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mardi 4 juin 2019

Carnet de roman (17)

Cliquez sur l'illustration pour agrandir
Qui peut se targuer d’avoir une des trois premières religieuses Sainte-Croix, soeur Marie-de-Bonsecours, dans son arbre généalogique? Et même le Pierre Laporte tristement assassiné en 1970? Comme tous les deux sont issus de la lignée de Jean Leduc et de Cécile Lechaperon, il risque fort que beaucoup d’entre nous l’aient dans leur arbre, c'est le 91e nom de famille au Québec.

Entre réalité et fiction. Entre personnes réelles et personnages. D’un livre bleu sur la généalogie de la famille Deguire à trois romans sur des descendants d’ancêtres irlandais. Je n’ai publié d’arbre généalogique que dans Les têtes bouclées. Pour les curieux, pour les passionnés de généalogie, je publie la liste de tous les personnages des trois romans. Certains ne sont que nommés, comme Pierre Laporte. Les liens sont les vrais, documentés, vérifiés.

Dans ce tableau, ce sont les prénoms des personnages, mais ce sont les vrais patronymes : Lynch, Bushell, Leduc, Deguire, Pouliot. Même Bricault est un vrai patronyme. C’est celui de mon ancêtre paternel : le soldat de Carignan, Jean Bricault dit Lamarche. Comme vous voyez, je n’ai pas été chercher bien loin. Juste pour dire que ce n’était pas le même que le nom de l’auteure. Des romans inspirés de ma vie, je veux bien, mais en route, l’imagination s’est enflammée. La vie privée a réclamé un peu de discrétion.

Aimez-vous les romans quand il s'agit de vraies personnes et même de faits réels?

Pour lire un extrait de Héritages - Les têtes dures, c’est par là >>>
Pour plus de généalogie, c’est par là >>>
Pour commander Héritages - Les têtes dures: mon courriel >>>

mardi 11 septembre 2018

Carnet de roman (16)

Tu as enregistré le fichier de ton roman sur une clé USB. Prêt à être imprimé quatre fois.
Quatre fois pour quatre éditeurs qui demandent la version papier.
Prêt à être envoyé chez deux éditeurs qui acceptent le fichier numérique.

Tu déjeunes et tu lis Thelma, Louise & moi de Martine Delvaux. Tu viens tout juste de le recevoir via Biblio Outaouais.
Après trois pages, tu as envie de reprendre ton roman d’y ajouter quelques lignes.
Comme avant-hier en lisant Villes de papier de Dominique Fortier.

Certaines lectures te font ça : avoir envie d’écrire. Pas écrire comme les auteur-es. Pas copier, non. C’est que leurs romans te donnent des idées, te rappellent des émotions, te remuent le cœur et le cerveau.

Tu penses que ton roman est fini, mais comme Cézanne qui reprenait ses tableaux, tu réécrirais certaines phrases. Est-ce un acte manqué : tant qu’il n’est pas chez l’éditeur, tant qu’il n’est pas imprimé, tant qu’il n'est pas refusé, tu peux encore le reprendre, le réécrire? 

Ça fait cent fois que tu le dis : tu ne devrais pas lire pendant que tu écris!
Oui, mais là, je croyais avoir fini.
Oui, mais là, c’est la rentrée, il y a de tellement bons romans intéressants.

Tu aimes lire des livres qui parlent des auteurs, des écrivains. Comme Le dernier chalet, comme Villes de papier, comme Thelma, Louise & moi.
Ils parlent d'eux, mais tu te reconnais.
Leurs phrases appellent tes phrases.
Leurs mots soufflent sur les tiens.
Leur vie ressemble à la tienne.

Tu écris ta lettre aux éditeurs. C’est plus difficile d’écrire deux pages aux éditeurs que trente pages de roman. La lettre qu’ils liront en premier. Ils ne liront peut-être rien d’autre. Tu voudrais être originale, qu’ils mettent ton manuscrit sur le haut de la pile, qu’ils t'appellent après la lecture des trente premières pages. Ou les vingt dernières que tu juges meilleures. Tu rêves en couleurs! Tu as envie de relire ces trente premières pages pour voir si elles ne peuvent pas être meilleures encore.
Tu en relis cinq. Tu changes quelques mots.

Visiblement, tu procrastines, tu retardes le moment de l’envoi. Tu as peur de faire le saut?

