une histoire dans l’ordre que l’auteur a bien voulu me livrer, mais j’écris d’abord dans le désordre de ce que je ressens. le vu, le senti, le ressenti, le goûter, le rythme du cœur qui s’accélère comme s’il trouvait enfin le trésor longtemps cherché. Je sautille et je cherche ailleurs les mots pour exprimer ce cafouillis intérieur. Comme à 15 ans quand l’adolescente rebelle m’est sautée dessus sans permission. Ensuite, il faut que j’arrête, que j’interrompe le flux et que j’organise. Pour que mon cerveau comprenne. Je devrais peut-être faire du yoga pour apprendre à respirer mes mots et mes phrases. Je suis peut-être atteindre d’une TDA tardive.

En observant que ces temps-ci je lisais et j’aimais plus facilement les romans écrits par des femmes, en ayant du mal à aimer autant Le plongeur que la plupart des lecteurs et chroniqueurs, j’ai peut-être compris que ce n’est pas tant que Le plongeur soit écrit par un homme ou que le personnage soit un homme, mais, de ma part, c’est la difficulté à lire. Simplement parce que mon cerveau réagit négativement devant la langue trop familière utilisée jusque dans la narration. Comme s'il se sentait agressé, pire, injurié. Je croyais tout pardonner aux Québécois parce qu’en théorie, je les comprends, je les connais, je leur ressemble. Pourtant de moins en moins.
Je redeviens la juge snobinarde que j’étais à cet âge ingrat où on ne pardonne rien à nos parents. Maintenant que j’ai l’âge d’être parent, je ne pardonne rien aux jeunes. Je dois pourtant apprendre à leur laisser leur chance. Ils ont droit de vivre et d’essayer, eux aussi. Et d’écrire ce qu’ils veulent, comme ils veulent.
J’essaie de ne pas juger, mais j’essaie surtout de comprendre pourquoi je n’aime pas, pourquoi je ne finis pas le livre ou que je lis en diagonale. Et pourquoi tout le monde ne réagit pas comme moi.

Je crois bien que je vais mourir en cherchant encore le pourquoi de mon besoin d’écriture et de lecture. Et c’est normal, puisque je crois profondément — pour l’instant en tout cas, faute de preuves — que la vie n’a pas de sens tant qu’on ne saura pas pourquoi la mort. Ou vice-versa.

Le soleil se couchera dans un ciel orange brûlé pendant que je lis Hélène Dorion ou Michèle Lesbre ou…
Et demain sera un autre jour.

Avez-vous remarqué si vous lisiez plus féminin ou masculin?

vendredi 29 septembre 2017

Tant que le coeur bat...

lettres de refus des éditeurs

Il y a la saison des prix littéraires et il y a la saison des refus.
Saison d’automne dans les deux cas.
Le rouge vif pour la jouissance des uns et le jaune sec, flétri pour quelques autres.
Reste le vert de l’espoir, mais pour moi, il s’amenuise.

La semaine même où je reçois un chèque de Copibec qui me prouve bien que je suis une auteure, je reçois également deux courriels de maison d’édition qui refusent mon manuscrit. Vous me direz que c’est aussi une preuve que je suis auteure puisque si tu n’es pas auteure, tu ne reçois pas de lettre de refus!

Pourquoi m’infligé-je pareil supplice? Qu’est-ce que je n’ai pas encore compris pour que je récidive?
Pour que je coure après la publication chez un éditeur reconnu.
Pour que je réécrive un manuscrit tant et tant qu’il ne trouve pas preneur?
J’aime tant que ça recevoir des lettres qui disent non?
Pourquoi s’obstiner?
En ai-je vraiment besoin?
Ce ne sera pas le premier manuscrit qui reste dans les tiroirs.
Vaut-il vraiment la peine que je me donne?

Même si je le publiais à compte d’auteur, ce que je pourrais très bien faire,
même s’il ne se retrouvait pas en librairies, sauf celles où j’irais le porter et qui l’accepteraient (quelques-unes en Outaouais peut-être),
même si j’allais l’offrir dans quelques bibliothèques,
même si j’allais au seul Salon du livre de l’Outaouais via l’association des auteurs de l’Outaouais,
serais-je satisfaite?
Si je dis oui, eh bien fais-le et passe à autre chose.
Si je dis non, je veux plus, plus quoi?
Qu’as-tu tant eu de plus avec tes dernières publications? Un peu plus du Droit public? Un peu plus de Copibec? Un peu plus de ventes? Ton livre est également prêtable en numérique via pretnumerique.ca, ce wuo ne serait plus le cas en auto-édition?
Et alors?
As-tu fait tout ce que tu as pu?

Et cesse de te faire rêver avec les
14 refus de Rowling
38 de Margaret Mitchell, avec Autant en emporte le vent
140 de Richard Blatch avec Jonathan Levingston, le goéland

Ne pas rêver non plus du jour où, comme aux États-Unis, nous aurons des agents littéraires. Oui, oui, quelques-uns au Québec. On peut les compter sur les doigts de la main et je n’ai pas encore eu de preuve qu’il (ou elle) pourrait m’être bénéfique.
Le Québec est petit, on le sait, on a vite fait le tour des éditeurs.

Avis de gel au sol. Avis de gel dans mon cœur.
Le mettre sur la glace pour un temps.

Heureusement, hier j’ai vu le film C’est le cœur qui meurt en dernier. Après avoir lu le roman de Robert Lalonde, évidemment. Pendant une minute je me suis demandé si j’aimais un plus que l’autre, puis je ne plus voulu comparer. C’est différent. Chacun a ses qualités. Les silences ne sont pas aux mêmes endroits. L’intensité non plus.

Mon cœur n’est donc pas encore mort, et je refuse de le mettre au rancart comme une vielle feuille séchée qui ne tiendrait plus après l’arbre.
Je m'accroche.

mardi 26 septembre 2017

Autour d' Annie-Claude Thériault

Carnet de roman

Autre refus d’éditeur, un de ceux que je voyais bien publier mon histoire. Un éditeur qui, il me semble, ne jure pas que par une écriture jeune, une facture contemporaine, des éclats de voix.
Je passe.


Carnet du jour

Comme si nous étions en hiver et qu’il faisait moins 28, ressenti – 38, ce qui serait tout à fait plausible, je demeure à l’intérieur. Sauf que ce n’est pas moins 28 mais plus 28 et nous sommes le 26 septembre. Record battu. Une journée à l’intérieur pour moi, c’est un enfermement, un confinement qui me désole.

Tout juste si j’ai été au village en vélo. Le temps d’aller chercher quelques prospectus inutiles et trois tomates pour le diner.

Mais je refuse de me plaindre. Chaque matin, je me lève et je suis heureuse d’être en vie, un jour sans rendez-vous médical, sans obligation professionnelle. Un matin où je peux rester au lit, à lire sur ma tablette. Un matin où je pourrai me vêtir négligemment… et courtement puisque je ne sors pas. Me lever, pieds nus sur un plancher frais, c’est jouissif. Prendre mon temps. Possibilité de baignade.

À 20-30-40 ans, dès le réveil j’étais impatiente, prompte, jeune biche impulsive. Aujourd’hui, en comparaison, je suis d’un calme désarmant, d’une lenteur suspecte. Est-ce l’explication de mes manuscrits qui ne trouvent pas preneur. Mes textes transpirent-ils à ce point l’ennui, une voix empâtée, comme mon corps vieillissant? Je ne me sens pas vieille jusqu’à ce que je lise les romans des auteurs primés ces années. Ne peut-on pas vivre côte à côte? Nous demande-t-on le même ton (et le même vocabulaire mixte), la même vitalité, celle qui se vend, celle qui plaît, qui s’exporte, qui se filme?


