samedi 25 mars 2017

Liens obsessionnels

Billet que je ne devrais pas publier.
Publier ce billet, c’est avouer que je deviens obsédée, que je deviens plaignarde, que je ne surmonte pas un refus au lieu de me retrousser les manches, encore une fois, et de corriger mon manuscrit.

Pourtant, j’ai recommencé à le corriger, je l’ai imprimé, j’ai acheté un nouveau stylo rouge. Je biffe des paragraphes entiers, je reformule plusieurs phrases. Parfois convaincue de l’améliorer, parfois doutant de la pertinence de mes choix. Sera-t-il meilleur?

Ce qui ne m’empêche pas de râler encore.
Comme une déprime de postpartum qui n’en finit pas, malgré le goût du travail revenu.
Donc je publie tout de même le résultat de ce petit schtroumpf grognon qui n’est jamais bien loin. Juste pour libérer les toxines.

L’obsession me guette. L’idée fixe. La dépendance. Le déséquilibre. Le négativisme.
Si je n’y prends pas garde. Si je ne ventile pas. 
Jeter mes (inutiles) rechignements sur papier m’apporte-t-il un quelconque réconfort? Je dirais que oui. Après avoir craché son venin, le serpent se sent-il soulagé?

Lu ce matin sur Facebook :

Qu’est-ce qu’un auteur devrait écrire dans son blogue?
J’ai accroché sur le verbe « devrait ». Si écrire un blogue est un devoir… En ce qui concerne le mien, ça n’a jamais été et ça ne sera probablement jamais que la seule auteure qui l’écrit.
Sauf peut-être ces mois-ci. 

Ces mois-ci, depuis le refus de la maison d’édition pour la troisième version de mon roman, j’ai bien dû mal à penser à autre chose. En fait, oui, bien sûr, je me demande ce qu’on va manger pour souper, je vais pelleter et passer la souffleuse (eh oui, encore un 25 mars), je joue à Candy Crush, je cherche sur Google maps où je pourrais bien aller camper au mois de mai, mais disons que je ne passe pas une heure sans qu’une phrase, une image ne s’imposent à mon esprit. Je vais à la poste à pied? Tout au long, la tête penchée, je réfléchis, je fais parler mes personnages. Et puis, je me force à lever les yeux à regarder les grands champs encore tout blancs, à lâcher prise, à laisser le vent s’emparer de mes pensées et les diluer vers les montagnes lointaines.

Pourtant, de retour à la maison, je consulte mes blogues préférés, et pas un ne me ramène pas à mon roman.

Lu ce matin sur le blogue Je suis feministe
l’héroïne a l’intuition que sa place est dans la vie publique, avec les femmes en lutte, lorsqu’elle croise une manifestation à laquelle elle aimerait participer, mais voilà, il y a les enfants à aller chercher, le souper à préparer… Son mari fait semblant de la comprendre, mais la traite en femme. 
Ta maison est en feu de Margaret Laurence
Je n’ai pas aussitôt terminé le billet que je me précipite sur le site de la BANQ/prêtnumerique. Je lis l’extrait du livre. 
À qui je pense bien sûr : à mon personnage, Mireille. À accentuer, approfondir son rôle de mère. 

Mon « je » est auteure à l’affût 24 heures sur 24. Même quand ce « je » semble occupée à autre chose, l’auteure n’est jamais bien loin.
Surtout quand elle lit : que ce soit les blogues, Facebook, un journal et le pire, un roman ou des extraits de romans. 

Lu également Chez le fil rouge
Dans ce sublime petit ouvrage, l’auteure à la prose délicate et imagée nous ouvre les portes de tous ses petits cabinets d’écriture et nous confie des passages de ces batailles incessantes menées au cours de sa vie d’écrivaine avec ce lion, cette grande bête obstinée, son roman, son écriture.
Le « petit ouvrage » dont il est question, c’est En vivant, en écrivant d’Annie Dillard. Comme toujours, tout de suite, j’ai été voir s’il était disponible en numérique. Eh non. Ça attendra. 
Le pourquoi ou le comment ou toutes les questions d’ailleurs que se posent d’autres écrivains m’interpellent bien sûr. Mais toutes leurs réponses ne m’intéressent pas. Il faut que je m’identifie un peu. Elles me laissent rarement indifférente : soit j’apprends et ça me donne des ailes. Soit j’apprends, je m’interroge et ça me jette par terre de doutes. 