Tu te sais impulsive, tu essaies de te calmer, prendre le temps qu’il faut pour bien faire les choses. T’assurer que ta lettre est la meilleure que tu puisses écrire.

C’est qu’il vient un moment où tu es seule à prendre la décision. Tu n’as plus ton père ou ta mère ou un professeur ou un mentor ou un agent ou une directrice littéraire ou un-e ami-e pour t’encourager, pour te donner une petite tape dans l’épaule. Te dire, « ça va aller ». Au pire, tu auras un refus. Mais si tu ne l’envoies pas, tu n’auras rien.

Allez, saute.
Allez, clique sur « envoyer ».

jeudi 23 août 2018

Carnet de roman (15)


Jeudi, 23 août 2018,
19 h 30,
90 jours après la fin de « mon » Camp littéraire Félix, j’ai terminé la réécriture de mon roman.
Satisfaction du devoir.
Fébrilité joyeuse.
Sentiment d’accomplissement.
Entêtement récompensé.

Il reste au moins deux relectures, une à voix haute, une sous la loupe d’Antidote.
Il reste à maintenir la confiance.
Surtout avec la rentrée littéraire qui me fait déjà voir la publication de romans d’auteurs chevronnés, la plupart plus jeunes que moi. Alors le mien, fera-t-il un jour partie de cette cohorte? Rejoindra-t-il enfin ses deux petits frères de 2011 et 2015? Plaira-t-il aux éditeurs?

Travailler encore. Mais avec les épaules plus légères et le cœur apaisé.
Comme un exercice plus relaxant après le marathon.
Avant, partir un peu comme une récompense, une pause avant de replonger.

Retourner à la lecture, l’esprit concentré sur d’autres histoires que la mienne.
Lire Yvon Rivard, Dominique Fortier, Martine Delvaux.
Ne pas me sentir intimidée par leurs romans, leurs noms.

Repenser à ma mère qui me disait que la reine Élisabeth allait à la toilette comme elle et moi.
Ma mère, elle l’invoquait souvent la reine Élisabeth :
mariée en 1947 comme elle
premier fils en 1948 comme elle
deuxième enfant, une fille en 1950, comme elle.

Ces points en commun devaient me faire comprendre que nous étions tous égaux, que nous vivions les mêmes choses. Que je ne devais pas me laisser impressionner par un titre, par une couronne, par un château.
Que le soleil brille pour tout le monde.
Chez moi, ce soir, il était éclatant. Annonciateur de beaux jours à venir.

samedi 5 mai 2018

Carnet de roman (14)

Un an après le dernier billet de Carnet de roman, je viens encore de penser à un nouveau titre pour ce manuscrit-dont-aucun-éditeur-ne-veut. Le titre contient le mot « tête » cette fois. Si j’y repense, c’est bien sûr parce que je me suis inscrite au Camp littéraire Félix et que pour ce faire, j’ai envoyé la dernière version de mon manuscrit à l’animateur Yvon Paré, avec un titre provisoire. Mais c’est aussi parce que je lis Routes secondaires d’Andrée A. Michaud.

D’Andrée A. Michaud, oui, j’ai lu Bondrée, oui, j’avais aimé pour l’écriture, mais pas assez pour en parler parce que les polars et moi, on ne fait plus très ami-amie. Si aujourd’hui, alors que je n’ai même pas terminé la lecture de Routes secondaires, je sens le besoin d’en dire un mot, c’est non pas tant pour l’histoire un peu compliquée, ni même pour les riches descriptions de la nature, c’est parce que son idée géniale, originale, d’inviter le personnage chez elle m’a frappée. Auteure et personnage assises dans la même pièce. Présent et passé entortillés, réalité et fiction entremêlées.

« Nous devons, Heather et moi, aller au bout de cette reconnaissance silencieuse. […] ne comprenant pas mon acharnement à vouloir discerner mes traits dans ceux ombragés d’une femme que j’invente de toutes pièces, alors qu’elle est aussi vraie que l’histoire que je vis au fil de ces pages. »

Comme la majorité des auteurs, je marche souvent sur une route ou sur une plage en jasant avec mes personnages, mais de là à les inviter dans le roman même!