Carnet de lecture

Les filles de l'Allemand, Quelque chose comme une odeur de printemps

Parlant jeunesse et livres, j’étais certaine d’avoir parlé d’Annie-Claude Thériault.

Lors de l’événement Bateau-livre, début septembre, j’ai revu Raymond Ouimet que je connais et dont j’ai lu les histoires dans lesquelles la mort n’est jamais bien loin. Il y eut Mélanie Rivet que je connaissais de nom, rencontrée une fois ou deux, entendue lors du symposium In situ à Namur, mais à qui je n’avais jamais adressé la parole. Ce fut fait. Et il y eut Annie-Claude Thériault, dont le prénom, évidemment, m’a intriguée. Mieux encore, elle enseigne la philosophie, ma matière préférée à l’école normale.

Comment l’oublier, ce roman Les filles de l’Allemand, dont elle a lu un extrait, publié en août 2016, il m’avait laissé une marque assez forte. Je me souviens avoir cru pendant quelques instants que les filles de l’Allemand ce serait un peu comme les enfants de mes Irlandais. Rien à voir sinon que c’est tout de même inspiré de ses ancêtres acadiens. C’était une histoire de jumelles séparées. Le genre d’histoire qui me touchera toujours sans que je n’en comprenne jamais la raison. Alors je les lis toutes au cas où un jour mon subconscient se souvienne.

Entre le Nouveau-Brunswick et la France, entre le cirque et l’espionnage, des enfances brisées, des croisements de temps, de lieux. Des personnages originaux (et détraqués?), des secrets déchirants. Un peu compliqué parfois. Inutilement selon moi, mais un style contemporain comme en recherchent les éditeurs, ces années-ci.

Après la rencontre sur le bateau, je me suis demandé ce que j’avais bien pu en dire sur mon blogue. Et si elle allait lire… Mais voilà, après une recherche minutieuse de tous les billets publiés depuis l’été 2016, rien. Je n’ai rien trouvé, peine perdue.

Certaine d’avoir tenu un exemplaire dans mes mains parce que c’est un format et une texture de papier que j’aime vraiment beaucoup, j’ai cherché dans ma bibliothèque. Peine re-perdue. L’aurais-je prêté? J’ai cherché dans mes notes. Peine re-reperdue. J’ai dû l’emprunter à la bibliothèque de mon village puisqu’il n’est pas en numérique à la BANQ.

Cessons de chercher des traces, et repartons à zéro. Quitte à avoir l’air d’en parler parce que j’ai rencontré l’auteure. Ce qui est quand même le cas.

Brève d’introduction… Heureusement que je n’écris pas un article pour un journal, je peux digresser à mon goût. En fait, je rôde autour, je raconte les circonstances qui entourent la lecture des romans. Comme Catherine Mavrikakis dans la revue LQ, « je suis une lectrice qui écrit ».

Au retour de Bateau-Livre donc, plus de quinze jours après, je goûte encore à ce plaisir d’avoir été voulue, choisie, je flotte encore dans le ravissement de savoir que j’existe en tant qu’auteure. Et dans le plaisir d’avoir entendu des extraits de livres, ce qui ne me déplaira jamais.
Alors j’ai voulu lire Quelque chose comme une odeur de printemps, d’Annie-Claude Thériault.

Ce qui est fait.

Encore une fois, les relations sont au cœur de l’histoire. Entre frère et sœurs, entre « une Chinoise qui n’en est pas une et qui peint de grotesques personnages, et de Monsieur Pham, le charismatique Vietnamien du dépanneur »
Annie-Claude Thériault a fait de son personnage principal Béate (pauvre petite fille qui doit porter un tel prénom) une amoureuse des odeurs, des saveurs.

À preuve, le roman commence par la cannelle et se termine par un parfum de printemps.
« C’est un mélange de cannelle et de clous de girofle. »
« Ça sentait les fleurs. Ça embaumait l’iris, un parfum de jacinthe, une touche de rose et un soupçon de marguerite. Il faut me croire, on se serait crus au milieu d’un jardin de géraniums, entre un hibiscus et un petit jonc fleuri, sous un magnolia, à l’ombre d’un vinaigrier caché par des cèdres.»
Et ça se termine par la phrase : 
« Ça sentait l’hiver, encore, mais l’hiver tout jeune et tout frais; un hiver aux parfums de printemps. »
En 2013, le roman a remporté un prix envié, le Prix littéraire Jacques-Poirier-Outaouais.

Le ciel, autant que les montagnes à l’horizon, est toujours bleu, d’un bleu gris à cause de l’humidité. J’attends un jour plus frais, bientôt, pour marcher dans la forêt et espérer des feuilles plus rouges que brunâtres et brûlées. Sous la pluie peut-être.

lundi 25 septembre 2017

Est-ce moi la mongole?

Toujours curieuse, et, depuis les bibliothèques numériques, comme les livres me sont plus facilement accessibles que les films, et comme je risque de pouvoir lire le livre avant de voir le film (je demeure à une heure du cinéma le plus près), j’ai cherché le roman Les rois Mongols de Nicole Bélanger.

Via Google, je l’ai rapidement trouvé sur les sites de librairies. Sur la couverture: les acteurs du film.
Mais je ne le trouve pas sur le site de la BANQ ou Biblio-Outaouais.

Cherche la date de parution : septembre 2017. Trop récent donc pour être chez pretnumerique.ca
Mais alors quelques jours alors avant la sortie du film?
Donc ce serait le texte du scénario?

Cherche encore. Google est inondé par le film, très peu par le livre. Cherche sur le site du film, cherche sur la page Facebook...
Ce n’est finalement qu’en lisant une petite citation en bas d’une page de Québec loisirs que j’ai trouvé.
« J’ai adoré Salut mon roi mongol! Vraiment et inconditionnellement. C’est bien fait, bien construit, drôle, touchant, bref j’aurais aimé l’avoir écrit moi-même.»
Nathalie Petrowski, La Presse
film de Luc Picard, Les rois mongols
Le réel titre du roman dont s’est inspiré Luc Picard pour réalisé son film est donc Salut mon roi Mongol et le livre a d’abord été publié chez Les intouchables en… 1995, chez Québec Loisirs en 1998, puis à nouveau aux Intouchables en septembre 2000.
Mais c’est Québec Amérique qui vient de le rééditer avec l’illustration du film en couverture.

Mais pourquoi on ne le dit pas?

vendredi 22 septembre 2017

André Major aime Tchekov
j'aime André Major

Les livres

« C’est dans l’univers des livres que je me reconnais le mieux. »
C’est Élise Turcotte qui l’a dit dans une entrevue fort intéressante (lien à la fin du billet), mais je suis certaine qu’elle n’est pas la seule à le penser. C’est mon cas, et ce, depuis la Claude Dorsel du Club des cinq (romans d’Enid Blyton).

Et je dis bien livre, je ne dis pas écrits, textes, articles de journaux. Encore moins commentaires facebookiens ou ce langage bizarre de #Édesse #Alagan #dystopie 2017 #fantasy #SFFF aux ed @LuneEcarlate #scifi que je n’ai pas encore réussi à déchiffrer. Beaucoup de tapage, beaucoup de hurlements. Du roulis et du tangage qui me donnent mal au cœur ou qui m’étourdissent.