Comme dans Histoires de s’entendre de Suzanne Jacob 
L’urgence et la patience de Philippe Toussaint 
Questions d’écriture de Jean-Jacques Pelletier 
Le très compliqué Si une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino. 
Et, peut-être à venir : En vivant, en écrivant d’Annie Dillard.

Lu aussi le début du roman Les égarés de Lauri Lansens dont j’avais bien aimé Les filles.

Et dès le début, je remarque le peu de transitions entre les chapitres. Ça ne me dérange pas, mon cerveau sait enchaîner. Mais je me dis « pourquoi elle et pas moi ». Pourquoi à moi, on a reproché le manque de transitions ou le manque de diversité dans les transitions? Pourquoi il en faut dans mon roman et pas dans le sien? » 
Je connais la réponse bien sûr : une seule remarque et même toutes les remarques pour refuser un manuscrit n’expliquent pas tout. Quand bien même je corrigerais, quand bien même je répondrais à toutes les interrogations, ça ne m’assure pas d’une publication. Je sais bien, mais le schtroumpf grognon, lui, c’est dans sa nature de râler.

Vais-je un jour lire un roman sans comparer avec les miens? Sans faire de liens avec les miens?
Sûrement. Quand le dernier sera publié!

Si vous êtes las de lire mes interminables litanies… avec le printemps qui vient, il y a de l’espoir. La voyageuse prendra peut-être, enfin, la relève. 
Quoique la voyageuse aussi pourrait voir le prix exorbitant de certains campings ou être découragée devant les emplacements réservés des mois à l’avance, qui lui laisse croire qu’à son arrivée, il n’y aura pas d’emplacements disponibles dans ses campings préférés.

Et vous, quels liens fait votre cerveau entre ce que vous lisez et ce que vous vivez?

dimanche 19 mars 2017

Trois livres : une entrée substantielle, un plat principal indigeste, et un dessert exquis, café en sus

Trois livres, trois styles différents, trois auteurs de nationalité différente : un Japonais, un Américain et une Française. Trois impressions.

Le premier livre m’a été suggéré par une lectrice qui connait la littérature et le Japon : La femme des sables de Kôbo Abé. Un auteur japonais que je ne connaissais pas. Donc pas d’idées préconçues. Le livre a gagné des prix, mais en général, j’essaie que ça n’ait pas d’influence sur ma décision de lire ou non. J'essaie!

Un entomologiste échoue dans un village qui ressemble à une sablonnière. Et le voilà prisonnier au fond d’une dune. Toute l’histoire ne tient qu’à ça : prisonnier du sable. En compagnie, disons à côté, d’une femme qui passe ses grandes journées à rejeter le sable qui entre par toutes les fissures et les murs de la maisonnette. 

Comme pour chaque nouvelle lecture, qu’importe ce qui a attiré mon attention pour le choisir, l’ouvrir, le feuilleter, c’est toujours le style qui arrête mon élan ou qui, au contraire, me séduit suffisamment pour poursuivre au-delà des trente premières pages.

Jugez par vous-mêmes du genre de phrases :
« Car enfin, se jugea-t-il en lui-même, qu’ai-je fait jusqu’ici, sinon de m’exciter jusqu’à perdre la tête, sinon de répandre sur elle mes vociférations? Et quoi de surprenant, dès lors, dans ce beau résultat qu’elle en est arrivée à rester bouche obstinément cousue? Et puis, peut-être… — comment ne l’ai-je pas vu? — cette autre raison de son mutisme : de s’être par négligence, laissé surprendre nue; de n’avoir, par impudence, rien caché de ses formes endormies et de cela seulement éprouver de la honte, peut-être. Ce tout simple sentiment, et, s’il se trouve, rien d’autre, rien de plus… absolument rien. »
De multiples incises qui apportent d’innombrables nuances à la pensée du personnage. De trop nombreux deux-points qui, selon moi n’apportent rien, mais auxquels nos yeux finissent pas s’habituer. Mais surtout un rythme qui peut être déroutant quand on ne connait pas la façon de penser japonaise, mais qui m’a enchantée plus qu’il m’a irritée. Je me suis laissée bercer, je me suis mise en mode ouverture et disponibilité. Et la magie a opéré : j’ai lentement, mais complètement, entré dans la maison de sable, j’ai observé cet homme et cette femme qui, on le sentait bien allaient s'unir d'une quelconque façon. J’ai aimé que l'homme me dise à quoi il pensait, comment il réagissait. Et je n’en suis pas revenue que l’histoire ne soit que ça : travailler toute la journée à rejeter le sable. Et la fin ne ressemble en rien au prisonnier d’Alcatraz qui réussit à s’évader!

