dimanche 15 novembre 2020

Le choix des mots

Professeur, je disais des milliers de mots dans une heure. 
Infographiste, je cherchais les meilleurs, les plus précis pour les titres d’articles, pour les annonces. 
Auteure, je peux jongler avec les mots pendant des jours, des semaines. 

Hypersensible aux mots. Ceux que je dis, ceux que j’entends. 
Nos conversations marquées par l’oralité ne laissent pas le temps à la nuance ni à la recherche du mot juste. Pendant que je trébuche sur un mot, déjà un autre sujet. Pourquoi les réponses courtes, même maladroites, ne me suffisent-elles pas? Pourquoi toujours vouloir débattre ou tout nuancer? Juste jaser, c’est possible non! 

Aujourd’hui, le mot « envahissante ».
Je pourrais me contenter de répondre « non, non, bien sûr que non, tu n’es pas envahissante ». Et ça s’arrêterait là. Choisir la facilité, la bienséance. Émoticône sourire. Et on passe à un autre sujet. 
J’ai choisi la taquinerie : « bien sûr que tu es envahissante... » me suis-je entendue dire. Me suis sentie obligée de rajouter « mais pas dérangeante ». Ça me trotte dans la tête depuis. Je cherche encore une meilleure réponse, probablement parce que je ne sais pas ce que je ressens, je ne sais pas clairement ce que je pense. Boileau a bien raison.

La semaine dernière, c’était le mot : « folle ». J’entends très souvent « fou » ou « folle ». Pas pour me qualifier, moi. Non, pour décrire quelqu’un: Trump, un tueur. Une femme dont le comportement ne fait pas notre affaire, nous dérange, nous fait souffrir. On dit « folle » pour ne pas chercher plus loin. On se protège, on fuit, on évite. On juge.

Quand les mots traînent dans mon esprit, c’est que le doute vient de s’installer. Ou le malaise ne se dissipe pas. Ou comme dit Lisanne Rheault-Leblanc dans son livre Présages : 
« Certains mots reviennent et reviennent : leur répétition actionne maladroitement des leviers rouillés, déclenche des flashs, des brûlures de honte, une suite d’images troublantes dont la bande sonore s’est égarée dans les archives. »
Il ne faut pas non plus imaginer que c’est maladif mon affaire. Ou souffrant. Les mots me font jouer au Scrabble, à Alpha Betty. J’en ai fait mon métier de cette recherche des mots. Exercice matinal aussi : écrire la soirée de la veille ou le plaisir du jour. Ou le trop-plein. 

Et ne me dites pas de lâcher prise ou d’arrêter, ou de ne pas m’inquiéter. J’aime bien chercher, essayer de comprendre, approfondir et si possible expliquer, communiquer. 
Comme assembler un casse-tête, celui de ma vie.


vendredi 6 novembre 2020

La langue de feu de Michèle Bourgon

La poésie et moi, c’est compliqué.
Comme les prix littéraires. Je m’imagine indigne de comprendre. Une écolière inculte. Pourtant, à 16 ans, après mon journal intime, mes premiers mots écrits dans un cahier noir avaient la forme d’un poème. C’était simple, court. Une émotion plus qu’une pensée. Une chanson plus qu’une symphonie.

L’étude des vers de Villon, Lamartine, Baudelaire, Nelligan et même Saint-Denys Garneau a achevé de me convaincre que je n’y comprenais rien, je ne sentais rien, je n’entendais aucune musique. Donc pas pour moi. J’ai vite renoncé. En guise de poésie, je me contentais des chansons de Claude Gauthier, Georges d’Or, Gilles Vigneault. 

Et puis, à force de côtoyer des auteurs québécois, j’ai rencontré quelques poètes, j’ai ouvert des livres. De Nicole Brossard parce que je l’ai connue.
De René Lapierre parce que j’ai connu sa conjointe.
De Guy Jean, de Loïse Lavallée parce qu’ils sont auteurs dans l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais.

Michèle Bourgon a été professeure, elle écrit des nouvelles, de la poésie, des récits.
Je la connais deuis près de dix ans. Elle vient de publier un recueil de poèmes : Feux de langue.

J’ai lu, et cette fois, j’ai entendu la musique. Son amour du Québec et de la langue de chez nous me rejoint. On y trouve des allusions à Gaston Miron, à Réjean Ducharme et même Victor Hugo.
Un hommage, tout en jeux de mots, à Clémence Desrochers, Yvon Deschamps, et plusieurs autres «grands».
Des images des cinq continents.

Elle a bien raison, Michèle Bourgon, d’écrire en quatrième couverture : « il y a dans Feux de langue des coups de gueule contre l’Histoire, de la déception, de la colère ». 
Mais j’ai aussi reconnu son pur amusement à inventer, déformer des mots que j’avais eu le plaisir de lire, avec un grand sourire, dans ses deux livres : Y a pas de souci! et Y a toujours pas de souci!

Tous centrés, sans ponctuation autre que quelques points d’exclamation, ses poèmes permettent une lecture rythmée, douce et très visuelle.

Je sors ma langue de feu 
Brûle ta langue de bois 
Tire ma langue de chez nous 
Parce que tu l’as si bien pendue… 

Tiens ta langue sur le bout de la mienne 
Et fais sept fois le tour de Babel 
Pour que tu comprennes enfin que 
Ma langue pour moi est la plus belle! 

Une fois la dernière page tournée, comme au retour d’un voyage, je laisserai couler un peu de temps. Et je relirai, comme on regarde des photos, pour lire entre les lignes, pour découvrir la délicatesse des détails. Quoique pour aimer un poème, je ne crois pas qu’il faille un cours universitaire, ni faire le tour de Babel, ni même de longues analyses critiques, ni chercher une histoire.

Juste se laisser aller.
Juste ouvrir une page et commencer à lire lentement.  

Pour acheter son livre ou connaître Michèle Bourgon, vous pouvez visiter son blogue où elle sort sa «langue de feu»!>>>

lundi 26 octobre 2020

Hier, de causerie, ce matin, d'hiver


Ce matin, neige sur les branches, neige dans les champs.
Je veux l’aimer, cette neige, parce qu’elle sera bientôt là pour plusieurs mois.
Et que cet hiver, je resterai avec elle.  
Je ne veux pas me battre contre elle, juste l’accueillir.
Parce que mon pays, c’est l’hiver, comme dit Vigneault.
Vigneault a aussi dit qu’on est gens de causerie.

Hier, à l’invitation du Centre de généalogie de la Petite-Nation,
j’ai été fille de causerie
Fille de mon père, grand parleur
Fille de ma mère aux sentiments réservés, mais qui fredonnait When Irish Eyes Are Smiling
Chanson apprise de son père.

Hier, j’ai été arrière arrière-arrière-petite-fille d’Irlandais.
J’ai été fille de mots
Qui a parlé pour être entendue
Une dizaine de personnes m’ont écoutée sur Zoom
J’ai raconté comment j’ai écrit Les têtes rousses
Ce fut parfois vérité
Et parfois mensonge.
Vigneault connait bien les gens de son pays.

Je reste rarement sans mots.
Je suis aussi fille de pages.
Je remplis des pages et des pages de mots, de photos, de noms.
Sur mon blogue>>>
Et sur mon site>>>  

Pour connaître la vérité et les mensonges dans mes romans Les têtes rousses, Les têtes bouclées et Les têtes dures, consulter cette page>>>

Merci aux personnes qui m’ont vue et écoutée.
Merci à Alain Faubert et Maurice Deschênes pour l’animation et la technique sur Zoom.

Et maintenant, retournons dans cet hiver qui commence
Où je vais aller rêver et écrire
Parler encore et même rire
Où les soirs de grands vents
J'écouterai Vigneault me parler de liberté.

mercredi 21 octobre 2020

Ce dimanche 25 octobre...
causerie de la généalogie à mes romans

La sœur du père de l’épouse de mon arrière-arrière-grand-père est morte de la grippe espagnole, le 29 octobre 1918. Le genre de phrase que les amateur.e.s de généalogie adorent lire ou écrire. Il nous faut parfois un tableau pour mieux comprendre.

Elle s’appelait Esther Leduc. Plus connue sous le nom de Sœur Marie-de-Bonsecours. 

Elle a été une des trois premières postulantes de la congrégation des Soeurs Sainte-Croix qui venait tout juste d’être fondée, en 1847, à Saint-Laurent.

C’est le genre d’informations que j’ai eu la chance de découvrir dans le livre bleu écrit par son arrière-petite-nièce, Annie Deguire, — ma grand-tante maternelle — qui, elle aussi, est devenue sœur Sainte-Croix.

Le genre de document qui vous donne des ailes pour aimer la généalogie et de l’inspiration pour écrire trois romans.

Ce que j’ai fait à partir de 2004.