Dans les livres, je retrouve le calme, je trouve des réponses, je trouve d’autres questions. J’ai le temps de penser, de réfléchir, de me laisser aller, de me laisser bercer par la musique des mots. À condition de les ouvrir un à un, ces livres, et non pas, comme lors de la recherche dans un dictionnaire ou maintenant dans Google, aller de l’un à l’autre sans prendre le temps de goûter à chacun.

Les livres me montrent le monde, l’histoire, les gens. Le cœur des gens surtout. Leurs pensées un peu plus poussées, leurs émotions un peu plus analysées. Ce qu’ils ont été, ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent devenir.


Les carnets

Si je privilégie les romans, j’adore également les biographies… et donc les carnets.

Robert Lalonde, le camp littéraire Félix, et Lévesque éditeur encouragent ce genre littéraire que nous sommes peu nombreux à apprécier, on dirait.
Je lirai sûrement quelques autres carnets proposés par l’éditeur Lévesque, d’autant que ce sont des écrits d’auteurs québécois, de quoi m’identifier. Au moins, les feuilleter. À force d’en lire, saurais-je en écrire? Peut-être que ces billets de blogue me mènent sur cette route de l’observation, de la flânerie, du simple plaisir de raconter sa journée — sans oublier de la vivre et non seulement lire celle des autres. L’ai-je vraiment quitté cette route déjà empruntée à 20 ans, quand j’ai écrit Je me veux?
carnet littéraire, carnet d'écrivain, camp littéraire Félix


Les carnets d’André Major

Les carnets de Robert Lalonde me plaisent depuis de nombreuses années, mais je viens tout juste de trouver ceux d’André Major.

C’est Yvon Paré qui a écrit un billet sur le dernier carnet,  L’œil du hibou, mais j’ai d’abord lu le premier, celui qui couvre la période de 1975 à 1992, Le sourire d’Anton ou l’adieu au roman. Comme je songe sérieusement à cesser d’écrire de la fiction, juste à lire « l’adieu au roman », je me demande bien ce qu’André Major a voulu dire par « adieu ».

Je retiens de ma lecture beaucoup plus que les citations que je note ci-dessous. J’ai trouvé que le carnettiste avait le jugement parfois cinglant. Mais ne l’avions-nous pas tous dans nos jeunes années? Ou même dans ces années de grands changements quand les Québécois, qu’ils soient écrivains ou non, sortaient des collèges et des églises et cherchaient haut et fort une langue, une identité, un pays?
Mais j’ai eu un grand sourire en repensant à ce que je dis souvent des créateurs québécois : je leur pardonne tout parce que je les aime. Je ne peux pas ne pas les aimer, ce serait me détester moi-même, me juger moi-même et me condamner moi-même. J’ai maintenant la réputation de n’aimer que les Québécois, qu’il s’agisse de livres, films ou œuvres artistiques, ce qui est faux bien sûr.

André Major est beaucoup moins tendre que moi pour les auteurs québécois : dans les années 80-90, il se « reconnait des affinités avec les Savard, Bessette, Thériault, Langevin, Ferron, Roy et Guèvremont, mais il retourne toujours à la lecture des Stevenson, Faulkner, Giono, Pavese, Hamsun, Onetti, Gombrowicz et Tchekhov. »
« Ce qui n’empêche pas que ma sensibilité esthétique et mes préoccupations m’apparentent davantage à Gombrowicz ou à Tabucchi que par exemple à Anne Hébert ou à Michel Tremblay. »

Autres citations

Comme si je me voyais dans un miroir:
« J’aurais aimé être doué d’une imagination débridée, aussi impersonnelle que possible, et non cantonné comme la mienne dans un territoire à peu près immuable et que je suis incapable d’étendre au-delà des frontières qui me sont familières. »
« Un grand écrivain, ou enfin un écrivain qui passe pour être grand aux yeux de ses contemporains, peut tout se permettre […] tandis que pour l’écrivain de peu de renom […] son obscurité lui interdit de médire des œuvres qui lui puent au nez : on y verrait de la jalousie. »
En parlant du monde de Michel Tremblay, André Major écrit en 1990… Je me demande si comme moi, il a changé d’idée depuis.
« L’affranchissement de la pensée passe nécessairement par le refus critique du langage mou qui trahit une absence de rigueur intellectuelle assez inquiétante. » 
 Au retour d'une réunion, d'une rencontre un peu houleuse, il n'y a pas une conversation que je ne me repasse pas dans ma tête. Pas la seule à ce que je vois:
« Je constate souvent que j’ai trop parlé ou tenu des propos qui caricaturaient ma pensée. Ou bien que je ne n’ai pas assez parlé, et alors me viennent à l’esprit les répliques que j’aurais dû lancer au bon moment. »
« Il me semble que tout ce que je possède vraiment, c’est une langue d’usage quotidien, bonne à tout faire si on veut, et qui m’échappe dès lors que je lui en demande davantage, par exemple de se muer en écriture. L’écrivain en moi la voudrait pur jaillissement […] parcourue de frissons et miroitante tout à la fois. »
« Je ne sais trop ce qui est le plus insupportable chez les écrivains : la fatuité de celui qui a réussi avec peu de talent et beaucoup de savoir-faire ou l’amertume de celui qui, faute de savoir-faire, n’a pas vu son talent reconnu. »

Dans le texte, une citation de l’écrivain trinidadien V.S. Naipaul :
« Rien ne révèle un être comme une fiction qu’il écrit. Si vous écrivez un roman, vous déclarez en même temps : c’est ceci qui m’émeut, qui me semble beau, etc. Vous ne pouvez rien cacher, vous vous trahissez. »
 Au sujet de la langue, je rappelle que ce sont des opinions qui ont été écrites en 1992 :
« Au-delà de la langue, ou plutôt à travers elle, c’est une crise profonde qui se trouve ainsi dévoilée : celle d’un peuple victime d’une sorte d’anémie culturelle et qui, faute d’affirmer autrement sa différence, se replie sur une langue infantilisée. “Dis-le dans tes mots, moman va comprendre”, tel devrait être le slogan publicitaire du Robert québécois qui n’est rien de plus que le vadémécum de notre rapetissement culturel. »
«Il arrive aussi, comme c’est le cas en feuilletant les Carnets du romancier polonais Kasimierz Brandys, qu’une réflexion vous frappe avec la force et la vélocité d’une évidence, que vous faites vôtre aussitôt, un peu déçu tout de même de ne pas en être l’auteur. »

La semaine dernière, au bord du fleuve, je guettais les sarcelles et la marée, aujourd’hui, de retour à la maison située entre une plantation de grands pins rouges et un champ de soya, jaune et sec, bientôt prêt pour la récolte, j’épie le suisse qui grappille les dernières mûres. Et, comme un carnettiste, peut-être un jour en parlerais-je plus joliment.

mardi 19 septembre 2017

Ce fut le fleuve et le vent

Images de Rivière-du-loup et de Montmagny
Ce fut le fleuve qui a décidé. Les vagues et le vent, le ciel et l’humidité.

Une petite semaine parce qu’on annonçait beau et chaud.
Pour vivre encore un peu l’été.

Je voulais me rendre à Sainte-Flavie, je me suis arrêtée à Rivière-du-Loup et je suis revenue passer quelques jours à Montmagny.

Les rives du fleuve, ma deuxième maison, mon attrait, mon attirance, ma soif et mon breuvage.

Surtout quand il fait doux, même si, comme chez moi, le vent est omniprésent et nous joue parfois des tours.