Depuis plus de dix mois, j’essaie soit d’oublier soit de trouver une nouvelle façon de présenter ce manuscrit-dont-aucun-éditeur-ne-veut (tout comme il y a eu dans les années 2009 la maison-d’édition-qui-n’avait-jamais-dit-non). Soit je l’améliore pour que Vents d’ouest qui a déjà publié les deux premiers tomes (même si le mot ne figure pas sur les couvertures) de la trilogie l’accepte enfin, soit je le réécris comme si les deux premiers n’existaient pas pour qu’un éditeur le trouve publiable. Dans le second cas, comment ne pas répéter ce qui a déjà été écrit?

Le roman d’Andrée A. Michaud me souffle l'idée. Et si je faisais de Dominique, un des deux personnages de mon histoire, une seconde Bridget Bushell, personnage principal du roman Les têtes rousses? Au fond, c’est ça que je veux depuis le début : que Dominique vive les mêmes expériences qu’a vécues Bridget. C'est ça que j'ai écrit, croyais-je. Montrer que c’est possible qu’on revive les mêmes émotions que nos arrière-arrière-grands-parents. Qui sait?

Andrée A. Michaud m’y a fait encore penser en écrivant :
« Le souvenir existe-t-il chez qui vient de naître? Qu’en est-il du passé, en effet, de ces personnages qui débarquent à la page 12 d’un roman alors qu’ils sont déjà trentenaires […] Est-il possible d’expliquer les personnages en fonction de leur hypothétique passé ou leur existence n’est-elle effective qu’à partir du moment où ils entrent en scène? »
On m’a dit souvent de faire confiance à l’intelligence du lecteur alors j’ai cru que les lecteurs verraient que les pas de mes personnages suivent les sillons creusés par son aïeule. Faut croire que ce n’était pas si clair ou si intéressant. Il faut plus. Il faut mieux. Il faut peut-être s’appeler Andrée A. Michaud et avoir publié Bondrée avant.

mardi 27 juin 2017

Carnet de roman (13)

Comme un membre amputé, je le sens toujours là. Certaines phrases me viennent encore à l’esprit, je me dis que je vais les ajouter. Les personnages me parlent encore, ont encore quelque chose à dire. Ils continuent à vivre. 

Pourtant tout est achevé : une dernière correction avec Antidote, impression des 286 pages en deux exemplaires, rédaction des lettres de présentation. Le tout, prêt à partir.

Bien sûr, tant qu’il n’est pas publié, imprimé rien n’est vraiment terminé. Le titre peut encore changé. Le texte sera révisé par une ou une directrice littéraire, par un ou une réviseur. 

Le détachement s’amplifiera avec l’attente. Je réaliserai un peu plus chaque jour que c’est inutile d’ouvrir le fichier Word. Inutile de me lever et me hâter d’inscrire une phrase qui se sera imposée après je ne sais quelle lecture ou association d’idée ou indicible émotion. Et je sais que je ne commencerai pas un autre roman tant que celui-ci ne sera pas publié. 

Il me reste donc un dernier travail qui saura refroidir mes pensées bouillonnantes : le choix des éditeurs à qui faire parvenir mon roman.

S’il fut facile de choisir quatre maisons d’édition qui acceptent les manuscrits par courriel, il est plus difficile de décider lesquelles choisir pour la version papier. Pas simplement pour une question d’argent — 15$ pour l’impression et autant pour l’envoi par la poste, pour chaque manuscrit — mais qui choisir? Quel éditeur pourrait s’avérer le plus intéressé? Inutile de ressasser les regrets de l’hiver dernier quand Vents d’Ouest a refusé ma deuxième version en me disant que s’ils l’avaient accepté, je n’en serais pas à cette case départ du choix cornélien. Je leur enverrai tout de même cette nième version. Qui sait? Je serais bien sûr tentée par les jeunes maisons d’édition, même si elles ne publient — comme Vents d’Ouest— qu’une dizaine de titres par année. Mais une fois qu’on a lu cet article de Josée Lapointe dans La presse qui présente le « changement de garde », disons que j’hésite. Pas que mon roman ferait tache, mais mon style est… disons moins novateur que les romans-gagnants-de-prix. Il me reste donc les traditionnelles : Hurtubise, XYZ, Québec Amérique, Libre Expression, Guy Saint-Jean? 

en attendant les réponses des éditeurs
Après? Il y aura le gazon à couper, la piscine à nettoyer, le vin à choisir pour le repas du soir, les couchers de soleil à guetter. 