Ce dimanche 25 octobre, je vous en parlerai encore. C’est le Centre de généalogie de la Petite-Nation qui organise ce « webinaire », un nouveau mot pour moi et une nouvelle technologie qui permet des conférences à distance, Covid 19 oblige. 


Vous pourrez poser vos questions et j’espère vous donner le goût de poursuivre vos recherches, de questionner vos parents s’ils sont encore vivants, et même écrire la vie de vos ancêtres. 

Inscription gratuite, mais obligatoire pour que l’animateur, Alain Faubert du Centre de généalogie, organise une belle rencontre. Vous recevez un courriel, et un peu avant 13 heures, vous vous installez confortablement devant votre écran, vous cliquez sur le lien et je serai là.

On se voit donc dimanche?
Pour vous inscrire, cliquez ICI>>>


dimanche 18 octobre 2020

Du coq à l'âne

             

L’orme n’a plus de feuilles. Les mélèzes jaunissent. Le ciel bleu me permet d’éteindre les lumières de la maison. Il fait suffisamment clair. Sur les réseaux sociaux, la sortie des livres s’intensifie. Bientôt un de Nancy Huston. Ses pensées pendant le confinement du printemps. Publiées parce qu’elle s’appelle Nancy Huston. À l'intérieur, les livres s’empilent autant qu'à l'extérieur, les aiguilles et les feuilles. Mourront-ils avec cet automne occupé?

Écrire comme Lucy Ellman dans Les lionnes. Comme une écriture automatique, comme un surefficient mental (mot rencontré lors d’un message publié par Mathieu Cyr sur la douance qu’il préfère appeler surefficience mentale. Je ne crois pas être atteinte à 100 % mais je me reconnais un peu dans cette hypersensibilité). Les lionnes, un livre éblouissant dit-on. Un exploit certainement. Mais lire toutes ces phrases enchaînées où seul « le fait que » vient séparer les idées... si au moins c’était en paragraphes, pour reprendre son souffle, pour que notre cerveau ne dérive pas, reste là, dans l’histoire. Non, je n’ai pas tenu les 47 pages de l’extrait.

Tant qu’à être dans les extraits... tant de livres parus ces dernières semaines... j’ai préféré celui du livre de Simone de Beauvoir, Les inséparables. Juste à voir le nom de Zaza. MA Zaza. Probablement la Zaza de bien des jeunes filles. Pas les jeunes filles en fleurs de Proust, non les jeunes filles qui ont lu Les mémoires d’une jeune fille rangée. Dont je suis. J’avais 15 ans quand ma mère m’a mis ce livre entre les mains un jour d’été désœuvré. J’en avais 20 et je lisais encore tout ce que Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre ont publié. Même L’être et le néant. Je voulais devenir philosophe. Dans ma bouche, partout, tout le temps, encore aujourd’hui, malgré les regards désespérés de mes interlocuteurs qui auraient bien voulu la réunion s’achève, d’inlassables «pourquoi?» ou pire des «je ne comprends pas». Je ne comprends pas le monde comme tout le monde. Et mes parents m’ont appris à nuancer, à choisir les bons mots, les mots justes. Ceci ne veut pas dire cela. Je m’en fatigue moi-même.

Mais la plupart du temps, je m’aime quand même!

Toujours question livres, à croire que c’est tout ce qui m’intéresse, mais oui, le dimanche matin, en lisant La presse+, je délaisse rapidement les courbes de la Covid, ma zone orange et les élections américaines — quoique je regarde un peu, hâte de voir si Trump va être réélu si les frontières vont réouvrir après les élections, mais même si elles ouvrent, je n’irai pas plus en Floride, trop de cas de Covid encore et dans mon cas, ce n’est pas vrai qu’être masquée et confinée en Floride, c’est mieux que d’être masquée et confinée au Québec : pas les mêmes repères, pas les mêmes activités, pas la même langue, pas mon monde, mon monde sera ici avec leurs tuques et leurs mitaines — fin du tiret, on retourne aux livres, je vous l'ai dit du coq à l'âne comme dans Les lionnes... il y a aussi les livres de Deborah Levy, son autobiographie, pourquoi elle écrit. J’adore les biographies, depuis le temps que je le dis. Je le dirai encore le dimanche 25 octobre lors d’une causerie... un beau mot causerie, je le préfère à conférence. Fait plus amical, moins entrepreneurial. Lien pour s'inscrire à cette causerie sur généalogie et romans, mes romans sur mes ancêtres irlandais, lien donc à la fin de ce billet... s'il peut finir, pensez-vous!

Il faudrait bien que je cesse d’écrire ou de parler et que j’aille lire. Même pas terminé la biographie de Pauline Marois. Ni Le palais des orties de Marie Nimier, écriture fluide et à la mode du temps. Cette mode de métaphore avec des animaux ou des plantes. Pensons au Lièvre d’Amérique de Mireille Gagné, de L’apparition du chevreuil de Élise Turcotte et surtout de Les Foley de Annie-Claude Thériault et sa fameuse Sarracenia purpurea, fil conducteur de son histoire.

Hélas, la vie domestique va reprendre son cours. Et au lieu de lire, je préparerai la salle de bains qui va recevoir une belle douche toute neuve cette semaine. Comme tout le monde, pour moi aussi, temps de pandémie est aussi temps de rénover, de rester à la maison. J’ai même recommencé à tricoter. Pour ma «filleule», un petit chien Porkie. Porkie ce n'est pas son nom, c'est sa race, un mélange deYokshire et Poméranien. Son nom commence par L tel que tricoté sur son petit chandail.

Suffit les associations d’idées. Votre esprit vagabonde-t-il aussi? Le dimanche matin uniquement? Ces dimanches de congé propices aux vagabondages, quand ma mère invitait ses tantes à diner et où elles jasaient tout l’après-midi ou quand mon père disait : on va faire un tour d’auto, on va voir les maisons!

Suffit, j’ai dit.

Lien vers conférence-causerie, webinaire Centre de généalogie Petite-Nation, dimanche prochain, 25 octobre à 13 heures>>>

Pour lire un extrait du roman de Simone de Beauvoir>>>



dimanche 11 octobre 2020

C'est fou la vie...

C’est fou la vie, elle me surprend encore. Tu crois bien la connaître parce que ça fait 70 ans que tu la côtoies. Tu penses te connaitre toi-même, savoir comment tu réagis, accepter tes fragilités, canaliser tes forces, mais finalement, comme dit la chanson : tu ne sais rien.

Il y a un an, je lisais Les Foley, de Annie-Claude Thériault, une histoire sur des Irlandais. Un livre qui a eu un succès immédiat et dont on parle encore et j'en suis très heureuse pour l'auteure. Il y a un an, j’avais autoédité le dernier tome de ma triologie sur mes ancêtres irlandais parce que Vents d’Ouest (à l’agonie, on s’en doutait, mais on espère toujours...) n’avait pas voulu le publier. En quelques mois, la cinquantaine de livres était épuisée, et je ne ferais pas réimprimer.

Il y a un an, je me disais « c’est fini écrire, c’est trop dur de se faire publier, trop stressant ». Sans jouer au pauvre petit auteur imposteur, non juste un constat.

En novembre, je partais pour la Floride, comme une snow-bird, comme une retraitée. Heureuse de pouvoir goûter à cette vie-là, tellement différente de mes jours de solitude, les doigts sur le clavier et la tête dans Antidote.

En mars, je revenais pour raison de Covid. On est encore dedans. En zone orange, entourée de rouge. Je ne suis plus une auteure, je ne suis plus une snow-bird. Seulement une retraitée, heureuse de vivre à la campagne, et de pouvoir communiquer via Internet.

Mais voilà, c’est fou la vie... justement l’internet, le numérique, ça veut dire pouvoir parler, se voir, échanger. Et même travailler pour plusieurs. En deux semaines à peine, j’ai eu trois demandes de graphisme : monter des livres, monter des panneaux patrimoniaux. Et une demande de conférence sur Zoom, auquel je ne connaissais rien, il y a un an encore. 

Alors, je reprends du service.

Et vraiment, à la conférence webinaire, je vais vraiment dire que je n’écrirai plus, que je ne suis plus une auteure, je vais vraiment m’entendre prédire l’avenir? Je l’ai dit en me pratiquant sur mon compte Zoom et je n’ai pas aimé l’entendre. Qui suis-je pour savoir de quoi sera fait demain? Qui aurait dit la Covid, le confinement? Qui peut dire quand un livre n’a plus de vie? Alors, dire d’une auteure qu’elle n’écrira plus!

Donc, aux personnes intéressées par la généalogie, par les romans sur des ancêtres, par mes têtes rousses, certainement que je vais dire que c’est possible d’écrire un livre sur nos ancêtres, que c’est possible d’être publié, de s’autopublier. Et de ne jamais renoncer, jamais croire qu’il y a une fin, même après notre mort, je dirais.