Ce fut le camping, le caravaning. J’aime bien, pendant quelques jours, vivre entourée de véhicules récréatifs. Je les regarde arriver et partir. En visiter, comparer, en jaser avec les propriétaires. Et vivre dehors ou à l’intérieur, dans ce petit 150 pieds carrés.

Ce fut le grand air, l’observation des sarcelles, des hérons et des goélands. Ce fut la marche dans les campings, le vélo dans les pistes cyclables ou sur les sentiers au bord du fleuve. S’assoir sur les bancs publics, regarder les traversiers pour Saint-Siméon ou l’île aux grues. Espérer apercevoir quelques bateaux, toutes voiles levées. Longer les rues tranquilles, examiner l’architecture des maisons et des édifices, les plus vieux du siècle dernier de briques et de pierres aux nombreuses arêtes de toitures comparativement aux lignes épurées et aux couleurs limitées (fenêtres noires, revêtements beige-brun) des boîtes géométriques d'aujourd'hui. Rêver du jour où je ne pourrai plus entretenir mon terrain, ma maison. Où irai-je? Imaginer plus petit, un village de mini-maisons. Un grand camping, un Resort. Pas tout de suite, mais un jour. À défaut du fleuve pour ne pas me déraciner de ma Petite-Nation, au bord d’une rivière, peut-être?

Ce fut le partage d’une bière les après-midis chaudes ou un café les matins de vent du nord. La visite à une poissonnerie, l’approvisionnement en poisson frais pour quelques mois. L'achat de produits locaux: petites prunes délicieuses au goût de fin d'été, et épis de maïs qui nous rappellent des épluchettes au lac Simon.

Ce fut la lecture: Bercer le loup de Rachel Leclerc. Une histoire qui se passe entre le Forillon d’avant l’expropriation et le Carleton sur mer parce qu’il faut au moins rester au bord de la mer. Ce ne fut pas tant l’histoire que le style qui m’a plu. Ce ne fut pas tant de lire ce roman au bord du fleuve qui m’a ravie, c’est de m’être délectée du style de l’auteure.

Sanctuaire d'oiseaux aquatiques (des sarcelles ce jour-là), à Montmagny
Sanctuaire d'oiseaux aquatiques (des sarcelles ce jour-là), à Montmagny
Rachel Leclerc. Un nom qui ne me disait rien il y a un an encore. Une écrivaine qui n’obtient pas la visibilité médiatique des trentenaires universitaires, mais que je suis heureuse d’avoir trouvée comme un trésor d’autant plus précieux qu’il n’est pas dans toutes les vitrines, ce qui pour moi, parfois, n’est pas un indice de qualité. Je n’aime pas qu’on me force la main en écrivant « best-seller » sur un livre.

La première fois que j’ai vu ce nom, c’était dans Le Devoir. Dans un article signé Danielle Laurin, une phrase m’avait frappée : « Je suis beaucoup plus littéraire qu’historienne. » Des propos de Rachel Leclerc. Je ne sais pas pour les autres ouvrages, j’irai voir, c’est certain, mais pour Bercer le loup, le style littéraire m’a enchantée. Magnifique.
« Et que je t’enlace, que je te berce d’un bout à l’autre du lit, que je te flagelle avec mes bras devenus branches mortes, que je te bande comme un arc et te possède, t’arrache les cris que je retiens moi-même pour ne pas empirer la douceur et pour que tu me croies robuste. Que ton vent me soulève, que ta vague me plie en quatre. »
Et quelle structure! Les allers-retours entre 1970, année de l’expropriation, et la fin des années '90 nous montrent trois générations, nous révèlent des personnages forts, brisés, humains. Certains crient vengeance, d’autres portent leur colère jusqu’à la mort. Rien de linéaire et pourtant tout est clair, tout est dit. Coup de chapeau, tour de force, admiration jalouse, madame l’auteure.

Ce fut une semaine parfaite. Des jours de soleil qui m’ont fait oublier la mammographie annuelle. Le vent a chassé ma peur.


lundi 4 septembre 2017

Des couleurs et des mots

Claude Lamarche lira un extrait de son roman Les têtes rousses
Septembre.
Rien qu’à l’écrire, rien qu’à le dire, ça sonne nostalgique.
Presque triste, mais c’est que le jour est gris, le jour est froid, le jour est court.
Des fleurs saturées d’eau, en manque de soleil. Qui fanent.
L’été aussi s’étiole.
Au loin, brouillard, humidité. Gris.

Je n’ai jamais très bien su être joyeuse, rieuse. Plutôt sérieuse. Parfois trop.
Et, pour moi, septembre a toujours signifié que les vacances, les rires, les folies brèves ou non, sont terminées. Retour au sérieux. Au travail, à la discipline.
Et même si officiellement, j’ai l’âge de la retraite, l’âge de ne plus travailler, le pli est pris : en septembre, j’ai envie de m’acheter un nouveau cahier, de commencer quelque chose de nouveau. De devenir studieuse, disciplinée.

Pourtant, parfois, septembre, c’est aussi les vacances, les voyages. Moins de monde sur les routes, dans les campings, temps encore doux sans être écrasant. Cette année, peut-être encore.

Mais cette semaine, place aux couleurs et aux mots.
Louise Falstrault est fascinée par les couleurs. Pendant vingt ans, elle a peint des paysages, des atmosphères. Cette fois, elle a choisi l’abstrait, mais toujours les couleurs et le geste.
Sa dernière exposition publique dit-elle.

Le vernissage a lieu ce jeudi, au Centre d’action culturelle de Saint-André-Avellin. Pour chacun de ses tableaux, j’aurais voulu écrire un texte. Elle me dicte quelques mots, une pensée, une idée, je regarde ses tableaux et j’écris :
« Du monde terrestre et habité au monde infini de l’imaginaire.
Du paysage du dehors jusqu’au jaillissement spontané du cœur et du corps. 
»
pendant que l’artiste assistera à un autre vernissage, celui du symposium Art In situ qui se tiendra à Plaisance ce samedi 9 septembre, moi j’irai voguer au fil de l’eau, sur la rivière des Outaouais.
En effet, la croisière littéraire du Bateau-livre fera remonter le temps aux passagers grâce aux textes de dix auteurs de l’Outaouais ou de l’Ontario français. Comme le thème est « le fil du temps », je lirai l’arrivée de Bridget Bushell en Amérique.
« Le Canada-Uni : terre d’accueil et d’adoption, pays aussi vert que l’Irlande et où coule un fleuve aussi beau que le Shannon. »
Et beau hasard, l’association des auteurs et auteures de l’Outaouais a publié sur Facebook les vidéos qui ont été visionnées tout l’été à la Maison des auteurs. J’ai ajouté dans la colonne de droite de ce blogue la capsule qui me concerne. Je vous épargne les commentaires que je me suis passés à moi-même, que tout le monde doit se passer quand il se regarde et ne s’imagine absolument pas comme les autres le voient, mais ça m’a fait quand même un petit velours : il restera des traces de ma vie d’auteure.

Je ne sais pas si septembre sera gris ou chaud, terrible ou joyeux, synonyme de vacances ou de travail, mais je sais que la première semaine sera remplie de couleurs et de mots. Pour mon plus grand bonheur.

Vernissage de l’Exposition de Louise Falstrault >>>
Le bateau livre >>>

mardi 29 août 2017

Escarpins ou runnings?

Je suis bi. Comme dans amBIguité. Comme dans amBIvalente. Comme dans uBIquité.
Je peux en même temps aimer et détester. Être ravie et choquée. Être enthousiaste et déçue. Être ange ou démon.
Et depuis quelque temps on dirait que les livres que je choisis de lire me mettent devant cette plurivocité.

