jeudi 16 mai 2024

Le 16 mai 1674...

 


En 1674, j’étais de ce grand territoire de 25 lieues désormais nommé Seigneurie de la Petite-Nation.
Avant-avant, j’étais argiles marines dans la mer de Champlain,
Avant, j’étais forêt, rivières et ruisseaux, terrain de chasse et de pêche des Weskarinis.
Je ne savais pas alors:
que je faisais partie de la chaîne de montagnes Laurentides,
que j’allais me détacher de deux voisines fondées bien avant moi,
que j’allais devenir paroisse au début du vingtième siècle.

Je suis de frêne blanc, de tilleul et de noyer cendré,
Je suis de pins rouge, blanc et gris et de couchers de soleil orangés.
Je suis de buttes et de collines, de roches métamorphiques.
Je suis de la Petite rivière Rouge et des ruisseaux Sam, Pearson et Suffolk.
Et surtout, je suis de dépôts sableux et de terre légère, sol idéal pour la culture de la pomme de terre.

En 1902, Ariste Bock, Anthime Paiement, Moïse Charron et Anthime Cloutier se rencontrent, discutent et s’adressent à l’archevêque d’Ottawa, Mgr Thomas Duhamel.
Saint-André-Avellin et Notre-Dame de Bonsecours me laissent aller et, enfin, en 1902, 
je suis constituée canoniquement d’abord, puis civilement. 
J’existe enfin, nommée, désirée, choisie.
Je ne suis plus ce vague territoire du nord de la seigneurie de la Petite-Nation.
De monts et de vaux, je deviens plateau.
Je suis terre d’avenir, terre d’espoir. 
Je suis forêt à défricher, champs à cultiver, maisons à bâtir,
aussi de messes à chanter, mariages à célébrer, familles à établir.

De Labelle ou de Prescott, de Saint-André-Avellin ou de Montebello, sont venus les Lauzon, Bock, Deschambault et Lanthier; ils choisissent le rang Saint-Augustine. 
Les Pilon, les Laporte, les Lalonde s’établissent au village, entre rang Gustave et rang William. 
Les Bédard, Brazeau, Bigras, Deschâtelets, Legault, Perrier, Rieux et Robillard dans le rang Thomas. 
Les Pharand et les Chartrand, dans le rang Procule.
Sont venus aussi des Gauthier, des Perrier.
Les Tessier deviennent Lavigne, les Deguire deviennent Larose.

Je suis de ces hommes et de ces femmes qui ont fait et font encore qui je suis.
J’ai encouragé les commerçants, les hôteliers, les restaurateurs, les mécaniciens.
J’ai vu naître des maires, préfet et député, des policiciens.
J’ai vu se former des organisations, des clubs, des comités.
J’ai vu s’établir des artistes peintres, des artisan.e.s, des auteur.e.s et même des inconnu.e.s.
Plusieurs étudiant.e.s sont parti.e.s, sont revenu.e.s.
Quelques discrètes célébrités vivent ailleurs leur vie quotidienne, 
mais ne renient pas leur origine pacificienne.

Je vois tout ce beau monde s’entraider et s’entredéchirer, se reproduire ou s’ignorer.
Pour un coin de terre, pour un principe. 
Certains fonceurs, d’autres plus craintifs.
Chacun avec ses idées, ses ambitions et ses choix.
Toujours pour le meilleur. Enfin, je crois.

Je me réjouis de toutes les saisons, des semences aux récoltes, des vents froids aux étés chauds.
J’ai vécu des carnavals d’hiver, des Festival de la patate en été.
J’ai vu les jeunes jouer à la balle molle, au soccer, au hockey, à la ringuette.
Était-ce un fantôme ou ai-je entraperçu Jack Rabbit, cet homme qui a conçu le saut à ski du Seigniory Club à Montebello, dans la forêt enneigée qui borne la municipalité?
J’ai deux ou trois bâtiments dignes d’intérêt, publiés dans un livre sur le patrimoine. 
Au fil des ans, les commerces se sont raréfiés, la caisse populaire a fermé, l’école n’est plus une école. J’aurais voulu plus, mais l’important, c’est que je sois accueillante. 
Que de jeunes familles aient envie d’y venir. 
Pour travailler, pour cultiver, pour y vivre plus que les étés.
Je suis triste de voir les octogénaires mourir alors que naissent peu de bébés.

Je suis un peu morte quand l’église a passé au feu, quelques mois avant son centenaire.
J’ai été dévastée de voir la démolition du presbytère. 
Pour se recueillir et parler à nos morts, il reste le cimetière.

Je veux qu’on me nomme, qu’on ne m’oublie pas, que je ne disparaisse pas.
J’étais là, indéfinie il y a 350 ans, au temps de monseigneur Laval.
Bientôt 125 ans 
que j’ai un nom bien à moi, 
que je souhaite fierté aux Pacificiens et Pacificiennes,
que je veux vivre et prospérer... dans la paix,
que je veux laisser bien plus que de merveilleux et célèbres couchers de soleil.

