vendredi 15 janvier 2016

Carnet du prochain roman (5)
ou la plainte du travailleur solitaire

Certains jours, après avoir relu quelques pages, j’ai le goût de lâcher.
Un jour, je trouve que j’y mets trop d’heures pour le peu que ça avance.
Une autre fois, je ne trouve pas de solution à mon histoire qui devient incohérente : pourquoi est-elle partie en Gaspésie? Comment a-t-elle pu arriver là alors que le couple ne possède qu’une auto? 
Une autre fois, je trouve que ça ne vaut pas la peine, je ne pense qu’à ça et rien d’autre ne m’intéresse, ce qui n’est pas sain.

Quand il ne reste que le seul entêtement comme raison de le terminer! Et je n’en suis même pas à le terminer, tout juste à l’avancer.
Tant de jours, de mois, d’années pour quelque chose qui se lira en quelques heures, au mieux, quelques jours et qui restera en librairie tout juste trois mois!
Qu’est-ce qui vaut la peine dans ce travail? La fierté? Comment être fière de l’acharnement?

Je sais aussi pourquoi je bloque, pourquoi je résiste. C’est comme si cette histoire ne m’intéressait plus. Je ne la trouve pas si intéressante pour continuer à la conter. Il me vient l’idée de couper là et tout conclure dans un long épilogue ou un chapitre : dix ans plus tard. Qu’on en finisse de ce premier jet. 

Je voudrais déjà écrire autre chose ou plutôt, je voudrais finalement que cette histoire soit déjà écrite et que je n’aie plus qu’à la corriger, la peaufiner. Enlever les répétitions, améliorer le vocabulaire, enrichir les dialogues, que les clichés deviennent des idées géniales. Ça, j’aime. Mais écrire l’histoire, pour moi, c’est pénible. 

Quand je lis un roman ou que je regarde un film, une fois que j’ai compris, que j’ai « vu » la scène, que je sais ce que pense ou ressent le personnage, je suis prête à passer au chapitre suivant. Pour les romans des autres, je peux passer par-dessus les longueurs, aller voir plus loin. Mais quand j’écris, je ne peux pas. Et c’est à ce moment-là, quand ça ne me tente plus d’écrire cette histoire que je résiste. J’attends que le goût me revienne. Ça peut prendre plusieurs jours. 

Et quand ce n’est pas l’histoire qui ne veut pas être écrite c’est la technique qui accroche. Ça ne m’était jamais arrivé. Pourtant je n’en suis pas à mon premier livre. Et comme je n’ai jamais suivi de cours sur le sujet, je ne suis consciente de la possibilité que ça ne survienne que depuis un certain atelier d’écriture, et depuis que d’autres auteurs en parlent dans leurs blogues : le problème du narrateur, le changement du point de vue. 

Dans ma trilogie, dès le début, je savais que je n’utiliserais pas le « je ». Le narrateur omniscient me venait tout naturellement… et sans même connaitre le terme. Dans Les Têtes rousses, il y eut bien une rupture quand je suis passée du personnage de Bridget à celui de sa fille Jenny, mais à force de réécriture et d’ajouts de transition, je crois — enfin, j’espère — que le lecteur a réussi à se détacher de l’une pour accepter la génération suivante. Dans Les têtes bouclées, Léopold était le personnage central autour duquel gravitaient d’autres personnages secondaires, mais dont le lecteur pouvait suivre aussi l’histoire, de l’intérieur si je puis dire.

Pour le troisième tome, je savais qu’il serait question de la mère et de la fille, mais si j’ai réussi dans les cent premières pages à alterner entre l’une et l’autre, comme des vies parallèles, voilà, que, bang, au chapitre 17, les deux font un face à face, atterrissent au même endroit en même temps. Le chapitre commence avec la fille et il se termine avec la mère. Un paragraphe une, quelques lignes l’autre. Plus rien ne va.

Et arrive ce qui devait arriver : je bloque. Les deux veulent agir, parler, penser en même temps. Qu’est-ce que je fais? Je reprends tout depuis le début? Je travaille fort pour séparer les voies devenues siamoises et leur inventer des séquences où elles seront seules en scène? Je continue et on verra plus tard? Ne pas régler le problème tout de suite, est-ce l’envenimer?

Je me sens débutante. Incompétente. Et ce n’est pas un devoir de cinq ou six pages que je pourrais jeter et recommencer. Cent soixante-quatorze pages à revoir. Et pas de professeur pour me tenir la main, pour me dire : 
      — mais non, ce n’est pas si grave, regarde là, tu peux corriger là et là. Pas besoin de tout reprendre, seulement ce chapitre. Et puis tu pourrais faire en sorte que…

         — Oui, oui, j’écoute. Faire en sorte que?

lundi 11 janvier 2016

L'info lettre du distributeur Prologue

Dans mes courriels, une info-lettre qui me ravit.
Pour certains, ce n'est peut-être rien, mais pour moi, c'est beaucoup, parce que la première fois.
Au milieu d'une vingtaine d'auteur-e-s qui, comme moi, verraient très bien leur roman en séries ou en film, j'en suis certaine. Producteurs, vous avez l'embarras du choix.

Merci Prologue.
voir cette info-lettre >>>





dimanche 10 janvier 2016

Carnet du prochain roman (4)


Certains jours, la petite musique ne joue que des notes dissonantes.

Certaines heures, la tête écrit plus que le cœur. Les tripes que tout le monde veut nous voir mettre sur la table étaient probablement indisposées. Comme si l’humain vivait vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur un air endiablé et le cœur battant! Dans nos histoires, il faut laisser souffler le lecteur aussi, lui non plus ne peut pas soutenir — comme à ses 18 ans — le rythme de sensations fortes tout au long de sa lecture.