Ce fut La servante écarlate de Margaret Atwood et Putain de Nelly Arcand.
Ce fut Lettre de consolation à un ami écrivain de Jean-Michel Delacomtée et L’avalée des avalés de Rejean Ducharme.
Et maintenant c’est La langue affranchie et Le plongeur.

Un contredit l’autre, un est l’envers de l’autre. Comme un cours de littérature comparée. Affrontement assuré. Les gros mots contre les doux, les mots soignés contre les familiers, les anglais contre les français. 
Le noir et le blanc.
L'ange et le démon.
Les escarpins et les runnings.

Je ne veux pas juger, mais je compare. Je ne veux pas donner de notes, mais je compare. Je déteste jouer avec mes petites cellules cérébrales de la sorte. Mon cerveau joue au yoyo avec mes émotions. Je ne veux pas prendre parti, mais ni tergiverser. Évoluer, mais ne pas jeter à la poubelle tout ce que j’ai appris.

Qu’est-ce qui fait défaut chez moi? Quand L’avalée des avalés a été publié, j’avais 16 ans, je ne me suis pas identifiée à Bérénice. Je n’ai pas compris grand-chose. C’était en même temps que Une saison dans la vie d’Emmanuelle, c’était le début de la littérature québécoise — pour moi en tout cas — je n’étais pas prête, j’étais encore trop littérature française. Trop escarpins. Quand Putain est sorti, j’avais 50 ans, je n’ai pas aimé, j’ai cru que c’était vulgaire, je ne l’ai pas tout lu.

Et là, Le plongeur de Stéphane Larue que tout le monde encense, que tout le monde achète.
Oui, je lis, oui, je suis assez d’accord avec Yvon Paré qui trouve que le roman « envoûte dès les premières pages » (1). Même si je crois que ce sont surtout les hommes, les jeunes hommes ou ceux qui ont connu ce milieu qui apprécieront — moi, on le sait je suis plutôt fleur bleue —, ce que je remarque surtout c’est que personne ne parle des niveaux de langue. Et c’est là que mon petit démon n’a pas trouvé les runnings très confortables. Larue passe de :
« Sur une étagère crasseuse en métal haute et large s’entassaient des piles d’assiettes maculées, des chaudrons recouverts de sauce tomate cramée dans lesquels on avait laissé des louches tordues ou des pinces enduites de couches indifférenciées de jus, des récipients au fond desquels croupissaient des légumes en juliennes molasses ou des restes visqueux de marinade, des plaques de cuisson couvertes de gras et de lambeaux de peau de poulet calcinée. »
... à  l’emploi de : Staff, shift, doormans, close, drinks, piasses, pawnshops, bad luck, bushgirls, cooks, cheap. Pour ne nommer que ceux-là. Sans les mettre en italique. Et pas que dans les dialogues, mais dans la narration, au beau milieu d'une belle phrase au style recherché. 

Je me croyais prête. L’insolente linguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin m’avait préparée.
« Cessons de critiquer. Cessons de condamner. Rabaisser la langue des autres, ça n’a jamais donné de bons résultats. Jamais. Rabaisser les autres tout court, ça n’a jamais donné de bons résultats »
« Les critères pour savoir si telle forme appartient à du «bon» ou à du «mauvais» français sont en fait des critères sociaux. Importants, primordiaux, essentiels. Mais sociaux. Il y a, certes, des formes qui sont plus valorisées que d’autres, plus adéquates dans les contextes formels. Mais cela ne veut pas dire que ces formes sont, en soi, supérieures ou «plus françaises». Cela veut seulement dire qu’il y a un consensus voulant que ces formes soient les symboles d’un décorum social nécessaire dans certaines situations. Comme la cravate ou les escarpins. »
Delacomtée ne jure que par la cravate et les escarpins et il m’a fait ch… Alors, je devrais aimer Larue qui ose, qui passe d’un code à l’autre, d’un langage soigné au familier sans que personne (jusqu’à maintenant) ne trouve à y redire. Tant mieux, devrais-je penser. Oui, mon ange le pense et il veut bien essayer de nouveaux souliers! Et laisser lecteurs, auteurs et éditeurs libres de leur choix. Mon démon se rebiffe pourtant encore un peu. Il s’accroche dans ses vieux escarpins! Il est plus à l'aise en suivant des règles et en se soumettant à une autorité. Il se demande où chercher la définition d'un mot si celui-ci n'est pas dans un dictionnaire français. Il doit de plus en plus chercher dans le Harrap's! Mon ange a la réplique toute trouvée: cherche sur Internet, sur les réseaux sociaux. Évidemment. Facebook et Twitter chaussent des runnings, c'est bien connu!

À défaut de les conforter, il me reste donc à les confronter, ces petites bêtes, à les forcer à se parler, à se regarder bien en face, à faire des compromis, à évoluer. 
Qu'ils me trouvent une paire de souliers qui me conviennent.

(1) billet d'Yvon Paré>>>

mardi 22 août 2017

Tous les mots sont cachés dans le Scrabble

Réjean Ducharme, littérature
Pendant que je cherchais une consolation, Réjean Ducharme est décédé.
Les mots virevoltent, se baladent et se moquent de moi.
Indisciplinés et même désobéissants, ils n’en font qu’à leur tête, s’amusent à jouer à cache-cache.
Désordonnés, ils refusent de s’aligner, de se mettre en rang.
Je ne leur demande pourtant pas un roman, ni même un essai, ni même un haïku.
Je ne parviens pas à calmer leurs courses folles ni à faire réagir ceux qui, plus timides, se cachent derrière leurs collègues plus expérimentés.

Ils ont sans doute peur, mes mots. Peur de la colère autant que de la tristesse. Ils ne veulent ni crier ni pleurer. Ni s’apitoyer. Ils refusent de sortir, ils tournent en rond dans leur sac de Scabble, préférant le silence à la confusion.

En lieu et place, ils se trouvent des excuses, des arguments, des faux-fuyants, ils sont allés voir comment d’autres propriétaires de mots s’en sortent. Ils savaient bien que je cherchais une consolation à la déception et au questionnement qu’une certaine lettre de refus avait laissée en moi. Ils savaient qu’ils marchaient sur un terreau vulnérable.
Ils ont trouvé Lettre de consolation à un ami écrivain.

Ils ont lu, ils ont noté :
« écrire entretient les douleurs ce qui permet de les supporter, pas de les effacer […] écrire pour se guérir consiste à gratter ses plaies. »
Non, vraiment, ce n’était pas le temps d’offrir ce livre à quiconque doute déjà de son talent ou de sa place dans le monde des livres. L’auteur, un certain Jean-Michel Delacomtée, complètement inconnu des dieux, des Québécois en tout cas, part d’une bonne intention : consoler un ami écrivain qui vient de décréter qu’il ne publiera plus. Mais pour le convaincre, dans une pédanterie insupportable, il fauche, presqu'autant que cet ami désabusé, tout ce qui est moderne. Pour lui, le monde littéraire, le vrai, le seul digne de mention s’arrête au 18e siècle. Sauf peut-être quelques exceptions comme Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Jean Rouaud, Laurent Mauvignier, Marie Ndiaye, Linda Lê, Marguerite Duras ou Philippe Bordas. Il écorche sans guère de remords Christine Angot, Virginie Despentes, Marc Levy, Annie Ernaux, Éric-Emmanuel Schmitt, Daniel Pennac.
Il juge sévèrement l’autofiction. Pour lui, le littéraire doit avoir une âme, doit être une poésie, doit faire œuvre utile et surtout avoir un style. Le « people », même gagnant de prix, ne trouve aucune valeur à ses yeux.
« On a tort de coiffer du même chapeau les romanciers et les écrivains, cela rapetisse la littérature. Il s’agit de deux ordres distincts. La plupart des romanciers contemporains n’entretiennent aucun rapport avec la définition traditionnelle de ce qu’on appelle un écrivain. Quand on veut définir ce qu’est a littérature et ce que signifie être écrivain, on doit se référer à l’usage de la langue, à la question du style. »
À étaler toutes ses certitudes, le monsieur-écrivain fait bon usage de sa langue et de son style, c’est certain. Mais finalement, ce ne sont que des mots. Des mots qui, comme ceux des romanciers qu’il dénigre, peuvent réjouir ou blesser. Consoler comme c’était son intention au départ, mes mots à moi en doutent fortement.