Je suis Notre-Dame-de-la-Paix!




dimanche 12 mai 2024

Attentes


En attendant d’obtenir Liste de mes envies 2, je relis La liste de mes envies 1.
En attendant de lire À quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit?, je lis Ce matin-là.

J’ai vu que dans À quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit? les chapitres sont courts. Deux ou trois pages. Chaque fois un personnage et ses histoires, ses souvenirs. Chacun·e sa nuit.

Alors m’est venue l’idée de l’attente. Je pourrais conter tous ces moments où on attend. Où j’attends.

Comme aujourd’hui : rien de particulier à faire. Pas d’obligation. Ni assez beau ni assez chaud pour un tour de vélo. Un peu de pluie qui m’empêche de peinturer les marches de la galerie.

Impression d’attendre.

Remontent des souvenirs de mes attentes. De mes nuits et de mes envies également.
Comme Jocelyne dans le livre de Grégoire Delacourt, je pourrais faire la liste de mes attentes. Pour certain·e·s auteur·e·s, ça pourrait faire un livre. Pour moi, au moins un billet de blogue?

Il y a les parfois courtes et plutôt banales : attendre que la visite arrive, attendre qu’elle parte. Attendre l’heure polie de tirer sa révérence.

Il y a les stressantes : attendre le verdict d’un docteur. Que le vent cesse lors de tempête. Que la pluie diminue quand je conduis sur une autoroute. Que ton équipe compte un but. Que l’aube se lève et chasse les idées noires.

Il y a les frustrantes : attendre ton tour de parler, attendre que l’autre se taise. Attendre que le trafic diminue. Attendre que l'autre comprenne. Attendre après des formulaires. Attendre qu'un humain réponde au bout du téléphone.

Que la fièvre baisse, que la douleur diminue. Que l’électricité revienne.
Attendre de revoir, de pouvoir, de savoir. De guérir, de revenir à la normale ou comme avant.
Attendre patiemment, sagement, silencieusement.
Attendre sans attentes.

Il faudrait être plus précis. Personnaliser l’histoire. Raconter un souvenir.
Quand j’avais quatre ans, mon frère, mon aîné de deux ans, a eu son premier bicycle. En vouloir un. Il fallut attendre d’être plus grande.
Quand nous avions un répondeur et que j’attendais une date pour une opération. Chaque fois que je revenais d’une sortie, je regardais si le bouton rouge clignotait. Je n’ai plus de répondeur, mais il m’arrive encore de regarder dans la direction de l’objet absent.

Il faudrait montrer à l’aide de verbes d’action, de vrais lieux, les cinq sens, et non raconter.
Mais ça, ça ne me tente plus. Je préfère lire les auteur·e·s qui ont la patience, la persévérance.
Alors attendre les livres de la bibliothèque. Parce que... attendre de gagner à la loterie pour me payer tous les livres que je voudrais!

Heureusement entre chaque attente, et même dans, il y a la joie, la fierté, la satisfaction, la paix, l'espoir de la réconciliation, la respiration, le sang qui bat, qui coule, l’amour des livres, du voyage, du paysage, de soi, des autres, de l'autre.  Le silence dans la tête, la petite musique douce. La vie.
Et je n’en suis pas à attendre la mort.







samedi 4 mai 2024

Dans le cadre du 350e anniversaire de la Seigneurie de la Petite-Nation



Le samedi 20 avril dernier, à Saint-André-Avellin, a eu lieu le lancement du livre La merveilleuse histoire de l’Ange de la rivière de la Petite Nation.

Comme une fin d’année scolaire. Deux ans pour l’autrice et ses collaboratrices, à chercher des photos, à retrouver des écrits de Raymond Whissell décédé trop tôt, à écrire et transcrire. Un an pour moi à monter le livre, à chercher un imprimeur. Comme une distribution des prix. Les discours, les compliments, les éloges, les récompenses après un dur labeur. La bière au nom évocateur L’Ange de la rivière, les petites bouchées. Et finalement le dévoilement du livre.

De retour au silence de la maison, ont-elles, comme moi, ressenti un soulagement? Les épaules tombées, la respiration normale retrouvée? Une fatigue certes, mais une satisfaction du devoir accompli, une fierté de la réussite. D’autant qu’il y avait beaucoup de monde, qu’il y eut de nombreuses ventes. Et des annonces d’activités prochaines pour la Société historique de Saint-André-Avellin, l’organisme qui a publié le livre.

