Le « tu » employé dans La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau Lavalette m'avait frappée en plein cœur.
J’ai voulu savoir si d’autres écrivains l’avaient déjà utilisé. Avec autant de force et de bonheur.
Dans la courte liste suggérée par Wikipedia, et après quelques fouilles dont j’ai le secret, c’est l’extrait de Lambeaux de Charles Juliet, publié en 1995 qui me tentait le plus.
« Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrir ta lumière. Dans l’âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. À tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable, et fréquemment, tu songes à un départ, une vie autre à l’infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude. »Indisponible en numérique à ce moment-là. J’ai attendu. J’espérais, je rêvais. Je lisais le résumé.
« L’auteur a voulu célébrer ses deux mères […] La première, celle qui lui a donné le jour, une paysanne, à la suite d’un amour malheureux, d’un mariage qui l’a déçue, puis quatre maternités rapprochées, a sombré dans une profonde dépression. »J’imaginais cette paysanne comme un des personnages de Maupassant. Dans les tons de bruns, dans une maison basse, sur une terre sèche. Dans un village triste, dans un pays de vent.
Le lambeau, sans « x » de Philippe Lançon était beaucoup plus en demande. J’ai même eu le temps de lire un et oublié l’autre. J’ai même eu le temps de réécrire une partie de mon manuscrit au « tu ». Saurai-je jamais s'il plaira autant que celui de Charles Juliet.
Ma patience fut enfin récompensée. J’ai enfin aperçu la couverture blanche sur le site de la BANQ.
Quel plaisir cette lecture lente et douce! Une histoire triste, mais pas misérabiliste, pas accusatrice. Je ne l’ai pas lue sur le bout de ma chaise, les dents serrées, ni la larme à l’œil ni le cœur battant quand les émotions sont trop fortes ou que l’histoire vous touche de trop près. Pourtant, qui n’a pas connu une mère dépressive après un ou plusieurs accouchements? Pourtant la détresse. Pourtant le mutisme. Pourtant une lourde solitude.
J’ai aimé ses arbres :
J’ai aimé le « tu ». Même pour lui, dans la deuxième partie. Le « tu » qui ne permet pas autant que le « je », mais ce « tu » peut être chacun. e de nous. Notre regard comme dans un miroir. Fait moi mal. Pourtant on sent la souffrance et l’ennui de la mère. On sent le sentiment d’abandon, la mésestime de soi du fils.
Un manque d’estime qui l’a mené au doute quand est venu le temps d’écrire.
À la fin du roman, l’auteur a écrit : 1983-1995. Ça lui aura pris douze ans pour écrire l’histoire de sa mère et la sienne.
J’ai aimé qu’il découvre la lecture et l’écriture. Tous ces mots qu’on voudrait écrire. Tout cet amour qui meurt dans le silence de nos solitudes. Ou de nos peurs d’être soi-même.
L’auteur, lui, donne la parole à ses deux mères :
Quel plaisir cette lecture lente et douce! Une histoire triste, mais pas misérabiliste, pas accusatrice. Je ne l’ai pas lue sur le bout de ma chaise, les dents serrées, ni la larme à l’œil ni le cœur battant quand les émotions sont trop fortes ou que l’histoire vous touche de trop près. Pourtant, qui n’a pas connu une mère dépressive après un ou plusieurs accouchements? Pourtant la détresse. Pourtant le mutisme. Pourtant une lourde solitude.
J’ai aimé ses arbres :
« La robustesse, la remarquable blancheur de son tronc, et ses branches graciles, aux extrémités retombantes, avec au sommet ces quelques frêles feuilles qui frissonnent. Tu te reconnais dans le jet puissant de son tronc. »J’ai pensé à mes grands pins qui valsent, qui craquent, qui protègent du blizzard. J’ai revu des arbres du sud dans lesquels les oiseaux pépient joyeusement.
J’ai aimé le « tu ». Même pour lui, dans la deuxième partie. Le « tu » qui ne permet pas autant que le « je », mais ce « tu » peut être chacun. e de nous. Notre regard comme dans un miroir. Fait moi mal. Pourtant on sent la souffrance et l’ennui de la mère. On sent le sentiment d’abandon, la mésestime de soi du fils.
Un manque d’estime qui l’a mené au doute quand est venu le temps d’écrire.
À la fin du roman, l’auteur a écrit : 1983-1995. Ça lui aura pris douze ans pour écrire l’histoire de sa mère et la sienne.
J’ai aimé qu’il découvre la lecture et l’écriture. Tous ces mots qu’on voudrait écrire. Tout cet amour qui meurt dans le silence de nos solitudes. Ou de nos peurs d’être soi-même.
« Il faut qu’un jour tu sois capable de lui écrire des lettres où elle pourra lire tout l’amour que tu lui portes.»Il a fait dire à sa mère :
« Je crèveMais au lieu de lui parler, on l’a enfermée.
parlez-moi
parlez-moi
Si vous trouviez
les mots dont j’ai besoin
vous me délivreriez
de ce qui m’étouffe. »
L’auteur, lui, donne la parole à ses deux mères :
«tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu’elles ont toujours tu.»J’ai aimé la fin qui se termine par une guérison, un espoir, une « naissance à soi-même ».
« Tes blessures ont cicatrisé. Une force sereine t’habite. Sous ton œil renouvelé, le monde a revêtu d’émouvantes couleurs. Tu as la conviction que tu ne connaîtras plus l’ennui, ni le dégoût, ni la haine de soi, ni l’épuisement, ni la détresse. Certes le doute est là, mais tu n’as plus à le redouter. Car il a perdu le pouvoir de te démolir. »Je suis heureuse qu’aujourd’hui, chez nous, nous ayons le droit de parler. Sans qu’on nous enferme. Sans mourir étouffé dans nos mots tus. Qu’on dise je ou tu ou elle, mais qu’on puisse parler, écrire.