C’est en me rendant au village en vélo que j’ai compris. Les grands champs, les doryphores et le ciel orageux m'ont dit d'ouvrir le sac de Scrabble, j’ai écouté le silence qui s’installait, et puis tout à coup, j’ai entendu clairement : « Aie! Chose, réveille! »
On est en 2017, tu es peut-être en France, dans cette chère république des lettres qui te rend si nostalgique, mais moi, je vis au Québec, et ma langue évolue. Et ce n’est pas parce que Dany Laferrière est à l’Académie française que je vais élever, comme toi, cette institution sur un piédestal. Je n’ai pas besoin de toi pour me dire ce que vaut la littérature. Eh oui, je te tutoie comme pour te rabaisser à mon niveau, te dire que tu ne vaux pas plus que moi, tu as juste plus de talent pour agencer les lettres sur le plateau de Scrabble! Ça donne plus de points, mais ça ne justifie en rien ta diatribe assassine.

Mais réveille, la littérature, tout comme la langue parlée ou soignée, familière ou soutenue ne sera plus jamais la même. Aussi bien s’y faire et apprendre à l’aimer telle qu’elle veut devenir. Plus tu parles sur le très bien, plus j’ai envie de te parler à l’opposé, juste pour te dire que c’est parler quand même, que c’est s’exprimer quand même. Romancier ou écrivain ou auteur, change le mot si ça peut t’aider, ce n’est pas l’étiquette qui compte, c’est le produit. Toi, tu as voulu exprimer des idées, grand bien te fasse, nous, aujourd’hui, nous voulons exprimer des émotions ou simplement offrir un divertissement, raconter une histoire, fût-elle la nôtre. Les mots servent aussi à cela et ce n’en est pas moins légitime. Tu n’as pas réussi à me faire moins aimer les écrivains cités, juste toi, que je ne lirai plus. Je t’aurais donné raison sur quelques points si tu n’avais pas été de si mauvaise foi et si pontifiant.

Je sais que pour l’argumentation, la rhétorique, comme tout bon québécois qui évite les discussions, qui n’aime pas la chicane, comme tout bon élève qui ne remettait pas en question les dires de ses professeurs, je ne t’arriverai jamais à la cheville, je ne pondrai jamais soixante-treize pages sur la langue d’aujourd’hui ou sur la définition de la littérature. J’ai une voix forte, mais je ne la fais pas entendre ni loin ni longtemps. J’ai le doute trop facile, la nuance subtile et l’assurance au point zéro quand vient le temps des certitudes. Mais moi, au moins, j’essaie d’évoluer.

Comme la nouvelle de la mort Réjean Ducharme est tombée justement pendant que j’écris ces mots, je vais laisser le sac de Scrabble un peu de côté et je vais sortir Dévadé et L’avalée des avalés.
« On vient au monde statue : quelque chose nous a fait et on n’a plus qu’à vivre comme on est. C’est facile. Je suis une statue qui travaille à se changer, qui se sculpte elle-même en quelque chose d’autre. »
En une phrase, Réjean Ducharme vient de me consoler mieux que n’a réussi M. Delacomtée en soixante-treize pages en me montrant que si mes mots pâles, sans surprise, désordonnés ne sont pas au goût des éditeurs, tant pis, au moins, ils seront les miens.
Comme la statue que Bérénice sculpte.

jeudi 17 août 2017

Présence sur Le Bateau-livre

auteurs de l'Outaouais, lecture sur la rivière des Outaouais

Honorée, ravie. J’aurai la main tremblotante, mais la voix forte et le pied marin. Hâte.

Nous serons dix auteurs venus des deux côtés de la rivière des Outaouais, nous remonterons le fil du temps en lisant des extraits de nos livres : Yves Breton, Guy Jean, Claude Lamarche, Lisa L’Heureux, Louis L’Allier, Daniel Marchildon, Raymond Ouimet, France Rivet, Annie-Claude Thériault et Paul-François Sylvestre. Accompagnés à l’accordéon par Jean-Marc Lalonde

QUAND : Le samedi 9 septembre 2017 — Départ à 14 h, retour vers 17 h
OÙ : Quai des artistes – 895, rue Jacques-Cartier, Pointe-Gatineau

Note à moi-même : tu vois, tu es encore de ce monde des auteurs (je sais tu n'oses pas écrire monde littéraire), encore dans la joute. Encore parmi eux et elles, ces auteur-e-s qui écrivent, qui récitent, qui lisent. Qu’on nomme. On ne t’a pas oubliée. Tu es à nouveau sous la lumière. Même si ce n’est pas ton but. Et tu as reçu la nouvelle justement le jour où un autre courriel te renvoie à ta table de travail, à tes devoirs, te fais douter encore une fois que tu encore capable d’écrire un roman. Le bateau-livre te prouve qu’au moins si le prochain roman tarde, tu peux encore naviguer un peu sur les acquis.
Alors vogue la galère!

Informations >>> 

lundi 14 août 2017

Mots et couleurs de fin d'été

Cette année c'est du soya.
Les derniers caravaniers partent après quatre jours de musique country, de danse en ligne et de bouffe sous le thème de la patate. Le festival ramasse les dernières épluchures. L’été reste encore un peu. Mon corps se promène pieds nus dans le gazon encore humide de rosée, signe doux.

Le vert m’encercle : soya, maïs, pommes de terre. Et forêt. De mai à octobre, j’habite dans la verdure. Sur (pla) fond bleu assez souvent.

Où irais-je en septembre pour que mes pas et mes phrases prolongent encore un peu le vert?
Début septembre, j’irai voir les couleurs de Louise Falstrault.

Louise Falstrault, artiste peintre, Centre d'action culturelle MRC Papineau
Quelques détails des tableaux abstraits de Louise Falstrault
«Pour l’exposition Du dehors au-dedans, l’artiste présente des tableaux qui répondent au besoin de s’éloigner du conformisme, tout en explorant la richesse des couleurs tant aimées. Les œuvres représentent la transition, l’évolution de l’artiste qui n’a jamais accepté d’être confinée à un seul style ou étiquetée.»

C’est ce que dira le communiqué. La pure vérité.

De mes parents, de mes professeurs, j’ai appris les mots. De Louise Falstrault, j’ai appris la couleur. Quand on travaillait à monter l’hebdomadaire local, qui n’était alors qu’en noir et blanc, elle m’apprit la composition, mais ensuite vint la « une » en couleurs. J’ai crié « aghhhh! », puis j’ai crié « Louise, à l’aide ». Quand les écrans d’ordinateur changèrent du noir et jaune à la couleur, j’ai de nouveau fait appel à son talent naturel pour que les annonces ne soient pas un horrible gâchis.