Tout un art ou une science ou au moins tout un travail que de mettre ses tripes sur la table et qu’au final, le plat soit bien cuisiné, bien équilibré et non pas une simple coupe de boucher — la meilleure soit-elle — simplement cuite dans un poêlon.

Aujourd’hui était un jour de boucherie, de cacophonie. 

Je devais avoir l’esprit ailleurs. Dans ma vie. Parce que je n’arrête pas de vivre pour écrire. Et même bien concentrée, même si je ne regarde pas le temps qu’il fait dehors, que je ne pense pas à la brassée de lavage que je devrais faire, le téléphone sonne parfois, une amie peut avoir besoin de mon écoute. 

J’ai essayé de lire de bons textes pour me remettre sur la bonne voie. Mais les bons textes ont leur propre musique, leurs propres saveurs. J’ai lu quelques pages de Wildwood de Johanne Seymour à qui j’envie son parcours de scénariste et de réalisatrice parce que je suis certaine que ce qu’elle a appris lui sert aujourd’hui à rendre son histoire mieux structurée. Alors que moi je peine chaque jour, à chaque chapitre pour que le tout soit un beau concerto, un bon mijoté. Le fait que dans ce roman paru en 2014, il soit question d’une adolescente québécoise qui vit dans les années 1968 m’a un peu troublée. Québec – 1968 – adolescence : comme dans mon prochain roman. Pendant quelques minutes, j’ai paniqué, comme j’avais un peu paniqué devant Fanette qui venait de l’Irlande. Mais aujourd’hui, je me raisonne plus rapidement : ce n’est pas parce que le sujet a déjà été traité que je ne peux pas jouer dans les mêmes plates-bandes. De toute façon, tous les sujets ne l’ont-ils pas été, tout le monde aborde les mêmes thèmes : la vie, l’amour, la mort, la jeunesse, l’âge mûr. S’il y a une époque dont les Français sont friands, c’est la Deuxième guerre mondiale et ça n’empêche pas les écrivains d’y ajouter leur version personnelle encore aujourd’hui. 

Sans prétention, j’ai donc relu quelques pages des Têtes bouclées et des Têtes rousses pour retrouver ma propre petite musique et marcher dans mon propre et unique sillon. 

Aujourd’hui est un autre jour. Écoutons pour voir si ce sera Wagner ou Chopin. Led Zeppelin ou les Beatles, Charlebois ou Vigneault.

dimanche 3 janvier 2016

De ma fenêtre

Premier billet de l’année 2016. Le silence revenu dans la chaumière n’est pas nécessairement signe de calme dans ma tête. Celui, indispensable, qui me permettrait le retour à l’écriture. Il me semble que je passe plus de temps à « me remettre à l’écriture » qu’à écrire. Comme si c’était une saison à part, hors du temps, qu’il fallait tout arrêter pour se concentrer sur cette seule activité. Au temps où je « travaillais », je n’avais pas à arrêter de vivre pour être fonctionnelle. Je me levais, je m’habillais, je déjeunais, je partais (en janvier, souvent je devais pelleter un brin afin de pouvoir sortir de la cour) et une fois rendue devant mon bureau, après un rapide bonjour aux collègues, ça y était je me mettais au travail. Pas besoin de réchauffement, pas de procrastination, pas de détour, pas de grandes questions existentielles. Parce que j’étais sur l’automatique? Parce que j’étais préparée et que je n’avais pas de doute? Parce que ce que je faisais était important, utile, rentable? Ça devait être fait, j’avais été employée pour un travail et je le faisais. Tandis qu’écrire? Sans échéance précise…

Pourquoi ce n’est plus du tout le cas? Parce que je n’ai pas de patron, pas de paie à gagner, pas de preuves à faire, pas de travaux à remettre? Pourtant, je ne suis pas devant une page blanche. J’ai des feuilles imprimées devant moi. Je n’ai qu’à relire, à améliorer, à corriger, à ajouter, à voir à ce que la scène soit plausible.

Ce matin, regard vers la fenêtre. Petite neige qui tombe. Les branches des arbres sont abondamment recouvertes, chargées sans être lourdes. Tout est noir et blanc. Féerie silencieuse. Distraction, perspective de promenade dans la forêt. En raquettes, enfin. 

Distraction aussi à repenser aux dernières journées : aux fêtes de famille. Quelques nouvelles réjouissantes pour les uns, des difficultés pour les autres. Des histoires d’enfants, des histoires de lutins. Des cadeaux et de la boustifaille. Du champagne de France et du Pinot noir de Suisse, et de joyeuses conversations. Du « racontage » de souvenirs. Beaucoup de bavardage. De quoi entretenir une grippe qui traîne depuis Noël. Qui me fait des nuits où je dors assise plutôt que couchée. Qui me fait des yeux lourds. Mais aussi se reposer en lisant Paul dans le Nord, se divertir en regardant un film datant de 1967, Loin de la foule déchaînée (trouver que le titre ne convient pas vraiment), voir dans le personnage de Julie Christie une vague ressemblance avec la Scarlett O’hara si orgueilleuse. 

Et donc l’esprit bien loin de mon roman.

Pourtant, il ne s’écrira pas tout seul ce roman. Comment font les écrivains qui écrivent en trois mois et même douze? Ont-ils des employés qui pellettent, qui préparent les repas, qui font le lavage, qui font l’épicerie? Probablement qu’ils ne bloguent pas! Ni ne regardent par la fenêtre.

Alors, laissons la rêverie, détournons la tête de la fenêtre, fermons la porte du bureau et, le cœur content des fêtes passées en famille, le corps heureux de sa promenade en raquettes... allons écouter ce que Mireille Deguire veut nous raconter aujourd’hui.

Eh! oh! Mireille, es-tu là, es-tu prête? M'attendais-tu? Me voici.