dimanche 30 novembre 2025

De sa mère à la mienne, de ses mots aux miens

30 novembre, mon père aurait eu 103 ans. Pourtant c’est à ma mère que je pense.

Parce que je lis Se perdre une boussole sur le cœur de Julie Bosman qui écrit sur sa mère, je revois la mienne. Dans sa maison quand elle a été veuve pendant trois ans, au CHSLD pendant trois ans. Pas vraiment malade, mais pas vraiment autonome.

Dans un « récit protéiforme, Julie Bosman revient sur les conditions de la mort de sa mère et tente de retracer les contours fuyants de sa vie. »

Protéiforme : adjectif – Qui peut prendre diverses formes. Visuellement, en feuilletant les pages, on voit tout de suite : fragments, paragraphes courts, dialogues, courriels, quelques lignes. Presque de la prose poétique. Bref, j’adore. Convient bien à ma façon de penser. Le texte respire et entre chaque phrase, on a le temps de réagir.

Presque toutes les phrases de l’écrivaine réveillent des souvenirs, des émotions. Elle emprunte à d’autres auteur.e.s des phrases pour écrire ce qu’elle ressent. Des mots venus de pas mal les mêmes livres que je lis : Martine Delvaux, Élise Turcotte, Sylvie Drapeau, Catherine Mavrikakis, Hélène Dorion, Christine Angot. Une bibliographie de huit pages qu’elle désigne du joli mot : «accompagnements».

Un livre miroir.
Elle se pose des questions. Les miennes surgissent.
Elle se souvient. Je me rappelle.
Elle revoit les derniers jours. J’entends les dernières paroles.
Elle écrit. Cette nuit, entre deux somnolences, des mots, des phrases tournoyaient dans mon esprit.

Je ne souligne plus, ni ne surligne les phrases significatives et note moins que dans les années où j’écrivais des romans, où je devais analyser et non seulement ressentir. Mais pour celui-ci, je serais tentée. Presque à chaque page.

Souligner des phrases qui nous touchent à divers degrés, à divers moments de la journée, de l’année. Selon nos propres états d’âme, nos culpabilités, nos hontes, nos questions. Selon notre propre vécu.

Écrire sur notre mère, sur notre père, c’est vouloir comprendre notre propre vie. 

Et page 181, grand sourire. L’auteure ne sait pas quelle lectrice je suis! Le fait d’avoir crypté quelques mots dans une coupure de journal m’a rendue encore plus curieuse... et bien sûr, j’ai trouvé.

C’est pas que le livre sur sa mère! Un livre sur toute la société des années de silence.
« Ma langue maternelle est le silence »
Silence sur l’avortement
Sur les filles-mères
Sur le viol
Sur la violence
Sur les enfants adoptés
Sur les enfants abandonnés
Sur les secrets
Sur les non-dits, ce qui ne se disait pas, ce dont on ne parlait pas.
On ne disait pas je t’aime
Aujourd’hui on le dit trop? À tout le monde. Sans nuances, sans établir le degré. C'est pas vrai qu'on aime tout le monde au même degré. Pourquoi la langue française n'imite-t-elle pas les variations des Vietnamiens. Un mot différent selon les personnes. Il faudrait aussi un mot différent selon les années.

Pour Julie Bosman, ce n’est pas une
« littérature rédemptrice, capable de sauver par le geste, d’une liquidation du deuil de la faute, de la honte par le texte.
Ce n’est pas là, dans l’aveu, que se situe mon rapport à l’écriture, pas dans le besoin de se délester, de se débarrasser de quelque chose qui habite, étouffe, broie, mais dans le désir d’investir l’espace de la conversation intime, des liens vivants, du tremblement, de la liberté, de la solidarité, de la communion où une parole peut être pris et accueillie »

Un livre qui me ramène aux miens, mes mots.
La mienne, ma mère.
Je suis contente et encore très fière d’avoir pu l’interroger, la faire écrire les réponses à mes questions, me raconter encore et encore la vie de ses tantes, de son père, de ces orphelins Deguire, de cette grand-mère qui se disait Irlandaise du seul fait que ses parents soient nés en Irlande.
J’ai pu à mon tour raconter, romancer après avoir cherché, documenté. Par écrit cette fois. Dans trois romans.