Cet Ange (l’auteure Thérèse Whissell a choisi la majuscule puisque c’est devenu son nom), tout le monde en convient, est un joyau identitaire de Saint-André-Avellin. Une statue en plein milieu d’une rivière, visible du pont... mais il vaut mieux aller la voir de la passerelle construite à côté du musée, rue Bourgeois. Comme elle est là depuis 1923, bien sûr des rumeurs, des histoires devenues légendes. Il en est question dans le livre, mais il y a plus : « Pour en parler de cet ange, une société historique a été créée en 1968. Pour l’entretenir cette statue, une corporation des Affaires culturelles est née en 1990, et un musée expose des objets d’intérêt patrimonial depuis 1992. » c’est ce qui est écrit sur la quatrième couverture et c’est ce qui est raconté — et abondamment illustré dans le livre de 90 pages.

Ce livre fut lancé dans le cadre, des « grandes célébrations » entourant le 350e anniversaire de la Seigneurie de la Petite-Nation. Un événement qui ne passe pas inaperçu dans les réseaux sociaux. (Il le faut bien, il n’y a plus de journaux régionaux, Le Droit n’est qu’en numérique et on ne peut plus partager). Pour tout savoir sur ce grand évévement qui risque d'être mémorable, je vous invite à consulter les liens en bas de ce billet.

Personnellement, je veux juste dire pourquoi cet anniversaire me touche. En fait, je ne sais pas trop. Comme quelque part dans mon cœur, mon esprit, mon sang, mon ADN, ce lieu indéfini où se bataillent autant les souvenirs que les émotions. Je ne suis pas née dans la Petite-Nation, mais j'y suis venue à partir de 1956, l’été surtout et... je l’ai choisie en 1970. Je l’ai raconté dans Ma Petite-Nation (texte disponible dans la colonne latérale).

Pour vous dire que « tout est dans tout », expression qui ne date pas d’hier, je note tout ce qui roule dans ce lieu bizarre qu’est mon cerveau dès qu’on parle de Petite-Nation :
Saint-André-Avellin : ma première année d’enseignement, j’ai travaillé 20 ans au journal La Petite-Nation, mes parents y ont habité, mon frère (qui s’occupe du site Web du Musée des Pionniers), ma belle-sœur, une de mes nièces y demeurent toujours. Mon père a travaillé avec Benoît, Raymond et Thérèse Whissell, il nous en parlait souvent. D’ailleurs ce qui m’a ému dans cette collaboration pour le livre de l’Ange, c’est comme si on rendait hommage à nos pères : Benoît Whissell et Jacques Lamarche. On poursuit ce qu’ils ont commencé.

En tant que... un mélange de graphiste, amoureuse des mots et de l’histoire, auteure par-ci par-là ou tout simplement par un concours de « tout est dans tout », dans le sens, comme l’a expliqué Arthur Koestler (1906-1983):
 « toute personne fait partie d’une unité (l’organisation sociale) qui l’englobe. Toute personne s’ouvre à des unités (des personnes) qui l’englobent »,
je me suis retrouvée à m’occuper des bulletins L’Écho des montagnes du Comité du patrimoine de Ripon. Je ne sais même plus le début, est-ce à partir de Jean-Pierre DeLaplace, conjoint de la sœur de ma belle-sœur, ou de Marthe Lemery, tous de Ripon en 2018? Toujours est-il que depuis cinq ans, comme graphiste, je suis dans le décor de Ripon. Ripon pour moi, c’est aussi les Larose. Des Deguire dit Larose, patronyme de ma mère. Me sens donc un peu parente! Autre souvenir de Ripon : ma descente de la rivière de la Petite Nation en canoë, à 19 ans. Nous étions cinq, nous voulions nous rendre à Ottawa! Certes au pont Neveu et aux chutes du Diable, nous avons fait du portage, mais téméraires furent mes deux compagnons qui, eux, ont bravé quelques rapides... nous nous sommes arrêtés au Portage de la Petite-Nation, faute de résine pour colmater une brèche dans leur canoë.
 
J’ai des souvenirs de toutes les municipalités, mais je vais m’en tenir à celles-là pour aujourd’hui puisque le 18 mai, à Montebello, c’est le Salon des exposants et que je me tiendrai surtout aux kiosques du Comité du patrimoine de Ripon pour expliquer les archives, et c’est certain que j’irai faire un tour à celui de la Société historique de Saint-André-Avellin où sera Thérèse Whissell pour vous parler de son livre. Pendant ce temps, au Musée des Pionniers, d’autres bénévoles présenteront les dernières publications de la Société historique et quelques savoir-faire traditionnels.

Ah! oui, permettez que j’ajoute un mot sur Notre-Dame-de-la-Paix où je demeure. C’est quand même le fait que le sol où je pose les pieds depuis 1972 faisait parti — sans avoir encore de nom— de la Seigneurie de la Petite-Nation en 1674, et comme on en fête le 350e anniversaire, ça m’a inspirée. Je la nomme dans un texte publié aussi dans la colonne latérale. Le lien rapide ici >>>

Bon 350e anniversaire!