Merci au Centre de généalogie de la Petite-Nation qui m’a invitée. La conférence virtuelle se tient le dimanche 25 octobre à 13 heures. Plus de détails bientôt pour vous inscrire. En attendant, vous pouvez visionner la vidéo qui me fait belle promotion.


Pour l’occasion, j’ai même changé (après quatre ans, il était temps) ma photo sur les réseaux sociaux.


Vidéo créée par Alain Faubert du Centre de généalogie de la Petite-Nation >>>
Lien vers la page Facebook du Centre de généalogei de la Petite-Nation>>>


lundi 7 septembre 2020

En août, j'ai lu...


Le 12 août, j’ai acheté québécois. La femme qui rit de Brigitte Pilote.

Je ne me rappelle plus comment Brigitte Pilote est apparue dans mon Facebook, mais une auteure québécoise, un roman publié en France (l’utilisation des mots comme « bourg » et « couffin » le prouvent) : déjà une curiosité.
Le titre : bien sûr tout de suite j’ai pensé à La femme qui fuit. Sûrement pas un hasard, mais bon, pourquoi pas.
Les bottes sales de la page couverture appuient le « portrait d’un monde terrien » signalé au dos du roman.
Je suis avertie.
J'ai plongé dans les vingt premières pages. Puis j'ai délaissé au profit de deux autres titres.

Il m’arrive souvent de lire deux ou trois livres de front. Selon mes humeurs. Selon ma concentration.
Il m’arrive aussi de ne pas tous les terminer.

Une fois quelques émotions intenses passées, le calme revenu, l’été s’achèvait. Après quelques sorties, j'ai retrouvé ma campagne... et celle de la servante des Sever — père et fils. Une servante qui n’a pas de nom et qui, malgré le titre, ne rit ni ne sourit.

En quelle année et en quels lieux le roman se passe-t-il? On ne saura jamais. Et je suppose que pour l’auteure, c’est voulu. En revanche, le style d’écriture dense et sans dialogue, le choix des mots autant pour les vêtements que pour l’état d’esprit des personnages déstabilisent au début. Tellement différent des premiers romans de nos jeunes auteur·e·s qubécois·e·s qui utilisent plutôt un parler oral, un langage cru, des phrases courtes.

Pendant plusieurs pages, j’ai vu la région rurale, la lenteur des gestes des nouvelles de Maupassant. Les couleurs de la paysannerie de Millet. Pas du tout la misère des Canadens français des années d'après-guerre. D'ailleurs Brigiette Pilote a tellement réussi à décrire cette vie que je ne trouve pas les mots pour résumer l'état d'esprit des protagonistes. Une fois ce choix de l’auteure accepté, on embarque ou non. L’intrigue est suffisamment intéressante, on veut savoir ce qu’il advient des trois personnages : le père veuf qui vieillit, le fils handicapé au cœur lourd, et la servante qui aime la terre plus que les hommes. On connait le point de vue de chacun, je ne me suis identifiée à aucun, mais je les ai vus accepter leur destin, non comme une résignation ou un fatalisme, mais comme moi en ces temps de pandémie : «c’est la réalité, on vit un jour à la fois et si possible avec le sourire aux lèvres. Tant mieux si on rit».

Une autre lecture qui dépeint aussi un univers clos et un personnage effacé, discret, réservé, mais oh! combien intéressant à suivre: Traverser la nuit de Marie Laberge.

J’avoue que je boudais un peu Marie Laberge depuis quelques années. Ses histoires ne me rejoignaient plus. Il a fallu toute la persuasion de Laurence de mon cercle de lecture pour me convaincre de prendre le livre dans les mains. Quatre pages ont suffi. Je n’ai plus lâché le livre. Et quelques larmes en signe de vives émotions.
La 4e couverture dit l’histoire : Emmy, femme étrange, qui ne réclame jamais rien. Jacky, batailleuse acharnée qui ne craint plus rien. Raymonde et ses trésors culinaires à l’image de son humanité. Le livre raconte les choix, les fuites, les réactions, les pensées d’Emmy dans un superbe crescendo d’allers et retours dans son passé. Tout le talent de Marie Laberge nous offre une fin qui explique tout.
Avec des phrases comme des maximes qui peuvent sûrement s’appliquer à bien des vies. Dont la mienne. 
« Il y a des victoires qui ne valent pas la guerre qu’elles ont coûtée. La seule vraie victoire, c’est de tourner le dos à ceux qui nous font la guerre. »
Et puis comme «je ne me suis jamais sentie aussi proche de moi-même qu’en lisant les mots d’un autre», et «quand nous parlons d’un livre, ce n’est pas seulement de ce que nous avons lu que nous parlons, mais de nous-mêmes», c’est certain, je le savais avant même d’avoir ouvert le livre : j’ai ADORÉ La libraire de la place aux herbes de Éric de Kermel.

Nathalie ouvre une librairie à Uzès, France. Elle devient passeuse de livres. Elle se préoccupe de chacun des clients qui entrent dans la librairie, apprend à connaitre leurs goûts, leurs préférences. Leur vie. Pour chacun, elle recommande — sans étaler sa culture — des titres appropriés. Au total dans le roman, 72 titres seront mentionnés. J’avais commencé à les recenser avant de m’apercevoir qu’ils sont tous notés à la fin du livre. J’en ai lu plusieurs, d’autres ne m’intéressent pas.

Éric de Kermel a réussi à être un très bon passeur parce qu’il m’a offert un très beau voyage au pays des livres.

Les prochaines lectures qui accompagneront sans doute mon automne et même le début de l’hiver, d’autant que je ne suis pas à la veille de partir pour le sud :
Pauline Marois, Elyse-Andrée Héroux
Le palais des orties de Marie Nimier
À train perdu, Jocelyne Saucier
Les secrets de ma mère, Jessie Burton
L’avenir, Catherine Leroux
L’absente de tous bouquets, Catherine Mavrikakis
Chavirer, Lola Lafon
La fille de la famille, Louise Desjardins
Faire les sucres, Fanny Britt

Et vous, comment se dessine votre automne?

jeudi 13 août 2020

Escapade au bord du fleuve

Cette année encore, queques jours au bord du fleuve.
Album photo en PDF.
Cliquez sur la couverture.
 

mercredi 1 juillet 2020

Devant la fenêtre...

Un certain retour à la routine d’avant le grand confinement. Assise à mon bureau, devant la fenêtre. Un bureau qui ne sert plus à l’écriture de roman. Une fenêtre qui m’invite à la rêverie. Devant moi, un monde de feuillus et d’oiseaux — un couple de moucherolles, ces jours-ci, parce qu’un nid au-dessus de la fenêtre justement.

Devant l’écran de mon ordinateur, lecture de blogues, lecture de Facebook. Ce matin, lecture du dossier de LQ sur les écrivains et l’argent. Ce qui m'a fait croire pendant quelques minutes que j'étais encore une écrivaine.

Depuis la parution de mon dernier roman (à compte d’auteur parce qu’aucun éditeur n’en a voulu, parce que Vents d’ouest qui avait publié les deux précédents a fermé ses portes), je n’ai rien écrit. J’ai mis la clé dans la porte de ma vie d’écrivaine. J’ai commencé ma vie de « snow-bird » et de retraitée. Mais je m’intéresse encore à ce monde qui m’a toujours attiré depuis mon enfance : le monde des livres. Je lis beaucoup moins parce que beaucoup de raisons. J’écris encore moins. Surtout par pur désintérêt. Plus envie de souffrir les affres de la création, l’attente de l’acceptation ou la responsabilité de la promotion. Je n’aurai jamais « vécu de ma plume », mais j’aurai été dan le monde des mots écrits toute ma vie.

N’empêche qu’il me vient encore des idées. Des sujets de roman. Des opinions sur telle lecture. Des petits ressentiments inutiles. Des rêves fous comme quand j’avais 26 ans alors que pourtant, je savais très bien qu’une fois le premier contrat signé, je n’allais pas devenir une écrivaine qui vit de sa plume.

Mon image folle de ce matin : un éditeur de romans historiques accepte de rééditer ma trilogie sur mes ancêtres irlandais. Comme ça, sans que j’aie eu à lui demander. Parce qu’il en a entendu parler. Parce qu’il est au courant que Vents d’ouest a fermé ses portes et donc que j'ai retrouvé mes droits d'auteur. Parce que l’histoire peut encore intéresser bien des lecteurs.

Les images folles qui s’imposent me font sourire maintenant. Je les laisse venir, je les développe à peine et après les avoir écrites, je passe à autre chose, comme tondre le gazon ou peinturer un mur. Ou mieux : je lis Le jardin d’acclimatation de Yves Navarre. Parce que Madame lit en a parlé dans son blogue. Parce que j’ai beaucoup aimé le roman de Luc Mercure dans son roman Le goût du Goncourt qui m’a fait connaitre ce Yves Navarre. Comme quoi, les livres, j’y pense encore. J’y reviens toujours.

vendredi 12 juin 2020

Ces auteures que j'aime

Aveu facile. Plaisir même pas coupable. Depuis que j’ai une liseuse, depuis que les auteurs acceptent que leurs éditeurs publient des extraits, depuis que sur les sites des libraires, on peut en lire, je suis devenue accro. Avant c’était la quatrième couverture, mais c’était vite fait. Maintenant c’est l’extrait.