Elle a eu le temps de lire le premier : en 2011.
Et quand j’ai inventé des romances pour combler les trous, imaginé des drames pour lever un secret, elle a cru que c’était vrai :
« Albert a vraiment aimé Albertine?
— Et non, maman, c’est moi qui l’ai inventé! »

C’était juste avant mon cancer.
Juste avant que je lui dise. Elle croyait que ça aussi je l’avais inventé.
Je lui ai montré la petite ligne encore rouge sur mon sein.
Juste avant que je perde mes cheveux.
Elle est morte cinq mois plus tard.
Je crois encore que ç’a (peut-être) un lien.

On n’en finit pas de notre enfance. 
On n’oublie jamais nos morts qui vivent toujours en nous.
Juste qu’on ne se bat plus contre eux comme des adolescents rebelles, on se bat contre nos démons.
Ou on fait la paix.
Ou on les ignore.
Ou on écrit!

Merci Julie Bosman.

mercredi 26 novembre 2025

Lachute, terroir de souvenirs!

Pour le livre Lachute, terroir de souvenirs ! elle est à la fois auteure, directrice, éditrice, blogueuse, relationniste, cheffe de projet, responsable du marketing, hôtesse, animatrice. Elle a tout réussi. Ce fut long d'espoir, ce fut stressant, jusqu’à la fin : le jour du lancement, il y eut un peu de neige, un peu de glace noire, mais surtout beaucoup d’embarassades et de sourires.

Michèle Bourgon y a longtemps pensé à ce livre, elle l’a tellement voulu. Elle l'aime tellement son Lachute, là où elle est née, là où elle a grandi, là où elle a enseigné, là où elle a aimé.
Pour raconter ses souvenirs, ceux des gens qu'elle a côtoyés, qu'elle a aimés, elle a fait appel à 80 personnes, a lu plus de 125 textes. Lus. Corrigés. Relus. Sans compter les centaines de courriels aux auteur.e.s, à l’imprimeur, aux médias, aux maires, aux librairies, aux bibliothécaires.

Il est beau, coloré. À son goût.
Elle a tout fait. Sauf le graphisme et la mise en page.
Je fus sa graphiste.
Et un peu sa confidente, je pense.
Elle dit que c’est mon livre aussi. Pour elle oui, pour moi, non. Quoiqu’à bien y penser, si quand même un peu.

Pour moi, il y a trois catégories de livres : ceux que je lis, ceux dont je fais la mise en page, ceux que j’écris j’ai écrit. Chacun m’apporte différentes satisfactions. Ça reste qu’ils nourrissent tous ma passion des livres.

Je pourrais presque écrire, comme Lydie Salvayre dans Autoportrait à l’encre noire :
« Je vis avec mes livres. Je pense avec mes livres. Je dors avec mes livres. Ils sont ma force et mon réconfort. Ils comblent mon besoin d’admirer, ils me fortifient, ils m’augmentent, ils me transforment, ils m’instruisent, ils m’égayent, ils m’enivrent, ils me multiplient, ils m’écorchent, ils m’allègent, ils m’enchantent, ils m’emportent, ils m’attendrissent [...] Je ne saurais vivre sans eux. Et je veux mourir avec eux. »

Et comme le dernier « vrai » mien date de 2019, comme je ne me sens absolument plus la force ni la patience ni le cœur à me lancer encore dans l’autoédition-autopromotion, dans cette folle aventure que Michèle Bourgon a vécue la dernière année, je crois bien que pour les années à venir, je serai comme ces femmes qui ne peuvent (plus) enfanter, je vais porter les livres des autres : ceux que je lis et ceux que je mets en pages.

Et encore toutes mes félicitations à Michèle Bourgon pour ce collectif rempli de souvenirs! Les livres seront en vente les 28-29-30 novembre, à la Foire de Noël d’Argenteuil. Les profits de ces ventes iront à la Fondation de l’Hôpital d’Argenteuil.