Et puis laisser la place à la lectrice en disant à sa siamoise auteure d’aller se reposer. M’écoutera-t-elle?

vendredi 12 mai 2017

Carnet de roman (12)

dernier tome du roman Les têtes rousses
Le refus a eu lieu en février. Je n'ai pas repris la correction de façon intensive. Mais est-il toujours dans mon esprit? Oh! que oui. Surtout quand je lis certains livres.

Dans la biographie que Carlo Jansiti a écrite sur Violette Leduc il a dit qu’elle « était la somme de toutes les marginalités dérangeantes. […] une œuvre inclassable qui, page après page, crie comme nulle autre, la solitude, le désespoir, la douleur d’exister. »

Oui, c’est ça, c’est en plein ça, c’est donc ça: il faut des mots forts, des mots dérangeants, des phrases-chocs, il faut des coups, des coups de poing, des coups de cœur, pour retenir l’attention d’un éditeur d’abord et peut-être des lecteurs ensuite. 

Je ne dois pas crier assez fort, et je ne crie pas une douleur assez vive. Je ne dérange personne. Aujourd’hui pour que nos romans soient remarqués, reçoivent au moins une attention sympathique, il faut être marginal-e ou original-e ou souffrant-e. Ou en tout cas que notre œuvre le soit. 

Je n’ai pas assez souffert ou je ne sais pas faire souffrir mes personnages. Il faut croire que j’ai réussi dans quelques-uns de mes livres, mais pas dans le dernier manuscrit refusé.

Même si j’ai pris de la distance avec ce texte, au sens où j’ai occupé et j'occupe encore mon esprit à d’autres activités, certaines d’entre elles tournent quand même un peu autour du livre, donc je ne décroche pas à cent pour cent. J’en suis toujours à ce constat. Je ne cherche pas la recette, mais au moins un filon. 

On dirait que tant que je ne trouverai pas le titre, la ligne directrice ne sera pas claire. Pour l’éditeur, parce que pour moi, c’est limpide : je raconte la vie de Mireille et de Dominique dans les années 60-70. Et ça me suffit. 

« Je n’ai pas d’imagination et je n’en aurai jamais. Alors j’écris ce que j’ai vécu. Je monte en épingle des petits drames devenus des riens avec les années » est-il aussi écrit dans la biographie de Violette Leduc.

Tout à fait mon cas. Mais je n’ai pas de Simone de Beauvoir pour leur trouver, à ces petits drames, une valeur ajoutée.

Peut-être devrais-je revoir mon manuscrit sous l’angle de la femme dans les années 1960. Non pas ce qu’il reste de sang irlandais dans les veines de mes deux personnages féminins, mais que sont devenues ces femmes, les descendantes de Bridget. Reprendre ce que j’écrivais déjà en 2006 :
Née fille, je suis donc femme d’une lignée zigzagante.
De quoi peuvent-elles être fières, ces femmes de ma lignée zigzagante? D’avoir peuplé le Québec? D’avoir choisi la langue française et depuis, de la cultiver, de l’aimer, de l’entretenir, de la défendre? De la choisir encore chaque jour? D’être citoyennes d’un pays qui les ont accueillies, nourries, instruites?
 
Ce sont des femmes qui ne parlent ni haut ni fort, qui ne veulent pas déranger ni se plaindre, qui ne revendiquent rien, mais qui disent la vie à leur façon, qui la donnent et la vivent de plus en plus longuement. Qui racontent la mémoire de leur mère, de leur père. Je suis de cette descendance, apportant à mon tour d’autres petites histoires qui s’inscrivent à peine dans la grande Histoire. 
Les femmes de ma lignée sont fières de leurs enfants : de les avoir mis au monde, de les aimer. Moi qui n’en ai pas, je témoigne de leur fierté. Ma trace est de cet ordre.
Nourrie de toutes ces vies qui coulent dans mes veines, de tous ces savoirs dont il reste si peu, héritière de leur sang et de leurs pensées secrètes, j’ai tenté de les raconter avant qu’elles ne s’effacent pour toujours.
Autant le titre du premier tome est venu avant même la rédaction du roman, autant le titre du deuxième est venu rapidement en cours de rédaction, autant celui-ci change à chaque promenade. 