Je suis accro aux extraits. Dès que je vois un nouveau titre, que ce soit dans les journaux, les blogues ou sur Facebook (je ne suis pas très Twitter ni Instagram), je me précipite sur ma liseuse Koko ou sur les sites de la BANQ, de Biblio Outaouais ou sur celui de Libraires.ca. Parfois, l’extrait me donne envie d’emprunter le livre. Parfois non. 

Ou sinon, une amie me suggère Jean Désy ou Madeleine Chapsal. De belles heures. Je lis mais j’oublie dès la dernière page tournée.
Tandis que pour d’autres, comme on se promène comme sur une route ou le long du fleuve, je flâne, je rêvasse, je m’attarde. De baie en baie, de phrase en phrase. Parfois une odeur, une montagne, une vague. Une émotion, des petits bouts : « Lire, lier. Livre, livrer. Les mots se mêlent souvent. » (Marie-Ève Lacasse dans Autobiographie de l'étranger).

Si le silence se présente, si le banc m’invite, j’entends Clémence qui dit « je suis fatiguée de mes peines ». Je pense aux miennes. J’écris et, je suis comme Virginie Savard : « Je ne sais plus être autre chose que mon bouleversement. »

En ce qui concerne certain·e·s auteur·e·s, point besoin d’extrait, aucune hésitation, attente et amour inconditionnel. C’est certain que j’emprunte ou achète leurs livres.
Louise Dupré 
Hélène Dorion 
Catherine Mavrikakis 
Martine Delvaux 
Michèle Plomer 
Élise Turcotte 
Dominique Fortier 
Nancy Huston 

Elles ont entre 60 et 70 ans. Ce sont des femmes. Des écrivaines. Parfois professeurs à l’université, surtout poètes. Leurs romans ou récits ne m’ont jamais déçue. Je suis leur carrière comme d’autres suivent les spectacles de leurs chanteurs et chanteuses préférés. Elles parlent de leur mère, de leur écriture, de la littérature. Je m’identifie. Elles sont mon miroir. Leurs mots sont ceux que je voudrais écrire. Elles évoquent les lieux, les paysages, les livres que j’aime.

Aussi, j’ai emprunté deux fois Pas même le bruit d’un fleuve, d’Hélène Dorion. J’ai trouvé un peu longuette cette histoire de l’Express of Ireland, d’autant que je la connaissais déjà. La lecture des journaux dans un roman, la longue liste des morts alors qu’il n’y en a qu’un seul qui nous intéresse… Mais à ces auteures, je pardonne tout comme on pardonne à nos acteurs et actrices québécois parce qu’on les aime et qu’on veut qu’ils vivent encore de leur art, qu’ils nous nourrissent, qu’ils nous émeuvent. Et puis je ne me lasse pas des relations mère fille. Ni de tout ce vocabulaire qui déferle comme une vague. Ni de cette route entre Kamouraska et Rimouski.

Quant à Théo à jamais, le drame — une tentative de meurtre de Théo sur son père —, est bien ancré dans le réel des tueries, des violences familiales. Le sujet me touche moins, mais l’écriture, le style de Louise Dupré me font du bien. Comme une séance de thérapie. La colère se dissipe. La compassion refait surface.

Voilà, finalement, depuis de 13 mars qui a chamboulé toutes mes habitudes, qui m’a fait revenir rapidement au Québec où je croyais qu’après quatorze jours de confinement, j’allais retrouver mes vieilles chaussettes et mes bonnes habitudes de lecture, pour m’apercevoir que plus rien n’était comme avant… finalement, j’ai quand même réussi à lire trois livres au complet et de nombreux extraits de livres intéressants.

Qui sait, l’été sera peut-être beau!

lundi 8 juin 2020

Tous ces mots qui ne deviennent pas histoire

Depuis une semaine, écrire les bourgeons devenus feuilles, aimer la variété de tous ces verts printaniers.

Commenter la phrase d’une amie : «Je ne vois pas de gloire à transgresser les consignes, ni de faiblesse aveugle à les respecter.» Ne se sentir ni glorieuse ni faible, juste s’adapter, juste être en paix avec ses choix si difficiles soient-ils.

Depuis avril, changement de dizaine, je suis devenue une aînée. Confinée, retenue à la maison par ordre ministériel. D’où les tiraillements, les argumentations, les différends, les cris et les pleurs. Obéir pour le bien-être de la société. Pourtant, concéder au fur et à mesure des consignes allégées du déconfinement. Vivre à deux, vivre dans une région, dans une province, vivre deux saisons, se faire dire comment vivre. Puis ailleurs, puis à plusieurs, pour retrouver son propre jugement, pour le bien de notre santé mentale.

Et puis, il y a le dehors, les pieds nus dans un gazon fraîchement coupé. La paruline à reconnaître, le nid du merle à observer, le silence ou le vent à écouter.

Il y a tous ces livres à lire. Commencés, inachevés. Que suis-je devenue si je ne parviens pas à terminer un livre d’Hélène Dorion (Pas même le bruit d’un fleuve) ou de Louise Dupré (Théo à jamais)?

Dans l’hebdomadaire Info Petite-Nation, Hélène Desgranges a écrit:
« Claude Lamarche est toutefois incapable de ne pas écrire et a donc privilégié les courts textes sur son blogue, par exemple, à des projets d’envergure pendant le confinement. Cependant, elle avait prévu lire beaucoup. Mais elle n’avait pas la concentration. »

Depuis dix-huit mois que je n’ai plus la concentration. Depuis les refus des éditeurs à publier mon dernier roman. Depuis mes hivers floridiens. Depuis mes nouvelles amitiés. Depuis les jeux addictifs sur ma tablette.

Même les billets de blogue se raréfient. Autant de mots et de phrases dans ma tête, souvent à l’aube, mais enchevêtrés, sans mise en ordre, sans autre but que de trouver comment expliquer ceci à la pharmacienne ou cela à une amie, comment résumer mes prises de position face aux consignes gouvernementales.

Mais jamais de personnages qui me soufflent leurs histoires, jamais de problèmes de narration à résoudre. Que faut-il donc à quelqu’un qui se dit écrivaine pour que tout se mette en ordre, en marche, pour que les gouttes d’eau deviennent des rivières? Faut-il tout simplement accepter que la source soit tarie, que le besoin de raconter sa vie, la vie, une vie, des vies se soit érodé? Que l’appel de vivre est si urgent qu’il passe avant le besoin d’écrire le monde? Accepter l'emprunt d'une nouvelle avenue.

dimanche 7 juin 2020

Quand tout s'emmêle...

La dernière année, j’ai appris comment publier une infolettre. Via la plateforme américaine Mailchimp tellement populaire, tellement « facile » disait-on.

Grâce aux nombreuses pages de guides et de tutoriels… en français cette fois, j’ai réussi à en créer trois en un an. Chaque fois, il faut que je me souvienne, que je relise, et je m’améliore.

Sauf que cette fois, oh! que j’en ai arraché. Et aucun tutoriel, aucune personne ne pouvaient m’aider.

Tout semblait dans la mise en forme, j’avais beau copier-coller du texte directement de Word ou d’un fichier rtf, j’avais beau utiliser l’éditeur de texte enrichi. Rien n’y faisait. Le «verse» devenait «vers» le «publiées» ne voulait pas devenir «publiés», le mot «adoptera» se changeait en «adoptante», des espaces disparaissaient.

J’effaçais tout, je recommençais, je sauvegardais sous un autre nom. J’écrivais directement dans le bloc. J’ai pris des pauses, j’ai dormi une nuit en essayant de penser à autre chose. J’ai posé la question à Facebook.

Ce matin, confiante, je me connecte, ça m’amuse de voir que Google Chrome traduit «show» pour fournir l'aperçu du mot de passe, ce qui devient «spectacle». Et tout à coup, j’y pense… Comme je ne suis pas bilingue, j’avais trouvé génial que Google Chrome m’offre de traduire toutes les pages que je consulte. Et si c’était ça? Je trouvais quand même bizarre d’aller jusqu’à traduire un texte importé en français. En fait il ne traduit même pas, si au moins il avait traduit, j’aurais quand même reconnu des mots en anglais. Non, il supprime ou ajoute des mots, des espaces, des lettres. Et pourquoi ceux-là plutôt que d’autres?

Je cherche donc comment désactiver ce paramètre avancé de Google Chrome. Ce cher Google dont on ne pourrait plus se passer m'indique comment procéder pour désactiver la traduction des pages. Je réussis assez rapidement.