Aussi, pour l’artiste, que ce soit une œuvre figurative ou abstraite, la couleur reste sa force, sa motivation, son élan.
Une vingtaine de tableaux seront exposés au Centre d’action culturelle de la MRC Papineau dès le 7 septembre.

Ce sera la fin de l’été. Ce sera beau, mais surtout coloré.
En attendant, encore quelques mots d’août.

samedi 12 août 2017

Le 12 août, je lis un livre québécois


— C’est le 12 août, jour où on achète un livre québécois. En as-tu un nouveau?
— Eh! non!
— Tu n’écris plus?

Que répondre? Je n’écris pas de roman actuellement, non. Et je ne vois pas le jour où je vais en commencer un nouveau. Depuis treize ans que mon cerveau se concentre sur Les têtes rousses. Le troisième et dernier tome se languit chez quelques éditeurs. Et même quand il sera publié, si jamais il l’est, je crois bien que je me contenterai de mon blogue. Qui n’est même pas un vrai blogue, pas un vrai carnet qui pourrait un jour devenir livre.
« Qu’est-ce qu’un carnet littéraire? C’est peut-être avant tout une sorte de repos de l’écriture de fiction.
Le romancier […] est soudainement happé par les mots d’un autre, par les images d’un autre encore, par la stupéfiante beauté d’un paysage, par une phrase d’un livre qu’il croyait avoir oubliée, par cette carte géographique d’un pays où il a toujours voulu mais n’a jamais pu se rendre, par telle photographie, tel souvenir, tel projet abandonné sans raison valable ».

Robert Lalonde
Mais qui me satisfait amplement. Sauf qu’entre-temps, quelques lecteurs croient que je suis un vrai écrivain, du genre à publier aux deux ans, du genre à ne pas prendre de retraite, du genre à avoir du souffle et des idées jusqu’à ma mort. Comme les vrais.

Eh! non!
Pourtant, comme quelques amies artistes peintres, même une fois qu’on a fini de créer, même si on n’a plus que du vieux stock à vendre, on continue d’être sollicitées, de surfer sur la vague d’un certain (relatif) succès. On joue le jeu, mais on sait bien que ce n’est plus « comme avant » du temps où nos noms étaient publiés dans les médias, où on était enthousiastes en parlant de nos projets en cours. Nous tombons dans l’oubli de nous-mêmes. Sereinement parce que finalement on l’a voulu, on le veut.
Cette fois, je me sens vraiment à la retraite. Avec les chèques de pension qui rentrent tous seuls. Et tout et tout.

Pourtant, pourtant, moi je sais que j’écris encore. J’écrirai toujours. Pas des romans, pas des 200 pages, mais ces petits billets, ces notes dans des carnets pendant que je lis Robert Lalonde. En rêvant à cet encore possible d’avoir ce genre de carnet publié. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, je ne sais pas, mais du rêve, oui.

En attendant, ou plutôt en n’attendant plus, je lis, comme jamais.
«puisque écrire, comme lire, c’est revoir, mais revoir ce qu’on n’avait pas vraiment vu.»
Je remarque si peu.
Je n’ai rien à écrire sur ce que je vois ou ce que j’entends.
Je sens, je peux écrire ce que j’ai senti en lisant.
Je sens souvent le besoin pressant de me lever et d’aller l’écrire
     ce que j’ai senti
     ce que j’ai pensé
     comme si c’était important
     comme si je le regardais d’une nouvelle façon.

Mais je remarque si peu, je regarde si peu, je vois si peu.
Quelle chemise portait-il? Qui était au volant? De quelle couleur le revêtement de la maison, là-bas?
Je ne sais pas, je ne regarde pas.
Ce n’est pas important. C’est froid, c’est matériel. Ça ne me rapporte rien.
Les lecteurs demandent de l’action, ou de l’émotion, ou de la poésie.
Pourquoi écrire une longue histoire pleine de détails alors que je ne veux aller qu’à l’essentiel, au senti?

Et puis tant à lire
Tant d’auteurs qui cherchent des lecteurs.
Je suis certaine d’être meilleure lectrice qu’auteure
Lectrice permissive, généreuse, naïve, gourmande, boulimique, passionnée.
Je préfère parler des livres que de les écrire.
J’en suis là.

Et La liberté des savanes de Robert Lalonde m’a comblé cette semaine.
« Je ne me cherche plus dans les miroirs. » 
Je ne sais pas si Robert Lalonde parle des miroirs que peuvent être les livres, mais si c’est le cas, moi, je crois bien que je m’y cherche encore.
Je crois bien que je cherche à lire ce que j’aimerais avoir écrit. 
Et je cherche à revoir ce que j’ai aimé et aime encore.

samedi 5 août 2017

Le 12 août, j'achète un livre québécois

L’événement « Le 12 août, j’achète un livre québécois », initiative de Patrice Cazeault et d’Amélie Dubé, sera encore souligné cette année. Je suis pour, c’est certain. En tant que lectrice et en tant qu’auteure.

Bien sûr, je voudrais avoir un nouveau titre à vous proposer. Ce n’est pas le cas. Je voudrais tout autant que tous mes livres soient encore en librairie. Le Québec étant ce qu’il est, le monde du livre étant ce qu’il est et mes romans étant ce qu’ils sont, ils ne sont offerts que sur demande. Ils sont déjà passés dans l’oubli. D’autres réclament leur vitrine.

Comme tout créateur, les auteurs — et leurs livres surtout — voudraient bien être connus de toute la province et bien au-delà.
Voici mon petit coup de pouce —- et mon coup de cœur bien sûr — pour des auteurs — dont les noms sont relativement connus en Outaouais et parfois même en Europe par le biais des éditeurs ou des contacts, mais un peu moins dans le reste de la province.

Cet été, dans le cadre du 150e anniversaire du Canada, la Maison des auteurs, située dans le Parc Jacques Cartier, au cœur même de l’exposition MosaïCanada 150, devient un Pavillon de la Confédération. Entre autres, l’association des auteurs et auteures de l’Outaouais présente une vidéo sur dix auteurs qui se sont illustrés au cours des dernières années.
Auteurs de l'Outaouais, Maison des auteurs à Gatineau
Dix auteurs de l'Outaouais

Je vous les présente:
Guy Jean, L’obscurité a neigé. Prix Hommage de la ville de Gatineau, 2016.
Site>>>

Julie Huard, Paysâmes et miroirs du monde, Coup de cœur littéraire de l’Outaouais 2016
Site>>>

Serge Cham, Comment être heureux en amour ou À l’école de mes élèves. Médaille du 125e anniversaire de la Confédération canadienne
Site>>>

Andrée Poulin, auteure de plus de 35 romans pour les jeunes de tous âges
Plusieurs prix dont le prix TD (Toronto Dominion) de littérature pour l’enfance et la jeunesse 2014 pour La plus grosse poutine du monde.
Site>>>

Jacques Jobin, Parcours d’un idéaliste, finaliste au Prix Coup de cœur de l’Outaouais 2016
Site>>>

Katia Canciani, auteure jeunesse, Mirmaëlle, fée des dents : Un Noël surprenant, finaliste au Prix Coup de cœur de l’Outaouais 2016.
Site>>>

Éric Péladeau illustrateur. Finaliste Prix Peuplier pour son album Martine et Maurice.
Site>>>

Jean-Philippe Veilleux, Lili et l’urne merveilleuse.
Site>>>

Madeleine Stratford, traductrice, finaliste prix gouverneur général pour le roman de Marianne Apostolides, Elle nage.
Site>>>

Claude Lamarche, Les têtes bouclées, finaliste au Prix Coup de cœur de l’Outaouais 2016
Blogue>>>

Programmation de la Maison des auteurs>>>

lundi 31 juillet 2017

La putain et la servante

Deux récits dont le sujet est la femme
Paradoxe : je résiste souvent à ce genre de trucs marketing : « 75,000 exemplaires vendus », « le livre qui fait trembler l’Amérique de Trump », mais en même temps, je reste aux aguets, et, parfois je me précipite à la BANQ pour lire un extrait et peut-être même me procurer ces romans dont tout le monde parle. Tout le monde étant surtout les médias.