Quant à moi, à Lachute, depuis bientôt 70 ans, je ne fais qu’y passer alors, dans ce livre, j’ai écrit :


La passante


Lachute.Un entre-deux, un mi-chemin. Entre Montréal et Gatineau. Lieu idéal de rendez-vous.
Elle n’y est pas née, mais elle aime y passer.Pas longtemps, mais souvent.

Elle a 8 ans, elle s’en va au chalet, au lac Simon.
Pour l’été.
En passant dans Lachute, sa mère se pâme devant les belles maisons de briques rouges.
Elle parle de l’architecture victorienne, du pont en porte-à-faux. Elle utilise le mot anglo-saxon.
La petite apprend de nouveaux mots. Elle aime les mots, les lire surtout.

                                                                              ***

Elle a 15 ans, elle revient de son camp de Guides, elle doit retourner au chalet.
À la gare Jean-Talon, elle prend le train pour se rendre à Papineauville. Avant, il y aura Lachute.
Elle entend encore le chef de train crier : « Lachute/Lachout ».
Aujourd’hui encore, elle répète chaque fois qu’elle y passe.

                                                                               ***

À 18 ans, elle part de la ville de Saint-Laurent à vélo, elle pédale, traverse plusieurs villages et se rend à la Laiterie Lowe.
Achète et déguste lentement un cornet de crème glacée.
Au chocolat, sa saveur préférée.
Elle ne fait que passer, elle doit retourner chez elle.
Écrire son journal, raconter ses aventures.

                                                                                ***

Adulte devenue, elle s’y rend pour acheter fruits et légumes au célèbre Marché aux puces, le mardi.
Elle en profite pour manger des mets chinois, ou un morceau de gâteau aux carottes chez Mikes ou encore les beignes chez Dunkin’Donuts.
Il n’y en a pas chez elle, dans la Petite-Nation où elle demeure désormais.

***

Un certain soir de février 1997, à l’invitation de Dominique Legault, la toute jeune Maison de la culture présente une exposition des tableaux d’une amie artiste.
Elle aime les mots, les livres, mais les tableaux aussi.
Elle s’y rend avec une autre amie.
Dehors, une neige collante tombe.
À l’intérieur de l’hôtel de ville, la longue salle étroite est vide.
Et si personne ne venait?
Personne n’est venu.
Sauf un monsieur.
Un passant aussi.
Le député Maurice Dumas.
Il a acheté un tableau.
L’artiste invite ses compagnes au restaurant.
Juste en face, de l’autre côté de la bande centrale joliment installée sur la rue Principale.
Le 16.
Le vin est bon, le menu varié, les plats succulents.
Aujourd’hui, le restaurant Le 16, comme tant d’autres, est fermé.
D’autres ont ouvert.

***

Depuis qu’elle connaît Michèle Bourgon, la passante passe plus de temps à Lachute.
Chez Eatalya, chez Le Caucus.
Comme elle, Michèle écrit.
Elles s’entendent bien.

***

Pour la passante, le nom d’une ville ravive les souvenirs des gens qu’elle y a côtoyés,
des mots qu’elle y a entendus ou qu’elle y a prononcés,
des traces qu’elle y a laissées,
de beaux moments qu’elle y a passés.
La passante l’écrira.

vendredi 7 novembre 2025

Émotions



Émotions de novembre. Dix-sept ans de blogue! 

De toutes les émotions de la roue de Robert Plutchik (voir Wikipedia), je dirais que depuis le 2 août, depuis le jour où nous avons atteint le fonds du puits, j’aurai connu — dans l’action au début, dans l’attente souvent —, presque toutes les émotions répertoriées. Je n’en suis pas encore à l’extase devant la toilette enfin propre, ni la sérénité en écoutant, en surveillant l’eau qui coule du robinet, mais je suis optimiste, au moins elle coule, abondante. Pour la boire, on va attendre encore un peu! Confiantes.