Pour alléger la tension de mon esprit, j’ai enchaîné avec un livre reçu à la bibliothèque : Les corrections de Jonathan Franzen. Un livre que j’avais commandé après avoir lu la quatrième couverture. Un roman qui a gagné un prix, lui aussi.
« Et si les enfants ne naissaient que pour corriger les erreurs de leurs parents? […] toutes nos contradictions : le patriarcat et la révolte des fils, la libération des femmes et la culpabilité de tous. »
Comme je suis, encore, en train de parfaire le dernier tome de ma saga irlandaise, dans lequel, justement, il est question de l’héritage des générations précédentes, ce sujet m’intéresse. Je croyais y trouver une solution au problème (problème pour l’éditeur, semble-t-il et non pour moi) à cette intrigue qui n’est pas assez enlevante. 

Le 700 pages ne me rebutaient pas. Au contraire, les briques m’attirent comme un repas sept services.
Mais bien avant la page 97, j’étais repue. Ce paragraphe provoqua l’indigestion.
«Je vous écris au nom d’Axon Corporation, 24 East Industrial Serpentine, Schwenksville, Pennsylvanie, pour vous proposer le paiement d’une somme forfaitaire et définitive de cinq mille dollars (5000 $) en échange de la jouissance entière, exclusive et irrévocable de l’US. Patent no 4.934.417 (ÉLECTROPOLYMÉRISATION D’UN GEL DE FERROACETATE THÉRAPEUTIQUE), dont vous êtes le titulaire original et unique.»
C’est un roman, mais on dirait un annuaire d’entreprises américaines. Des milliers de détails, jusqu’au prix des légumes. Un hyperréalisme qui ne laisse pas de place à l’émotion. Pas le temps de penser, de sentir. Jeux agaçants de typographie : italique, petites majuscules, caractères plus petits, d’autres plus gros et en gras. Au début surtout. Même quelques illustrations, tout pour déranger l’œil et qui, selon moi, n’apporte rien à l’histoire. 

Après avoir lu quelques critiques sur Babelio :
Voilà, ça c’est ce que j’appelle de la Littérature. Un écrit qui a du souffle, de l’ambition, de l’intelligence, de l’imagination, du vocabulaire, du style. Qui engendre toute une gamme de sensations : émotion, agacement, rire, malaise, admiration et même suspense.
viou1108
Ou encore :
L’analyse de la famille dysfonctionnelle, sujet battu et rebattu, trouve dans Les corrections les voies de l’excellence.
palamede
J’ai persisté. J'ai sauté quelques pages, lu les trente dernières.
Mais finalement, trop, c’est trop. À défaut d’entrer dans le cœur d’un personnage, j’aime bien essayer de comprendre ce qui se passe dans sa tête. Non, que du dehors. Pas de la superficialité, mais du vide. Tout nous est donné, je n’ai rien ressenti qu’une écœurantite de détails. Je n’ai pas réussi à passer par-dessus pour essayer de voir l’essentiel invisible.

Dans le livre précédent, le détail était pertinent. On entrait dans l’esprit et l’âme du personnage. Ici, le détail était superfétatoire.

J’ai donc délaissé Les corrections sans remords. D’autant qu’entre temps, en cherchant à savoir qui était cette Sylvia Plath dont je voyais de plus en plus souvent le nom, j’ai trouvé ce livre en numérique : 7 femmes de Lydie Salvayre

Dès les premières pages, mon cœur accéléra comme lors d’une partie de ringuette quand mon équipe était en avance. Mes yeux ne lisaient pas assez rapidement tellement j’étais emballée et gourmande. 
Sept imprudentes pour qui écrire ne consiste pas à faire une petite promenade touristique du côté de la littérature et puis, hop, retour à la vraie vie, comme on l’appelle.
Pour qui l’œuvre n’est pas un supplément d’existence.
Pour qui l’œuvre est l’existence. Ni plus ni moins.
Et qui se jettent dans leur passion sans attendre que e contexte dans lequel elles vivent leur soient moins adverse.
Sept folles, je vous dis. 
Ce n’est pas un roman, c’est un hommage. De courtes biographies sur Emily Brönte, Colette, Virginia Woolf, Djuna Barnes, Marina Tsvetaeva, Ingeborg Bachmann et Sylvia Plath. Comme j’en aime déjà trois sur sept, j’étais curieuse de connaitre les quatre autres. 