Sur le petit kilomètre qui me sépare de mon village, j’ai parsemé des dizaines et des dizaines de titres:

Les têtes dures
Les têtes fortes
Les têtes libres
Les têtes solitaires
Les têtes contraires
En tête à tête
Les têtes brûlées
Les têtes d’hier
Ressemblances
Vies parallèles
Liberté chérie
Atavismes
Mère de, fille de, sœur de
Sans queue ni tête

J’aime bien Ressemblances, mais j’aurais voulu que le tome 3 porte le mot « têtes » pour indiquer qu’il est une sorte de suite aux deux autres. Peu importe l’éditeur. Pour le lecteur surtout.

Voilà où j’en suis. Avec une lenteur faite de distractions, de printemps occupé, de lectures captivantes, de tâches domestiques et de rêves de sorties, je retranscris les corrections préalablement faites à la main. Sans aucune garantie qu’elles répondent aux remarques de l’éditeur lors du second refus.

Et dans le doute permanent, dès que je relis le texte.
Prochaine étape, une fois une relecture, envoi à d'autres éditeurs.

samedi 18 février 2017

Carnet du roman (11)

Au lever du soleil dans un ciel enfin bleu qui rosit la montagne, j’ai eu une idée. Si elle persiste plus de vingt-quatre heures, ce ne sera pas pour autant l’idée du siècle, mais peut-être apaisera-t-elle le moi-auteure qui cherche toujours à faire sa place… au soleil.

Une idée sérieuse, comme si je fréquentais l’université alors que je n’ai qu’un vieux baccalauréat en pédagogie qui émanait d’une université dans laquelle je n’ai jamais mis les pieds (bon, d'accord, pour les curieux ou les personnes nées avant 1970, les écoles normales étaient affiliées aux universités, mais n'étaient pas situées dans les mêmes bâtiments). Une idée comme si j’avais appris le grec et le latin alors que j’ai même échoué à la reprise de l’examen de latin en Belles-Lettres. Une idée qui demande encore des lectures, qui demande du temps de bibliothèque, du temps de monastère, du temps de qualité et, évidemment, de solitude. Mais quel roman n’en demande pas!

Cette idée m’est venue toute seule, pour autant qu’on ne sache pas vraiment comment nous viennent les idées, mais disons que je l’ai nourrie, entretenue, développée en lisant un essai.

Un essai sérieux. Ce que je lis rarement. Qui me rappelle ces cours de philosophie quand il fallait se concentrer pour comprendre ce que notre esprit, lui, avait déjà saisi intuitivement. Peut-être est-ce cet essai sérieux qui rend mon idée sérieuse? D’une auteure que j’admire et que je lis depuis longtemps. Sans jamais avoir compris tout à fait ses romans. Mais cet essai que je lis lentement comme si je suivais un cours… d’université justement m’a permis de retrouver non pas l’histoire de mon roman refusé puisqu’elle est déjà écrite, mais une narratrice crédible, intéressante. En tout cas, moi, elle m’intéresse, elle me parle, elle a beaucoup à dire.
« Écrire, c’est peut-être aussi décider d’en finir avec une histoire obsédante. Choisir son obsession et inventer l’oreille dormante qui aura raison d’elle, qui parviendra à lui donner un début, une durée, une fin. Et lire, c’est encore choisir d’entrer dans l’obsession d’une autre histoire pour exercer l’oreille dormante à trouver les issues de sa propre obsession. » 
Histoires de s’entendre, Suzanne Jacob
Rien qu’en lisant cette phrase, mon cœur s’est mis à battre plus fort, ma respiration est devenue haletante. Signes d’une émotion intense que j’espère pas trop éphémère.

Reste à savoir aussi si elles, l’idée et l’émotion, me procurent un nouveau début, m’offrira-t-elle la durée? Pour le savoir, je vais « exercer mon oreille dormante » et reprendre le roman qui m’obsède.

jeudi 16 février 2017

Carnet du roman (10)
ou la poule pas de tête qui court en tout sens

5 février: réception de la lettre de refus.

8 février: billet de blogue résumant la situation et mes impressions.