Retour à Mailchimp et à l’infolettre en cours. Je recopie-recolle les textes originaux. J’enregistre, je regarde, j’attends… ça ne bouge pas. Les mots ne changent pas, les espaces sont respectés. Ouf! J’ai du mal à y croire. Aurais-je enfin trouvé le problème? Même si je ne comprends pas de quoi se mêle le traducteur de Google Chrome. Je voulais bien qu’il me traduise les pages consultées en anglais, mais pas qu’il aille jusqu’à contester les importations d’un fichier Word maintes fois révisé!

Et dire que depuis une semaine, j’aurais mieux à conter pour un billet de blogue et j’en suis à parler de Mailchimp, à rabrouer Google Chrome et à perdre du temps à écrire ma futile montée émotionnelle.

Peut-être que finalement, ça aidera quelqu’un. Méfiez-vous du traducteur de Google Chrome, il est partout, il voit tout, il change aléatoirement les mots, les espaces…

Avez-vous déjà remarqué? Ou vécu pareil problème?

lundi 18 mai 2020

Tous ces mots écrits dans le ciel


Dès que je me suis assise sur la galerie, mon regard levé vers le ciel et la cime des grands pins rouges, le calme s’est installé. Le silence a chassé les mots de colère et de frustration des dernières semaines.

Aussitôt, j’ai eu envie d’écrire cette accalmie, ce petit bonheur tranquille. D’une phrase à l’autre, j’ai repensé à toutes celles que tant d’auteurs se sont donné la peine d’écrire. J’ai revu les vieux livres rangés sur des tablettes poussiéreuses du sous-sol. Cette semaine, collecte des gros rebuts. Je jette ou pas? Je vends, je donne? Des romans qui datent des années 40-50, du temps de mon père et de ma grand-mère maternelle. Je ne lirai donc jamais Clara Malraux? Je ne finirai jamais Jean-Christophe de Romain Rolland? Pour qui toutes ces phrases? Pour le ciel seulement?

Tant de phrases, tant de mots, de pensées, d’histoires, de vies oubliés, ignorés, jetés? Et les miennes, mes phrases dans toutes ces lettres, dans ces cahiers que j’ai accumulés au cours de ma vie, je les jette aussi? Les centres d’archives sont déjà si pleins des vies passées. En voudront-ils d’autres? François Côté qui achète et vend de vieux livres anciens et modernes en voudra-t-il ?

Des phrases qui s’envolent au ciel, qui formeront des nuages, qui deviendront des orages ou d’extraordinaires couchers de soleil. Mourront-elles toutes dans les rebuts?

site de François Côté, libraire >>>



samedi 16 mai 2020

Auteure tout de même

Début mai, ce devait être le Festin de livres 2020. Une belle rencontre organisée depuis trois ans par le Centre d’action culturelle de la MRC Papineau.

On sait pourquoi il n’a pas eu lieu, mais il s’est transformé en Festin de livres virtuel avec présentation des auteur·e·s et organismes qui devaient être présents. Tout le mois d’avril.

Puis, toujours dans le cadre du Festin de livres, ce devait être le concours d’écriture. Cette année, le thème était « Terre ».

Il eut lieu.

Je ne me sens plus tellement auteure parce que je n’ai rien en vue. La Floride en hiver, la Covid au printemps, rien pour me donner le goût d’écrire. Ou en tout cas de structurer mes idées, d’exprimer mes sentiments mitigés, de mettre des mots sur mes sautes d’humeur, de faire la leçon aux insouciant·e·s, d’argumenter avec ceux ou celles qui ne pensent pas comme moi.
Mais j'ai participé. Je n'ai pas gagné.

Les gagnants ont eu leur vitrine, ils ont pu lire leur texte sur vidéo publiée sur Facebook. De textes riches, de belles histoires.

Je publie donc le mien ici.

Haro!

Humains de la terre, entendez-vous mes peurs? Entendez-vous mes alarmes? Voyez-vous ma détresse? Je vous le dis « En vérité, je suis malade ». Pas qu’un peu, pas un petit rhume qui passera en quelques jours ou quelques semaines. Non, vraiment pas bien. Et ce, depuis plusieurs années, peut-être même des siècles. Je m’autodiagnostique, je me soigne, je reçois un peu d’aide, mais pas assez. Plus assez. Il me faut vraiment plus.

J’explose de partout. Dans tous mes pores, dans tous mes coins, dans tous mes trous. De tous bords, à l’envers à l’endroit. Dedans et dehors. Je suis fatiguée, essoufflée, fiévreuse. Vieille. Abandonnée.

Sept milliards de personnes et encore plus d’animaux sauvages à faire vivre. Je me sens responsable, mais j’ai besoin de votre aide. J’ai crié. Je crie encore. Je veux bien faire ma part, être optimiste, être courageuse, être patiente, mais qui m’entend?

— Depuis le temps que tu existes, n’as-tu pas déjà vécu de beaux jours, dit un humain moins sourd et moins aveugle que les autres.

La terre n’en avait pas fini de ses reproches.

Toi qui fumes, tu me tues à petit feu.

Toi qui conduis des autos polluantes, tu m’étouffes et tu étouffes tes enfants.

Toi qui m’arroses de pesticides, d’insecticides, tu ruines mes champs, tu mégaproduis, tu épuises mes ressources.

Toi qui continues à recourir au pétrole des sables bitumineux, tu charbonnes mes saisons.

— As-tu fini de m’accuser? Utilise le « je », dit un humain mécontent.

Quand ma colère gronde, je tsunamise, je pleute torrentiellement, j’éruptionne.

Et si je me réchauffe, je me déglacifie, je me déforeste. Quand tu m’exploites outrageusement, je me tropicalise, je cyclone, je guerroie, je pandémise. Je me meurs.

— Bon, bon, tout de suite les gros maux. Je répète : depuis le temps que tu existes, n’as-tu pas déjà vécu de beaux jours, dit une humaine, irréductible optimiste.

La terre réfléchit longuement, calme son emballement, et finit par trouver :

Au printemps, je peux être belle, je rayonne, je refleuris, je colore les forsythias, les tulipes, les cerisiers. Quand j’étais Gaïa, j’ai créé des montagnes, des fleuves, des mers, des ciels. Connais-tu les Rocheuses? Ne marches-tu pas sur les plages de l’Atlantique? Ne vois-tu pas les couchers de soleil du Bas-Saint-Laurent?

Quand comprendras-tu que toi, c’est moi? Que toi et moi, nous ne faisons qu’un? Que ta vie dépend de la mienne. Je suis la vie, prendre soin de moi, c’est prendre soin de toi.

— N’as-tu pas un peu d’espoir? N’entends-tu pas les Greta, Hubert Reeves, David Suzuki. Même Richard Desjardins.

— Ce n’est pas à moi de les entendre, c’est aux hommes, aux femmes, aux enfants, aux collectivités, aux décideurs, aux politiciens, aux entrepreneurs. Et ne pas agir seulement en temps de crise ou lors de tempêtes.

— Bon, bon, d’accord, tu voulais que je me sente coupable, ça y est, tu as réussi. Coupable sur toute la ligne.

— Je ne veux pas que tu te sentes coupable, mais responsable et que tu agisses pour le bien de l’humanité. Parce que prendre soin de la terre, c’est prendre soin de l’humanité.

Les humains, déjà sensibles à l’environnement, s’exprimèrent en chœur.

— Ô terre, ö ma terre-mère, ô Gaïa, source de ma nourriture et de ma vie, je me suis réveillé, j’ai pris conscience que je dépends de toi, et puis maintenant j’agis. D’abord à petite échelle, chez moi, dans ma maison, dans mon jardin, dans ma rivière, dans ma forêt. Il me reste à me joindre aux voix des peuples en parlant à mes voisins, à mes députés, à mes dirigeants. Répéter, insister, démontrer, chercher, produire, recycler. Et surtout te respecter, t’aimer.

samedi 2 mai 2020

Choisir la facilité : obéir

Silence apparent ces dernières semaines. Plus facile de se taire que de chercher les mots pour bien exprimer ce que je ressens. Parce que le ressenti est tout croche. Émotif plus que raisonné. Mais Stéphane Laporte me rassure: 
« Ce ne sera pas évident. Parce qu’elle va vouloir rester en dedans. Elle est très possessive, la peur. Elle est contente de nous avoir juste à elle. Elle n’aime pas nous partager. Ça va prendre bien du courage pour la convaincre d’aller dehors. Mais il faut y parvenir. Lui dire qu’elle aura encore son utilité. Pour nous pousser à être prudents. À respecter les consignes. À nous protéger et à protéger les autres.
Nous sommes des millions à avoir peur, depuis des semaines, pourtant, nous n’en parlons pas. On garde ça pour nous. Ça fait faible. Pas sûr. »
J’ai moins honte et je me sens moins coupable de dire la peur. Je m’étais convaincue que ce n’était pas la peur qui me faisait refuser de prendre le risque d’aller plus loin que ma région. Je disais que c’était ma conscience sociale. Mais oui, aussi. Quand même.