Sans savoir que le livre datait de 1970, le style — toujours lui — m’a frappé, m’a plu, m’a fait prendre carnet et plume pour noter. Des phrases courtes. Des paragraphes d’une ligne, un peu comme le Charlotte de David Foekinos, ce qui m’a fait croire que c’était un livre récent. Et qui a causé mon délicieux abandon (abandon de toute retenue et non abandon du livre, bien sûr).

Au sujet de Djuna Barnes :
Elle y mit de sa vie ce qu’il fallait.
Elle y mit Paris, la place Saint-Sulpice et le Café de la Mairie.
Elle y mit son ami le baroquissime et désespéré Dan Mahoney qui devint dans le livre le Dr O’Connor.
Au sujet de Colette :
Une matérialiste, vous dis-je. Doublée d’une païenne.
Une bête goulue, comme elle se désigne elle-même.
Une brute entêtée de plaisir et, qui plus est, s’en flatte.
On le lui a reproché.
Et je me suis tellement reconnue quand l’auteure écrit, en parlant du roman Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë :
Heathcliff intransigeant, comme moi me dis-je. Solitaire, comme moi me dis-je. Dur à la douleur, comme moi. Orgueilleux, comme moi. D’une sensibilité si vive qu’elle peut sembler une arrogance. Comme moi, comme moi.
Heatcliff c’est moi. Sa nature est la mienne. Révélation.
Du coup je me coiffe à la diable.
Je fais la gueule.
Trois livres qui ne m’ont pas donné envie de lire Sylvia Plath ou d’autres romans de Jonathan Franzen, et je ne suis pas certaine de risquer un autre Kôbô Abé, mais sûrement de lire un autre Lydie Salvayre. Peut-être pas son prix Goncourt 2014 parce que moi et la révolution de 1936! mais j’ai déjà réservé La méthode Mila
… car un auteur aimé vous amène vers ses livres aimés, lesquels vous amènent vers d’autres livres aimés, et ainsi infiniment jusqu’à la fin des jours, formant ce livre immense, inépuisable, toujours inachevé, qui est en nous comme un cœur vivant, immatériel, mais vivant.

vendredi 17 mars 2017

Petit Leprechaun: peux-tu réaliser mon voeu?

La Saint-Patrick aujourd’hui. C’est écrit sur le calendrier. C’est noté sur les réseaux sociaux. Même Google souligne la fête à sa façon. En vert.

Les fêtes et moi, nous ne sommes pas brouillées, mais on ne se parle pas beaucoup. Je me rappelle ma date de naissance bien sûr, mais rien de spécial cette journée-là. Alors la Saint-Patrick… En fait j’ai commencé à y penser plus sérieusement il y a une douzaine d’années. 
Quand j’ai commencé à faire des recherches sur mes ancêtres irlandais. 

Bridget Bushell et Denis Lynch, tous deux Irlandais, des vraies personnes nées dans les comtés de Roscommon et Leitrim, en Irlande, chassées de leur pays, mariées à Montréal en 1855. Je suis de la cinquième génération. Il me reste un huitième de sang irlandais. 
Pas de quoi pavoiser. Mais fière je suis. Je ne renie rien.

Je me revois aussi en Irlande, À vingt ans. En vélo.
Je revois les vertes prairies, les falaises Moher, la tour O’brien, les longues clôtures de roche, les moutons, les pubs, les joues roses des gens. Je me souviens de la Guiness dont je ne pouvais plus me passer après trois jours à Dublin. 
Mais à vingt ans, mon sang ne goûtait que l’amour et le rêve, pas vraiment l’Irlande ni la généalogie, ni la Saint-Patrick.

Depuis, j’ai tant lu, tant cherché, tant écrit, tant imaginé ce couple Bushell-Lynch, tant romancé sur leur famille, sur leur descendance, sur leur pays que oui, maintenant, ça me touche quand je vois le nom Saint-Patrick. Je vois des farfadets, des lutins. Je vois l’histoire.

Mais je vois surtout l’ambitieux roman que j’ai voulu écrire. Que j’ai écrit. Que les éditeurs m’ont demandé de morceler. Les deux premiers tomes sont publiés. Le troisième, le dernier, celui de ma génération, celui où je me demande ce qu’il reste de Bridget et de Denis, et malgré plusieurs révisions, corrections, changements, cette nième version tarde à trouver preneur. 