9 février: au réveil, quelques phrases me trottent dans la tête. Dans la journée, j’écris quelques lignes. Au Je et au présent. 
Je m’appelle Dominique Bricault, je viens tout juste d’avoir treize ans et je n’aime plus ma mère, je déteste mon frère, et je me méfie de mon père. Et comme ma vie tourne autour d’eux, je fais tout pour sortir de la maison le plus souvent possible. Je cours dans les côtes de Lévis. Je pédale dans les rues de Lauzon. Je n’ai même pas d’amies. Comment pourrais-je en avoir, on passe notre temps à déménager. Je suis en huitième année au couvent Notre-Dame-de-toute-Grâce. Et c’est ma dixième école. Oui, c’est possible : maternelle et déménagement en cinquième année, donc deux écoles la même année.
J’ai arrêté là. Il y aura beaucoup trop de « je », mais surtout comment le personnage de la fille pourra-t-il savoir ce qui se passe dans la tête de sa mère? Oui, ça fait plus direct, plus fort, le lecteur s’identifiera plus facilement, pas certaine. 
Qui de la mère ou de la fille, devrais-je sacrifier? Et puis ça fait journal d’ado, ce qui ne donne pas le but du livre. 
Je ne suis pas prête.

10 février: M’appliquer à dresser la liste de ce que j’aurais à surveiller dans chaque chapitre : les cinq sens, les émotions, résoudre un problème et en présenter aussitôt un autre. Pourtant déjà fait lors de la dernière version. Prendre des notes. Peut-être ne pas corriger ou ajouter tout de suite. Juste noter.
Mais ai-je assez de recul pour trouver les faiblesses? 
J’essaie de lire autre chose, je ne peux pas. N’y trouve aucun plaisir. C’est mon œil d’auteur qui lit, qui cherche. Et c’est mon petit cœur envieux qui se dit : « qu’est-ce qu’il a de plus que le mien ce roman pour avoir été publié? ». Ou il est complètement abattu, admiratif : « je suis nulle ».
Je ne suis pas prête.

11 février: Et si, au lieu de laisser le lecteur trouver les liens avec les deux tomes précédents comme je le voulais d’abord, si je les nommais clairement? Nommer les fantômes. Mieux encore, les faire vivre. Identifier l’héritage des ancêtres. Quête de parenté. Ça aurait le mérite d’être un peu plus original et intéressant. Pourtant, il ne faut pas tout dire. Il faut laisser l’interprétation à chaque lecteur. Retour case départ. 

Et je vois venir le Salon du livre de l’Outaouais. Irais-je? Comme auteure, j’ai dit non, pas cette année, mais en tant que visiteuse? Aller voir Suzanne Aubry qui vient de faire paraître « Je est une autre »? Acheter quelques trouvailles? Aller saluer mes confrères et consœurs de l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais? Passer devant le stand de l'éditeur? Me faire demander : « et puis ton roman, il s’en vient? » Le cœur sur le bout des lèvres, saurais-je retenir mes larmes? Sujet trop sensible encore, je ne suis pas prête.

12 février: Ai reçu mes redevances pour l’année 2016. Très heureuse du montant qui n’atteint pourtant pas le mille. Heureuse aussi de voir que je ne pas vendu qu’à des amis ou des connaissances puisque quelques centaines en librairie et numérique. Une question pourtant : est-ce que cette comptabilité a influencé la décision du comité de lecture de refuser le roman? Pour eux, peut-être pas suffisant? Et me l’aurait-on dit si c’était le cas? 
Et à la fin du mois, un autre chèque sera dans ma case postale, celui du programme du droit de prêt public (DPP). Ce qui donne une existence à mes écrits. Pas une reconnaissance, pas une valeur, mais une existence.
Le Conseil des arts du Canada verse des paiements annuels aux auteurs canadiens dans le cadre de son Programme du droit de prêt public, à titre de compensations pour l’accès public gratuit à leurs livres dans les bibliothèques publiques du Canada.
15 février: Dix jours déjà. Et toujours cette impression de comprendre tout à fait l’expression « une poule pas de tête ». Devant l’écran, une dizaine d’onglets ouverts. Je sautille de l’un à l’autre. D’un article de journal à un blogue. D’une mention d’un livre à Babelio à la BANQ pour feuilleter un extrait. Comme si je cherchais comment réussir à construire cette intrigue enlevante que réclame l’éditeur. Comme si je faisais une dégustation à l’aveugle tout en me demandant quel goût devrait avoir mon roman ou quelle épice il lui manque. Je m’attarde à L’urgence et la patience de Jean-Philippe Toussaint. Je sens encore l’urgence, mais je n’ai plus la patience. Peut-être que contrairement à Toussaint qui a écrit ce qui tourne autour de ses livres : le début de l’écriture, les lieux, les théories, peut-être écrirai-je sur la fin de l’écriture de roman. Non pas le désespoir, le découragement, mais seulement la lucidité. Venue en petites vagues. 