Le degré de peur a augmenté avec l’âge. Je suis moins téméraire qu’à 20 ans quand je descendais à toute vitesse la piste Beauchemin au mont Tremblant. Ou quand je conduisais à 134 kilomètres à l’heure sur une autoroute. Ou même quand je buvais quatre bières en deux heures et que je prenais la route.

Le degré de conscience sociale a augmenté probablement en même temps. Je n’ai pas eu d’enfants, mais j’ai eu des parents vieillissants, j’ai côtoyé des malades, j’ai vu des accidents, j’ai voyagé, j’ai comparé, j’ai vu les effets de nos actions sur notre terre.

Est-ce que la peur me paralyse? Oui, mais à quel point?
La peur me fait-elle prendre de mauvaises décisions? Peut-être, mais mauvaises pour qui?
La conscience de la collectivité a-t-elle bon dos? En partie sûrement.

Se demander qui a tort ou qui a raison, ce n’est pas le moment. De toute façon, on a toujours raison pour ce qu’on pense… puisqu’on le pense, peu importe si c’est à partir d’un raisonnement ou d’une émotion.

J’ai 70 ans depuis quelques jours seulement et les interdits sont nombreux.
Combien de temps encore à obéir? Combien de temps encore à convaincre mes proches de rester chez eux?

En fait, je fais ce que j’ai toujours fait : une liste des pour et des contre avant de prendre une décision: quand sortir, où aller, puis-je voir telle ou telle personne, puis-je accepter la visite d’une telle? Chaque fois : en ai-je vraiment besoin? Puis-je tenir le coup encore quelques jours, quelques semaines? Puis-je attendre une permission officielle? Suis-je tentée d'être rebelle parce que je me sens capable d'évaluer les risques? Oui, bien sûr, comme toute personne frustrée.

D’instinct, je serai toujours pour l’obéissance, je serai toujours du côté de l’autorité, des règles. Mes parents ont longtemps décidé pour moi, mais ils m’ont aussi appris à être responsable, à nuancer, à peser le pour et le contre, à penser aux autres.
Obéir, mais je ne suis pas pour autant aveugle ni sourde, ni silencieuse, ce qui ne m’enlève pas le droit de critiquer, de changer d’avis, de prendre quelques risques en défiant l’autorité.

Choisir la facilité, la sécurité, la paix, la tranquillité d’esprit plutôt que l’anxiété à me demander si je suis en tain de mettre la vie de mes proches, de mes co-citoyens, de mes compatriotes en danger. Ai-je vraiment le goût de peut-être avoir à discuter avec un policier, à me demander qui m’a dénoncée? Choisir le respect de la loi plutôt que de privilégier cette liberté si chère à nos cœurs. Quitte à passer pour lâche, pour peureuse, pour anxieuse.
Mais je commence à être à bout d’arguments pour convaincre ceux et celles qui m’entourent, qui veulent me voir, qui veulent sortir. Sous prétexte qu’on n’est pas atteint du virus. Sous prétexte qu’on est en bonne santé, même si on a 70 ans.

Le cœur s’en mêle.
Le cœur physique qui bat la chamade la nuit quand la conscience ne sait plus quoi penser.
Le cœur émotif quand il faut que je dise non à des gens que j’aime. Parler ou me taire? Parce que la peur de ne plus être aimée s’ajoute aux autres inquiétudes. Et parfois, prime. Et parfois mauvaise conseillère, elle aussi.

De savoir que je ne suis pas la seule à affronter de telles questions, un tel dilemme ne me rend pas tellement la chose plus facile. Me battre n’a jamais été naturel chez moi. Même si ce n’est qu’avec des mots.

Oublier un peu tous les empêchements, trouver plutôt les -- quand même-- nombreuses permissions : marcher sur ma rue, nettoyer le terrain, lire, jouer au Candy crush, préparer une soupe à l’oignon gratinée, prendre un apéro avec des ami.e.s via un écran. Rire.

Et se dire bientôt. Sans fixer de date.

vendredi 17 avril 2020

L'amitié en temps de confinement

Bientôt quatre semaines d’isolement et de confinement.
À suivre l’actualité, à suivre les règles. Au début, c’était facile, c’était dans l’urgence du retour de la Floride, dans le plaisir de redécouvrir son chez-soi où on se sent en sécurité. Encore du soleil dans le corps, encore des ami.e.s dans le cœur.
Puis, une fois les 14 jours passés, on respire un peu mieux, on se dit qu’on n’a pas attrapé ce mau... virus dans les hôtels ou stations-service. Et puis, arrivent les premières boites d’épicerie, et on ne se demande pas si c’est vrai ou faux, mais on nettoie chaque contenant. On communique avec la famille, les ami. e. s. On se remet à lire ou à jouer de la musique. Quand le mercure dépasse les 10 degrés, on va gratter le terrain.

Depuis quelques jours, ce qui me vient à l’esprit, c’est quelle place occupent les personnes dans ma vie?

En ces temps de confinement, quelles sont celles qui me manquent, à qui je voudrais parler, quelles sont celles que j’ai hâte de revoir en chair et en os. Et comme via Internet, je peux les voir ou leur parler, quels sont celles que j’ai hâte d’embrasser, de serrer dans mes bras? Et me confier? À qui se confie-t-on vraiment dans la vie? Et pleurer? Devant qui se permet-on de pleurer?

Je me souviens avoir fait une illustration de mon cercle relationnel lors de cours en relations humaines. Ça ressemblait un peu au diagramme de Jacob Levy Moreno (voir Wikipédia).
Et si j’avais à mettre des mots sur chaque grosseur de cercle ou un mot selon la distance du cercle par rapport au mien, j’aurais des mots comme : amoureux.se, ami. e intime, ami. e proche, copain-copine, camarade, compagnon-compagne, frère, belle-sœur, neveu-nièce, âme sœur, connaissance, vague relation d’affaires, ami. e d’un. e ami. e.

Et si aux questions citées plus haut, je répondais deux ou trois, quelle image aurais-je de moi? Je retarde la réponse pour ne pas être trop sévère avec moi-même. En fait, comme j’ai le temps de réfléchir, je cherche à comprendre à qui je tiens, et pourquoi ça me dérange moins que d’autres cet isolement? Peut-être simplement que certaines personnes ont besoin d’être avec quelqu’un et même plusieurs pour avoir le sentiment d’exister, d’être utiles, de se sentir matériellement en sécurité. C’est dans leur personnalité, certaines personnes sont plus autonomes que d’autres ou moins dépendantes affectivement. Bien sûr, je ne crois pas qu’on soit né pour vivre vraiment seul, on a besoin des autres. Mais à quel degré? Combien de temps par jour, par semaine? Certain. e. s élèves adorent être pensionnaires, d’autres ont détesté.
« Dès qu’il y a plus de trois personnes dans une pièce, je suis nerveuse […] Je rêvais d’aimer les groupes, les bandes […] si je suis ma nature profonde, la foule ne m’émeut que dans le olé d’une corrida […] c’est d’autant plus exaspérant que la plupart des gens sont passionnants, individuellement. Des romans, tous. »
Autobiographie de l’étranger, Marie-Ève Lacasse
Et puis il y en a avec qui on parlerait pendant trois heures, on ne serait jamais celle qui raccroche au téléphone (ou sur Messenger ces jours-ci) et d’autres avec qui on ne veut plus échanger un seul mot, il y en a qu’on évite parce qu’elles nous ont blessé. e. s. Il y en a qu’on délaisse avec un sentiment de culpabilité, sachant par instinct que c’est pourtant ce qu’il y a à faire, n’en retirant plus aucun plaisir ni douceur. Idéalise-t-on plus l’amitié autant que l’amour en croyant qu’un.e ami.e, c’est pour la vie? J’en reviens à mon illustration, tout dépend du degré d’attachement. On ne peut pas aimer tout le monde au même degré. Et les ami.e.s doivent le comprendre. Certain.e.s vivent le sentiment d'abandon ou de trahison plus violemment que d'autres. Moi y compris. Lire ou relire Lise Bourbeau >>>

J’ai eu 70 ans et je n’ai jamais vécu seule. Alors, comment savoir si je suis vraiment cette solitaire que je crois être? Vivre en groupe, ça s’apprend. Je le sais, je l’expérimente chaque hiver, dans un parc de snow-birds. Et je m'améliore!
Finalement, je crois que la réponse à ma question : pourquoi je vis mieux le confinement que d’autres serait multiple. Wikipédia y répond en partie :
« Le processus de socialisation débute dès la naissance et se déroule généralement dans la société à laquelle appartient l’enfant, mais il se poursuit tout au long de la vie pour s’achever à la mort. »
On s’en reparle dans quelques années!

dimanche 29 mars 2020

Un hiver bien différent de celui prévu

 petit album photos pour ce bizarre d'hiver.
Cliquez sur la photo pour atteindre l'album photo

Pendant près de quatre mois, j’ai vécu en groupe. Un groupe de treize, puis un de huit. J’ai vécu dans un parc (le nom qu'on donne parfois à un RV Resort qui n'a pas tout à fait l'air d'un "Resort" ni d'un camping) de Québécois, dans une communauté francophone. Rarement « Je », plus souvent « Nous ». Même assise à la table de ma caravane à sellette, même couchée dans mon lit, j’étais avec tous ces joyeux lurons. Chaque jour, on s’écrivait (oui, oui, sur Messenger, même si on était à quelques pas les uns des autres), on se visitait, on se voyait, on s’aidait, on se parlait, on buvait, on chantait, on sortait, on riait, on a même pleuré.
Nous avons été sur les plages de l'est et de l'ouest, dans des casinos et souvent dans des restos.
Nous nous sommes déguisés, nous avons participé à des soirées thématiques, à des karaokés, nous avons joué dans des sketches. La vraie vie des snow-birds.