Aujourd’hui, pour la Saint-Patrick, j’aimerais bien qu’un petit lutin, un Leprechaun, me joue le meilleur de ses tours et me trouve un éditeur qui accepterait de publier le dernier tome. Ou m'envoie un bêta-lecteur, un mentor, un motivateur (le masculin remporte mais ne veut pas dire que...). Ou un signe.

Alors, oui, je fêterais.

Si vous n’avez pas encore lu, si l’Irlande vous intéresse… Les têtes rousses et Les têtes bouclées sont toujours disponibles.
site>>>

mardi 7 mars 2017

Hâte que le rouge ne soit ni sang ni rage

Je ne fais pas d’épuisement professionnel. Je ne suis pas à proprement parler fatiguée. Ni exaspérée. Juste tannée. Mon éducation, mes valeurs, ma personnalité ne me feront pas choisir la colère ni glisser vers l’agressivité ou même vers l’indifférence. Plutôt la fuite. À défaut de pouvoir être ailleurs, regarder ailleurs.

Je suis tannée de l’engouement que les médias, les réalisateurs, les créateurs de livres, de films, de séries télévisées ont pour la violence. Pour le sang, le sexe, la scène politique, les meurtres, les guerres, les tueries. Sujets vendeurs, accrocheurs : manipulation, corruption, intimidation, discrimination, immigration. Comme si le reste — l’amour, la paix, le bien-être, le silence, la beauté, l’entente, la charité, l'art — n’était plus que sujet ennuyeux, sans intérêt, sans intrigue, sans secret, sans mystère à résoudre, sans surprise. Et donc invendable, inutile d’en parler. À moins qu’il y ait des héros, des vedettes.

Je suis tannée de n’entendre et de ne lire que les opinions, les commentaires qui n’apportent rien d’autre que d’autres réactions, d’autres actes qui vont dans le même sens, qui colportent les mêmes valeurs et qu’on attribue à l’ensemble de la société : la haine, l’intolérance, le racisme, l’individualisme. 

Des mots qui déteignent sur moi. Qui cachent les autres. Qui les ensablent. 
Des images qui s’infiltrent insidieusement, qui m’écorchent. Qui cachent les autres. Qui les immergent.

Alors, avant que la peur et l’insécurité m’atteignent, je fuis. Je ne lis ni n’écoute plus les nouvelles. Et je délaisse de plus en plus les séries télévisées, dont on dit qu’elles battent des records d’écoute. Dans les meilleures, il y a de plus en plus une trame policière. J’essaie de trouver des romans où l’intrigue est « ennuyeuse, sans intérêt, sans intrigue politique ou sociale, sans secret, sans trop grand mystère à résoudre, sans surprise ». 

Je me cache, je me terre pour retrouver mes repères, mes valeurs, mon identité. 
Pour être moi. 

Je ne dis pas que je n’ai pas évolué que je suis restée accrochée aux années soixante au temps où j’allais encore à la messe. Ou aux années soixante-dix, du « peace and love », de ce retour à la terre et à la vie communautaire. Je dis que je ne veux pas être ce qu’on montre, ce qu’on publie, ce qu’on filme, ce qu’on dénonce. Je dis que je cherche, comme L’Euguélionne de Louky Bersianik en 1976, « ma planète positive ». Je dis que je regarde ailleurs. Là où les caméras cupides ne filment pas. J’écoute autre chose que les cris des vendeurs. Je lis les histoires où les personnages n’ont pas besoin d’être des héros ou héroïnes pour exister. Je ne capitule pas, je choisis.

Alors, je vais, je veux retrouver celle que je veux être : une femme qui écrit des mots d’amour, des émotions qui font du bien. Qui parle de gens ordinaires, qui n'ont rien d'exceptionnel. Qui pose plus de questions qu’elle offre de réponses.
Et tant pis si je suis une femme qu’on ne lit pas.

En fait, j’ai hâte au printemps. Hâte de sentir poindre les fleurs à travers la rocaille et la terre boueuse. Que le rouge ne soit pas de sang ou de rage. Hâte de voir l’horizon dégagé. Hâte que ma vie ne se résume pas à cet intérieur limité.

Hâte de renaître. Dans un mois exactement, la sortie du ventre de ma mère, ma venue au monde. Un monde joyeux, aimant. Un temps où mes yeux ne voyaient ni laideur ni peur. Où mes oreilles n’entendaient ni cris, ni pleurs, ni insultes.

Hâte d’être le meilleur et le plus beau de moi-même. Pas un poupon innocent, mais sentir mon coeur plein d'espoir et d'optimisme.