Je ne me regarde pas couler. Juste nager vers un rivage tranquille. Une poule qui court tout sens, en s’accrochant dans les fleurs du tapis.
Je flâne du côté du Camp littéraire Félix. Me trouver un mentor ou une motivatrice. Une personne qui met le doigt sur le bobo. « C’est là, juste là » Qui ramasse mes plumes, qui m’aide à retrouver ma tête, qui calme la tempête et me montre le un chemin. 

Je suis à côté du roman. Comme le journal du roman. Le carnet de notes du roman. Ce qui tourne autour, mais pas encore dedans. À chercher la recette parce que quelqu’un m’a dit que le gâteau était raté, n’avait pas assez bon goût. 
Je ne réécris que le début. Pour voir. Pour écouter. Pour trouver un autre angle, une autre perspective comme il m’a été suggéré dans la lettre. Et quand je pense avoir trouvé, ça ne dure que quelques lignes. Je bute déjà. 
Sur le sentier gravillonné, la poule-pas-de-tête, qui éparpille ses plumes sur tous les coins de murets sur lesquels elle se bute, a tout de même trouvé ce livre : Journal désespéré d’un écrivain raté de Mary Dollinger qui a tenu un blogue pendant quatre ans. 

Plus fouineuse que studieuse, plus lièvre que tortue, je pourrais peut-être écrire le « blogue de l’écrivain qui aurait dû se contenter de lire ». 

Ne vous inquiétez pas, c’est mon genre d’humour, d’autodérision pour aller au bout ou au fond en attendant de retrouver ma tête… non pas de poule, mais de cochon!

mercredi 8 février 2017

Carnet de roman (9)
ou ce qu’on lit rarement au sujet des auteurs,
ce que la majorité vit pourtant.

Avertissement : suivent des propos que le lecteur ne veut peut-être pas savoir. Trop déprimant.

Je ne lâcherai donc jamais? Serai-je de ces écrivains qui écriront jusqu’à leur dernier souffle? 

À la réception de la lettre de refus, j’ai pensé à quatre options :
1- ne rien faire.
2-auto-édition, mais ça ne me tente absolument pas d’investir 2,000$ ou 3,000$ pour couverture et imprimerie et travailler à la distribution et à la promotion, comme je l’ai fait pour quelques livres par le passé.
3- impression à l’unité, et vente via mon blogue-site-Facebook. Ça se fait maintenant. Et ce n’est évidemment pas le montage qui est un problème pour moi. 
4- envoi chez d’autres éditeurs, mais sans les deux premiers tomes, qui en voudra? Il faudrait alors refaire au moins le début pour que le roman se tienne tout seul.
5- retour (déjà inscrite il y a six-huit ans) à un atelier littéraire pour obtenir de l’aide d’un mentor. Pourtant j’ai eu l’aide très précieuse et personnalisée d’une réviseure.

Et puis le lendemain, une sixième option qui m’emballe pendant quelques heures : tout réécrire. Au Je. Au présent. Du point de vue d’un seul personnage. Et ce ne serait pas linéaire. Comme des souvenirs qui remonteraient à la surface. Un chapitre par tranches de vie. Au lecteur de réunir le tout, s’il le désire.

Le surlendemain, retour à l’option 1. Parce que celle de la veille, la narration au « je », différerait trop des deux autres tomes. Justifiable parce que c’est ma génération, mon siècle. Pourtant, j’avais tellement travaillé lors du premier tome à tout mettre à la troisième personne, à tout réécrire au passé, je voulais garder le même style pour les trois tomes.

Je relis la lettre de refus:
l’histoire […] ne nous apparaît pas assez soutenue et, surtout, pas suffisamment enlevante. Le style demeure essentiellement descriptif et un ton sans grande variation prédomine. L’intrigue cherche son envol et sa force. Il nous semble que cette façon de procéder devrait être abandonnée et qu’il faudrait revoir la saga dans une tout autre perspective.
À toute évidence, raconter une vie ne suffit pas. 