J’ai d’abord été intriguée par La servante écarlate en lisant dans La presse + que la série à succès The Handmaid’s Tale, un roman dystopique (il a fallu que j’en cherche la définition : récit de fiction pessimiste se déroulant dans une société terrifiante. Comme 1984 d’Orwell, comme Farenheit 451 de Bradbury. Ce qui m’a retenu le temps de lire les premières pages) de Margaret Atwood, paru en 1985, serait bientôt adapté en français. En France, grrr…! À défaut de trouver le livre en numérique à la BANQ, j’ai décidé de l’acheter.

Et puis, un matin, en me demandant pourquoi Margaret Atwood était traduite en France avant le Québec (un caddie, moi, ça dégonfle ma lecture!), j’ai lu ce billet sur le site des librairies indépendantes :
14 romans québécois qui font craquer les Français
Dans cette liste, j’en ai déjà lu neuf, je me suis dit qu’il faudrait bien que je lise les autres. Le temps de me rappeler si j’avais déjà lu Putain de Nelly Arcan, évidemment, sur le site de la BANQ, j’avais téléchargé un extrait.
Qui peut résister à ces premières pages accrocheuses?

Alors pour me reposer de la servante, je me suis mise à lire la putain.
Je n’aurais pas dû.

Bizarre tout de même que je lise en parallèle Putain de Nelly Arcand et La servante écarlate de Margaret Atwood. Même thème: le corps de la femme. Deux « je » qui n’aiment pas vraiment ce qu’elles voient dans leur miroir. Deux femmes qui décrivent leur présent et se souviennent de leur passé, cet avant qui n’existe plus. Deux mondes que je ne connais pas, mais que je sais possibles.

Dans la postface, Margaret Atwood le spécifie :
« Je n’inclurais rien que l’humanité n’ait pas déjà fait ailleurs ou à un autre époque, ou pour lequel la technologie n’existerait pas déjà. […] Les pendaisons en groupe les victimes déchiquetées par la foule, les tenues propres a chaque caste et chaque classe, les enfants volés par des régimes et remis à des officiels de haut rang, l’interdiction de l’apprentissage de la lecture, le déni du droit a la propriété : tout cela a des précédents.»
La servante écarlate demande des temps de pause. Un roman tellement différent de ce à quoi je suis habituée — à quels genres suis-je donc habituée? — qu’il mérite un écho différent. Et ne comptez pas sur moi pour mentionner si c’est une lecture légère ou non, d’été ou non, à étudier en classe de philosophie ou toute autre matière scolaire.

Putain de Nelly Arcan, paru aux éditions du Seuil (j’aimerais bien savoir pourquoi la future auteure a envoyé son manuscrit aux éditions du Seuil et pas à un éditeur québécois), il y a seize ans. J’essaie de me souvenir des raisons qui m’auraient empêchée de le lire, et il ne me vient que mon bagage d’idées préconçues (comme un snobisme intellectuel?) soit sur le thème de la prostitution soit sur la difficulté de lire un style cru, et nouveau à la rigueur, à cette époque. Tout comme j’ai pris dix ans à accepter le joual de Michel Tremblay. Je ne suis pas fière de moi comme lectrice. Pourtant en 2001, mon éducation religieuse — pas la familiale, nous étions très ouverts chez nous — ne devait plus avoir laissé grandes traces. Ma curiosité naturelle aurait dû l’emporter.

Et il est presque impossible que je l’aie ne serait-ce que feuilleté parce que le début est si accrocheur, encore aujourd’hui malgré cette mode de la première page, cet incipit qui doit accrocher le lecteur-acheteur, me connaissant, il me semble que j’aurais poursuivi et que je m’en souviendrais. S’il m’arrive souvent d’oublier l’histoire d’un roman ou le nom des personnages, je me rappelle toujours ceux qui m’ont marquée. Je n’oublierai jamais L’Euguélionne de Louky Bersinik Je n’oublierai pas non plus Les mots pour le dire de Marie Cardinal. Ni La femme qui fuit d’Anaïs barbeau Lavalette.

Toujours est-il que je lis, je dévore. Et rien ne me choque ni le sujet ni le style.
« Une plume défouloir et vengeresse », est-il écrit sur le site nellyarcan.com. Et, à mon avis, c'est surtout cette plume qui rend son œuvre intéressante et pérenne.

C’est en effet ce que j’ai vu, lu, retenu. J’ai lu la plume, le style, la colère. Cette vie mal-aimée, ces relations difficiles. Cette abondance de mots, de phrases d’un seul souffle. Facilement trois pages, sans point.

Dans les phrases courtes, dans le lent récit de La servante écarlate, il y a de longues descriptions pour que le personnage soit bien ancré dans sa vie, comme le fait de trancher le bout d’un œuf, de le manger et de se demander ce qu’elle peut bien désirer de plus. On voit tout, mais on ne sent pas — en tout cas, je n’ai pas senti — la révolte, la rébellion ni même l’envie de désobéissance dans cette dictature où la femme n’est que servante, n’est que corps à enfanter.

Dans Putain, un long soliloque, sans beaucoup de points, qui ne nous laisse souffler qu'après deux ou trois pages d'écriture bien serrée. Des pages remplies de détails qui parfois ont l’air de sauter du coq à l’âne, mais qui rassemblent toutes ses pensées qui s’entrechoquent dans son âme tourmentée.

Nelly Arcan — et le personnage — écrit, crie, gémit, geint, étouffe. Alors qu’Atwood — et le personnage — décrit, observe froidement, détaille minutieusement. Comme si elle n’était pas dans ce corps inerte, comme si elle subissait sans se révolter. Tout au plus un peu de nostalgie.

J’ai cessé de les lire en même temps. Je n’ai plus voulu que mon cerveau compare. Chaque livre a sa propre vie, mérite que je lui prête toute mon attention. Un à la fois.
Et puis, je ne lis pas pour défendre une thèse de maîtrise qui demanderait une grille d'analyse plus poussée que mes simples petites impressions le lectrice.
Et je les aime tous les deux, ces récits, pour ce qu’ils m’apportent, pour ce qu’ils me font réfléchir sur mon corps qui n’a pas enfanté, sur ce corps qui n’a pas été violé, qui ne s’est pas prostitué, sur ce corps qui a grossi, ramolli, qui a vieilli, qui fut malade parfois, mais que j’ai toujours aimé, parce que c’est le mien.
Me font aussi prendre conscience des différents régimes politiques ou sociétés patriarcales ou mondes machistes.
Chacun aussi me fait réfléchir sur le style littéraire. Des mots justes, vrais, forts qui remuent, qui dépeignent très bien des atmosphères et des lieux, qui apportent de la profondeur aux personnages. Envieuse bien sûr.

Deux livres marquants que je ne suis pas prête d’oublier. Même si je les ai découverts sur le tard!