Les livres
« C’est dans l’univers des livres que je me reconnais le mieux. »
C’est Élise Turcotte qui l’a dit dans une entrevue fort intéressante (lien à la fin du billet), mais je suis certaine qu’elle n’est pas la seule à le penser. C’est mon cas, et ce, depuis la Claude Dorsel du Club des cinq (romans d’Enid Blyton).
Et je dis bien livre, je ne dis pas écrits, textes, articles de journaux. Encore moins commentaires facebookiens ou ce langage bizarre de
#Édesse #Alagan #dystopie 2017 #fantasy #SFFF aux ed @LuneEcarlate #scifi que je n’ai pas encore réussi à déchiffrer. Beaucoup de tapage, beaucoup de hurlements. Du roulis et du tangage qui me donnent mal au cœur ou qui m’étourdissent.
Dans les livres, je retrouve le calme, je trouve des réponses, je trouve d’autres questions. J’ai le temps de penser, de réfléchir, de me laisser aller, de me laisser bercer par la musique des mots. À condition de les ouvrir un à un, ces livres, et non pas, comme lors de la recherche dans un dictionnaire ou maintenant dans Google, aller de l’un à l’autre sans prendre le temps de goûter à chacun.
Les livres me montrent le monde, l’histoire, les gens. Le cœur des gens surtout. Leurs pensées un peu plus poussées, leurs émotions un peu plus analysées. Ce qu’ils ont été, ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent devenir.
Les carnets
Si je privilégie les romans, j’adore également les biographies… et donc les carnets.
Robert Lalonde, le camp littéraire Félix, et Lévesque éditeur encouragent ce genre littéraire que nous sommes peu nombreux à apprécier, on dirait.
Je lirai sûrement quelques autres carnets proposés par l’éditeur Lévesque, d’autant que ce sont des écrits d’auteurs québécois, de quoi m’identifier. Au moins, les feuilleter. À force d’en lire, saurais-je en écrire? Peut-être que ces billets de blogue me mènent sur cette route de l’observation, de la flânerie, du simple plaisir de raconter sa journée — sans oublier de la vivre et non seulement lire celle des autres. L’ai-je vraiment quitté cette route déjà empruntée à 20 ans, quand j’ai écrit Je me veux?
Les carnets d’André Major
Les carnets de Robert Lalonde me plaisent depuis de nombreuses années, mais je viens tout juste de trouver ceux d’André Major.
C’est Yvon Paré qui a écrit un billet sur le dernier carnet,
L’œil du hibou, mais j’ai d’abord lu le premier, celui qui couvre la période de 1975 à 1992,
Le sourire d’Anton ou l’adieu au roman. Comme je songe sérieusement à cesser d’écrire de la fiction, juste à lire « l’adieu au roman », je me demande bien ce qu’André Major a voulu dire par « adieu ».
Je retiens de ma lecture beaucoup plus que les citations que je note ci-dessous. J’ai trouvé que le carnettiste avait le jugement parfois cinglant. Mais ne l’avions-nous pas tous dans nos jeunes années? Ou même dans ces années de grands changements quand les Québécois, qu’ils soient écrivains ou non, sortaient des collèges et des églises et cherchaient haut et fort une langue, une identité, un pays?
Mais j’ai eu un grand sourire en repensant à ce que je dis souvent des créateurs québécois : je leur pardonne tout parce que je les aime. Je ne peux pas ne pas les aimer, ce serait me détester moi-même, me juger moi-même et me condamner moi-même. J’ai maintenant la réputation de n’aimer que les Québécois, qu’il s’agisse de livres, films ou œuvres artistiques, ce qui est faux bien sûr.
André Major est beaucoup moins tendre que moi pour les auteurs québécois : dans les années 80-90, il se
« reconnait des affinités avec les Savard, Bessette, Thériault, Langevin, Ferron, Roy et Guèvremont, mais il retourne toujours à la lecture des Stevenson, Faulkner, Giono, Pavese, Hamsun, Onetti, Gombrowicz et Tchekhov. »
« Ce qui n’empêche pas que ma sensibilité esthétique et mes préoccupations m’apparentent davantage à Gombrowicz ou à Tabucchi que par exemple à Anne Hébert ou à Michel Tremblay. »
Autres citations
Comme si je me voyais dans un miroir:
« J’aurais aimé être doué d’une imagination débridée, aussi impersonnelle que possible, et non cantonné comme la mienne dans un territoire à peu près immuable et que je suis incapable d’étendre au-delà des frontières qui me sont familières. »
« Un grand écrivain, ou enfin un écrivain qui passe pour être grand aux yeux de ses contemporains, peut tout se permettre […] tandis que pour l’écrivain de peu de renom […] son obscurité lui interdit de médire des œuvres qui lui puent au nez : on y verrait de la jalousie. »
En parlant du monde de Michel Tremblay, André Major écrit en 1990… Je me demande si comme moi, il a changé d’idée depuis.
« L’affranchissement de la pensée passe nécessairement par le refus critique du langage mou qui trahit une absence de rigueur intellectuelle assez inquiétante. »
Au retour d'une réunion, d'une rencontre un peu houleuse, il n'y a pas une conversation que je ne me repasse pas dans ma tête. Pas la seule à ce que je vois:
« Je constate souvent que j’ai trop parlé ou tenu des propos qui caricaturaient ma pensée. Ou bien que je ne n’ai pas assez parlé, et alors me viennent à l’esprit les répliques que j’aurais dû lancer au bon moment. »
« Il me semble que tout ce que je possède vraiment, c’est une langue d’usage quotidien, bonne à tout faire si on veut, et qui m’échappe dès lors que je lui en demande davantage, par exemple de se muer en écriture. L’écrivain en moi la voudrait pur jaillissement […] parcourue de frissons et miroitante tout à la fois. »
« Je ne sais trop ce qui est le plus insupportable chez les écrivains : la fatuité de celui qui a réussi avec peu de talent et beaucoup de savoir-faire ou l’amertume de celui qui, faute de savoir-faire, n’a pas vu son talent reconnu. »
Dans le texte, une citation de l’écrivain trinidadien V.S. Naipaul :
« Rien ne révèle un être comme une fiction qu’il écrit. Si vous écrivez un roman, vous déclarez en même temps : c’est ceci qui m’émeut, qui me semble beau, etc. Vous ne pouvez rien cacher, vous vous trahissez. »
Au sujet de la langue, je rappelle que ce sont des opinions qui ont été écrites en 1992 :
« Au-delà de la langue, ou plutôt à travers elle, c’est une crise profonde qui se trouve ainsi dévoilée : celle d’un peuple victime d’une sorte d’anémie culturelle et qui, faute d’affirmer autrement sa différence, se replie sur une langue infantilisée. “Dis-le dans tes mots, moman va comprendre”, tel devrait être le slogan publicitaire du Robert québécois qui n’est rien de plus que le vadémécum de notre rapetissement culturel. »
«Il arrive aussi, comme c’est le cas en feuilletant les Carnets du romancier polonais Kasimierz Brandys, qu’une réflexion vous frappe avec la force et la vélocité d’une évidence, que vous faites vôtre aussitôt, un peu déçu tout de même de ne pas en être l’auteur. »
La semaine dernière, au bord du fleuve, je guettais les sarcelles et la marée, aujourd’hui, de retour à la maison située entre une plantation de grands pins rouges et un champ de soya, jaune et sec, bientôt prêt pour la récolte, j’épie le suisse qui grappille les dernières mûres. Et, comme un carnettiste, peut-être un jour en parlerais-je plus joliment.