Et puis, un virus a fait tout éclater. Autant nous étions ensemble, autant on s’est retrouvé retrouve seul.e. À décider si on reste ou si on remonte. Fini le beau projet de remonter, début avril, lentement en longeant la mer, en campant dans des lieux aimés et connus, à vouloir fêter mes 70 ans devant un buffet de fruits de mer.

On vit seul. e la plus grande bataille de notre vie collective. Comme ça, du jour au lendemain, on se retrouve de l’autre côté du miroir. Sur pause. Une pause mondiale. Je ne suis plus dans un groupe de huit, mais de sept milliards. Je suis seule dans une maison isolée à distance d’un kilomètre de tout voisin, pour le bien-être de sept milliards de personnes, pour le bien de la terre, de la vie.

De cet hiver 2019-2020, je retiendrai tout autant le début difficile parce que des opérations aux yeux nous retenaient au Québec, que les presque quatre mois souvent joyeux, parfois éprouvants vécus avec des personnes que je ne suis pas près d’oublier.

Je ne connais pas l’avenir, mais je sais que je ne serai plus tout à fait la même.

Oui, oui, je suis en quatorzaine.
Mon héros: Éric Ménard qui, dès le lundi 16 mars, nous a bien informés et mis en situation au sujet du virus et des précautions à prendre. 

mardi 31 décembre 2019

Dernier jour de 2019

La photo de 2019 : ce n’est pas chez nous, ce ne fut que quelques jours, mais elle représente cette paix recherchée :
un jour de ciel bleu, un petit vent chaud, la mer, la vie
  à deux, un bon livre.

Dernier jour de l’année. Trente-quatrième billet de l’année. La plus petite en terme de publication de billets. Essoufflement? Fatigue intellectuelle? Plutôt un rythme de vie différent. Quatre mois en Floride apportent des amitiés nouvelles et donc beaucoup de bavardage social qui se poursuit le reste de l’année.

Si je parle plus, corollaire : j’écris moins, je lis moins.
De 2019, je retiens trois titres : Lambeaux de Charles Juliet, Les Foley d’Annie-Claude Thériault et Anne Hébert, vivre pour écrire de Marie-Andrée Lamontagne.
En 2019, après quatre ans de réécritures, d’attentes, d’envois, d'espoir et de désillusions, j’aurai pris la décision d’autopublier Héritages Les têtes dures.
Il y eut la vente de notre Roadtrek donc moins de voyages ici et là, de camping dans les parcs, de petits feux de camp le soir. Mais heureusement, encore de belles rencontres amicales avec des campeurs rencontrés au fil des ans.
Il y eut ces vingt aller-retour à Saint-Laurent en octobre et novembre et deux grippes (je ne pensais pas que c’était possible) en décembre qui ont grugé temps et énergie.
Il y a eu le décès de très bons amis, mais aussi un mariage.
Mais comme toujours, je ne garderai en mémoire que le meilleur : le ciel bleu, les folies et les rires, les chansons et la musique de la Floride; les fêtes, les bons repas en famille; le doux temps de vivre près d’un arbre, d’un oiseau.

Que me réserve 2020? Je ne veux pas le savoir.
Ce que je me souhaite? Rien d’autre que la paix. Celle du cœur, de l’esprit. Celle du corps aussi.
Ce que je vous souhaite : le meilleur.



jeudi 19 décembre 2019

Anne Hébert, écrire pour vivre

1966, 16 ans. Collège Basile-Moreau, Belles-lettres. Un petit bout de femme se plante devant les étudiantes. La plupart des élèves remarquent la jupe. Une jupe que les sœurs Sainte-Croix — encore vêtues de leur long costume noir et blanc—, doivent trouver bien courte. Je remarque plutôt les titres des deux livres : Salut Galarneau de Jacques Godbout et Les chambres de bois d’Anne Hébert.

Enfin des Québécois — peut-être disions-nous encore des Canadiens-français. Après Villon, Racine, Corneille, Musset, Lamartine, enfin le 20e siècle, enfin notre littérature.

Mon père ayant commencé à fréquenter les lancements, j’avais entendu parler de Nicole Brossard, Claire Martin, entre autres, et chez nous, nous avions des livres de Hubert Aquin, Gaston Miron, mais d’Anne Hébert, point de souvenirs.

C’est donc en classe que j’ai découvert, lu, analysé Les chambres de bois. Grâce à un professeur qui a osé.

Aussi un peu grâce à une professeure, Jeanne Lapointe, que les manuscrits de Anne Hébert se sont retrouvés dans les mains d’éditeurs. D’ailleurs la magnifique et richement documentée biographie de Marie-Andrée Lamontagne ne fait pas que le récit chronologique d’une vie, il y est aussi question du monde des éditions au Québec, en France.

La lecture de la biographie d’Anne Hébert a confirmé mon opinion qu’un écrivain devient soit populaire par le nombre de ses lecteurs soit littéraire par la foi d’un ou des éditeurs, et si en plus les critiques publient dans leurs revues, si les professeurs en parlent à leurs étudiants, si les prix affluent, c'est la consécration. J’en conclus qu’un auteur, même s’il est seul quand il écrit, même si son style est pauvre ou riche, original ou démodé, il faut des contacts, des personnes qui croient en lui, qui publient, qui promeuvent ses livres. Dès le départ, son père Maurice Hébert l’a encouragée. Elle a côtoyé son cousin Saint-Denys Garneau, Paul Flamand, Jean LeMoyne qui permettront la publication de ses premiers poèmes (Songes en équilibre). Elle a pu rencontrer Jean Cayrol des éditions du Seuil. Chaque fois les bonnes personnes, au bon moment.

Dès le départ, j’aime les biographies. Celles des écrivains encore plus : Gabrielle Roy, Colette, Marguerite Yourcenar, Virginia Woolf… alors c'est certain, j'ai tout aimé dans ce livre qui fait plus de 500 pages. : l’histoire de ses ancêtres et de sa famille, les lieux décrits que ce soit en France ou au Québec, la terrible tuberculose qui sévissait, qui menaçait à peu près tout le monde, le monde clos des éditions, des subventions. Apprendre un peu de sa vie sentimentale, son amour pour le Français Roger Mame, ses amitiés pour Monique Bosco, Jeanne Lapointe et quelques autres, fidèles, présentes jusqu’à la fin.

J’ai revu Paris, j’ai senti le froid humide de janvier, la chaleur des mois d’août. Marie-Andrée Lamontagne aurait pu écrire une thèse pour le Centre Anne-Hébert, pour notre plus grand bonheur, elle a écrit une biographie qui se lit comme un roman. On vit avec Anne Hébert, on souffre, on marche, on voyage, on angoisse. On admire, on est nostalgique d’un temps qui n’existe plus.

Et on a le goût de relire tous les écrits d’Anne Hébert, spécialement ses romans quant à moi. J’ai même été surprise de voir qu’elle était décédée en 2000. Très discrète, très réservée, fuyant les mondanités et surtout en vivant une bonne quarantaine d’années en France, étudiée en classe et associée à son cousin Saint-Denys Garneau mort en 1943, j’ai longtemps eu l’impression qu’elle avait vécue avant ma naissance ou en tout cas avant que je l’étudie en Belles-Lettres.

Bien sûr, j’ai revu ma vie d’auteure. Je me suis reconnue à quelques occasions.
« Je crois que les plus grandes contraintes sont celles qu’on s’impose à soi-même »
« C’est parfois dur d’être écrivain. C’est tellement exigeant. Et l’on n’a pas le droit de s’en faire accroire. Je veux être honnête avec moi-même et payer le prix de cette honnêteté indispensable. Mais je me demande (surtout lorsque ça ne va pas) si le prix n’est pas le silence [,si] tout du silence (ne plus écrire) n’est que l’appel de la lâcheté tout simplement. »
Je retiens  « le silence n’est que l’appel de la lâcheté. » Question : après la publication de mon dernier roman, Les têtes dures, j’ai senti comme la fin d’un long cycle d’écriture. Je n’avais plus rien à dire. Est-ce lâcheté? Ce serait mon genre. Qu’importe. L’heure n’est plus aux questions, même si la lecture de la biographie de Marie-Andrée Lamontagne m’en a soufflé quelques-unes, je n’ai plus envie de chercher des réponses.