Mais les émotions — en nombre plus restreint— qui me ramènent ici, sur ce blogue plus ou moins délaissé — la surprise, l’étonnement, l’admiration — c’est une étude : Tenir un blogue au Québec. C’est en lisant, sur Facebook — passage obligé désormais —, un message d’une des blogueuses que je suivais, d’une auteure que je lis encore, Catherine Voyer-Léger, qui m’a appris l’existence de cette étude. Le lendemain, dans un commentaire d’une autre (ex) blogueuse, Geneviève Blouin, j’ai eu accès gratuitement au fichier PDF.

Émotion vive, cœur accéléré, recherche rapide, espoir eh! oui, joie, vanité, petite danse de victoire : mon blogue est cité dans la liste des répertoriés! Pas étudié, presqu’invisible avec 300 autres, mais présent.

Retour en arrière de quelques années. Au temps du bon temps des blogues, d’avant les réseaux sociaux. Ces doux matins où j’en découvrais, où j’en lisais, où j’avais hâte d’écrire un nouveau billet. Un temps bien fini. En tout cas pour le genre de blogue que je tenais, que je tiens encore au gré de mes humeurs.

Dans cette étude, il est écrit noir sur blanc avec des mots d’universitaires, de recherchistes ce que je sens, ce que je pense avec mes mots à moi plus ou moins littéraires.
Comme l’exprime Sébastien Rouquette, « l’interaction avec les lecteurs, l’attente de leurs commentaires, de leurs conseils, font partie intégrante des motivations des blogueurs [extimes] ». Ces blogueur·euses seraient, si je puis dire, des diaristes de l’ère numérique.
Déjà en 2008, alors que je commençais tout juste le mien (le nôtre au début, De nos pinceaux et de nos stylos, celui de Louise Falstrault et de Claude Lamarche) déjà Sébastien Rouquette écrivait le mot «extime». Va pour extime, peu importe, chez moi, pas un véritable journal intime puisque ce que j’ai écrit relevait plutôt du domaine public : entre le début et aujourd’hui, les sujets ont varié entre les livres, les auteur·e·s, les voyages, les artistes peintres, la Petite-Nation. Pas tant d’analyses comme des petites chroniques, des billets justement. Du domaine de l’intime, un peu quand même : des impressions, des émotions.

Émotion encore, petite tristesse, désappointement, confirmation de la fin des carnets chez Hamac. Moi qui m’y voyais le printemps dernier encore. J'étais en retard dans les nouvelles, comme on dit!
On mesure en effet peut-être un peu mieux, quelque 20 ans après, l’importance globale du phénomène bloguesque et, à l’intérieur de celui-ci, la place relative de certaines pratiques (tel l’usage du blogue à des fins d’écriture de soi), de même que certains déclins (comme l’intérêt initial des maisons d’édition pour la publication de blogues, qui semble s’être essoufflé).
Ainsi, la collection « Hamac-carnets », consacrée à la publication de blogues, s’est interrompue en 2017 avec la publication de Je pars en Inde de Véronique Daudelin.
En revanche, cette étude m’aura appris qu’on peut « laisser des traces », archiver notre blogue à la BAnQ, sans devoir passer par une publication avec ISBN et tout le tralala tradionnel. En revanche, il y a sélection et crituères de sélection.
D'autre part, pour quelqu’un qui sait — et qui veut vraiment — chercher, on peut trouver plusieurs blogues sur Internet archive, une immense bibliothèque numérique. Les billets sont archivés par date. Pas besoin de rien faire, ça se fait tout seul et on dirait bien que c,est légal, même si personne ne nous demande la permission.



Dernière émotion. Celle qui me réjouit le plus. Par sa douceur. Parce qu’elle vient d’encore plus loin que le début du blogue. Née au fil du temps. Ne s'est jamais affaiblie depuis. Faite d’une tendre combinaison autour de l'admiration sans jalousie. Comme un amour inconditionnel sans qu'on s'en explique ni ne cherche à le faire

Bien sûr, elle est née au sujet d’un livre... et de son auteur. 
Me connaissant, quoi d’autre!
Bientôt, le 7 décembre, à Ripon.