En revanche, j’ai toujours plaisir à lire des biographies qui nous offrent des réponses à tout ce monde sur la création, l’écriture, la publication, la vie d’un écrivain, le monde des éditeurs, des prix littéraires. De surcroît si ce sont des Québécois.es.

Une semaine déjà que j’ai lu la dernière page (j’ai beaucoup aimé le dernier chapitre plus personnel de l’auteure) et encore profondément imprégnée de la vie d’Anne Hébert, je suis bien incapable de lire autre chose. Comme après une rencontre marquante, je repasse dans mon esprit tout ce que j’ai lu. Je savoure ce que j'ai goûté.

Les testaments de Margaret Atwood attendront encore un peu.

mardi 19 novembre 2019

42-32

42-32.
Ça pourrait être le titre d’un roman ou d’une nouvelle.
Ce sera… c’est le titre d’un billet de blogue.

Je vis avec une personne qui fait du glaucome depuis des années. Examen annuel, examen du champ de vision. Trois sortes de gouttes depuis une bonne dizaine d’années. Bien contrôlé faut croire. Rien pour l’empêcher de conduire, de voyager, de lire. De vivre normalement. Elle aurait cru que les problèmes seraient plutôt venus du côté de son arthrite psoriasique dont elle souffre depuis plus de trente ans et qui lui gèle les mains dès qu’il fait 0 degrés dehors.

Tellement heureuse de son séjour de quatre mois en Floride l’hiver dernier, elle en voulait cinq cette année. Pour éviter le stress des routes enneigées au nord, pour vivre le plaisir, la vie de groupe, être dehors, chanter, rire, surtout rire, le départ prévu:  le 4 novembre.

En juin, examen annuel chez son ophtalmo de Gatineau (oui, retenir qu’elle est de l’Outaouais, cette région collée sur l’Ontario).
Rendez-vous sera pris en septembre chez un spécialiste du glaucome… à Ottawa.
Ça doit pas être trop grave si ce n’est que dans trois mois, qu’elle se dit.

24 septembre : Ottawa, donc. À 75 minutes de la maison. Examens. Champ de vision 60 %. Plus de noir que de blanc dans l’illustration. Pas fameux. Bonne nouvelle, le nerf optique pas trop atteint. Il faut opérer. Pratiquer une petite ouverture pour que l’humeur aqueuse s’évacue. L’humeur prend une débarque.
— Puis-je partir en Floride et me faire opérer dans six mois?
— Non, pas avant Noël c'est certain, c’est urgent, si on ne fait rien, à votre retour, vous aurez perdu votre œil. En attendant de vous opérer, je vous prescris du Diamox (tout le monde l’appelle Diamant comme si c’était la pilule précieuse, magique qui règle tout).

Mauvaise nouvelle : l’ophtalmologiste se fait taper sur les doigts parce qu’il opère trop de Québécois à l’hôpital Monfort d'Ottawa. Il voudrait bien opérer à Gatineau, mais il faut qu’il renouvelle d’abord sa licence. Donc impossible de fixer une date pour l’opération.
Dès que possible d’ici deux mois. Calcul rapide : 24 octobre, 24 novembre. Trop tard. Elle veut partir début novembre. Ah! si le rendez-vous avait été en juillet, mais voilà, le système public, c'est ça: long de temps, long d'attente, long de doute.

Pas de panique. Tout un mois pour trouver une solution avant de partir.
Elle regarde du côté privé. Cherche et trouve sur Internet. Obtient un rendez-vous rapidement.
Quant au Diamox qui lui donne des effets secondaires, genre confusion (elle se mêle dans les jours, elle répète des phrases qui n’ont jamais été dites, en plus de la fatigue et de la somnolence), la pharmacienne lui obtient une diminution de la dose.

Mercredi 2 octobre : 90 minutes par la 15 quand la circulation est fluide. Quand la circulation est-elle fluide sur la 15? Ou sinon, deux heures par la 40, ville Saint-Laurent, aucune attente. Examens, rencontre avec le spécialiste, explications des traitements : drain dans un, laser dans l’autre. Et oubliez le Diamox. Yé!
Jeudi 3 octobre : opération, pose d’un implant de drainage.
Vendredi 4 octobre : suivi de l’œil gauche et laser dans l’œil droit.
Lundi 7 octobre : le drain a bougé, retour à la salle d’opération.
Mardi 8 octobre : troisième opération, nouvel implant… cette fois c’est réussi.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre.
— Y a des bonnes chances, oui.

Mercredi 9 octobre : suivi, pression trop basse
Jeudi 10 octobre : tout redevient stable
Vendredi 11 octobre : encore stable
Espoir.

Mercredi 16 octobre : la pression a remonté dans un, stable dans l’autre.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre?
— on va voir dans une semaine.

Lundi 21 octobre : humeur aqueuse instable, humeur tout court variable aussi. On change de gouttes.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre?
— Je pars en vacances pour deux semaines, je veux vous voir avant mon départ, on verra alors.

Mercredi 23 octobre, Saint-Lambert (deux heures par la 30). Bien au-dessus du 21 recherché.
— Je ne peux pas vous laisser partir.

Prescription de Diamox (Oui, oui, ce médicament qui la rend confuse et somnolente. Demi-dose alors).
— On se revoit le 13 novembre, à mon retour de vacances.

On fait un x sur le départ du 4 novembre. On averti ami. e. s et famille. On garde le moral, qu’est-ce que c’est dix jours! L’an dernier on était parti le 24 novembre.

Le 7 novembre, il tombe 12 cm de neige. Ouf! pas de rendez-vous.
Matin blanc, matin beau. Belle lumière.
Mais tout de suite, inquiétude : dans l’espoir de partir pour le sud, je n’ai pas fait poser mes pneus d’hiver. Le stress monte d’un cran.
On commence nos bagages. On remplit l'auto. On regarde les conditions routières de l’Ontario et de l’état de New-York. Si on a l’accord du docteur, on vise le jeudi ou le samedi. Les routes devraient être sèches.

Mercredi 13 novembre :
— Ça s’améliore, je veux vous revoir dans deux mois.
— Pourquoi pas cinq mois? Et le Diamox?
— Si ce n’est pas stable, il faudra penser à une autre petite opération.

Alors, avec ce médecin collaborateur et même la technicienne super efficace, on se met à jaser, comparer les gouttes, discuter des problèmes possibles, penser à passer un examen en Floride, trouver un « Eye Center » près de mon RV Resort, prendre l’avion, revenir à Montréal une ou deux semaines.

— Arrêtez le Diamox, essayez ces nouvelles gouttes, et revenez lundi matin avec tous vos bagages, vous pourriez partir de Ville Saint-Laurent…

On distribue (encore) nos au revoir, on assiste à des funérailles d’une amie très chère. On se dit qu’il faut vivre chaque moment. On se dit que le glaucome n’est pas la mort.

Lundi 18 novembre, 11 heures : 42-32.
Mon cœur arrête de battre. Je sais. On part pas.
— Je vais vous opérer à nouveau. Une petite fistule (ouverture) pour que le liquide s’échappe.
On ne pose plus de questions. On ne demande plus combien de temps.

De retour à la maison, on parle, on pleure un peu, on communique (encore) avec nos ami. e. s, ceux et celles déjà rendu. e. s en Floride, ceux et celles du Québec. Par courriel, par Messenger, par téléphone. Mon frère se réjouit : on pourra assister à la fête de dimanche prochain.

On essaie de se convaincre que le bonheur n’est pas qu’en Floride. Qu’on a des ami. e. s aussi au Québec. Qu’on peut rire et chanter aussi au Québec. Même à moins 15!

On marche sur le chemin blanc, on écoute le geai bleu, on regarde les feuilles des hêtres qui s’accrochent.

Demain, mercredi 20 novembre, 8 h 30 : opération
Et ensuite suivi. s.

Hâte d’entendre 21 partout, c'est beau. 
Entendre : on se revoit dans x mois.
Et sinon.
Je suis née dans un pays de quatre saisons, de neige en novembre, de chaleur en juillet. De ciel bleu, de nuages noirs et de grands champs blancs.
Je vis dans un temps où les ami.e.s sont au bout de mes doigts sur le clavier, peu importe qu'il y ait palmiers ou érables.

(Mise à jour: finalement nous sommes parties le vendredi 29 novembre. Nous devions rester jusqu'au 15 avril... mais avec la Covid, nous sommes revenues le 23 mars.)