D’après Georges Polti (Les trente-six situations dramatiques, écrit en 1895), il faut soit
Sauver
Implorer
Venger un crime ou un proche
Être traqué
Détruire
Posséder
Se révolter
Être audacieux
Kidnapper
Résoudre une énigme
Conquérir
Haïr
Rivaliser
Tuer
Se sacrifier, sacrifier un de des siens ou tout sacrifier à la passion
Tromper
Être imprudent
Être incestueux
Apprendre le déshonneur d’un être aimé
Aimer l’ennemi
Avoir un amour impossible
Être ambitieux
Lutter contre Dieu
Être jaloux
Vivre un deuil
Avoir des remords
Vivre des retrouvailles

Et selon l’éditeur, je ne raconte même pas, je décris. Et alors? Pourquoi pas un portrait plutôt qu’un roman? Un état plutôt qu’une action. Je suis ainsi. Biographie plutôt que polar. Intérieur plutôt qu’extérieur. Enfin, je voudrais. Émotions, réflexions plutôt qu’actions concrètes.

Pourtant, à mon sens, même procédé que les deux premiers tomes. Faut croire que non, pour l’éditeur. 

Il aura fallu huit éditeurs et sept ans pour le premier tome, deux révisions et quatre ans pour le second, pourquoi ai-cru que ce serait plus facile ou plus rapide pour le troisième? Excès de confiance? Ce n’est pourtant pas ce que j’ai en abondance. Et si la lettre d’octobre dernier — un refus également, mais en me laissant une seconde chance en me fournissant des « pistes d’amélioration à explorer » — cette fois, sans appel.

À l’aube, à cette heure où la conscience s’éveille, sont revenus les mots et les phrases à trouver, le titre à changer, le début à réécrire, des scènes, encore des scènes, des actions à inventer. Et le doute. Le « à quoi bon? ». Justement ce que je ne voulais plus. Seulement écouter le vent qui fait valser les grands pins rouges. Seulement guetter le soleil qui monte derrière les conifères. Le bleu du ciel entre les nuages gris, menaçants. Sera-ce une journée froide ou douce?

Je ne veux pas cesser d’écrire, je le voudrais que je ne pourrais pas. Mais pour moi, le roman était écrit, terminé. J’ai déjà fait beaucoup de révisions, de changements, j’ai été le plus loin que j’ai pu. Le reprendre encore, ce ne serait plus le mien, mais celui de l’élève appliqué, qui veut plaire au professeur, qui veut obtenir une meilleure note. Un roman qui risquerait d’être encore moins intéressant, encore moins enlevant parce que ce ne serait plus mes tripes qui écriraient, mais ma tête. Un devoir, un pensum.

J’avoue, je suis à l’étape du déni. De la contestation. De la bouderie. De la déception. De la blessure à l’ego, qui n’est pourtant pas si démesuré, il me semble.

Et je n’ai plus trente ans, l’âge où on a encore l’énergie et les rêves. Je suis à l’âge où j’ai, certes, le temps, mais moins envie d’être bon élève, soumis à une autre volonté que la mienne. 

Qui gagnera : mon besoin de liberté ou mon huitième de sang irlandais qui s’entête tant que… Qui s’entête tout court.

jeudi 1 décembre 2016

Carnet du roman(8)

En juillet dernier, je terminais la rédaction d’une première version de mon prochain roman.
Le 3 octobre dernier, on me remettait mon manuscrit annoté.
Ont suivi deux mois intenses. Presque chaque jour. Souvent plus de cinq heures. À étoffer, ajouter, biffer, couper, choisir, chercher, améliorer, accepter, refuser, expliquer, justifier. Taper sur le clavier, écrire en rouge sur le papier, lire sur l’écran, relire sur le papier, lire à voix chuchotée, lire debout, assise dans mon bureau, dans le salon, dans la cuisine. Retranscrire, biffer encore, ajouter encore. Pleurer, douter.

Avant-hier, 29 novembre, je remettais une nouvelle version de ce roman qui, en cours de doute et de route changera peut-être de titre. Parce que mes personnages n’ont pas la tête si dure finalement. Parce que celle de l’auteure non plus ne l’est pas tellement.

Et puis entre-temps, rendre visite, fêter, et au moins deux fois, pelleter.
Et puis entre-temps aussi, lire. Quelques livres, numériques et papier, empruntés à la bibliothèque, d’autres sur tablette empruntés à pretnumerique.ca

Dont Le journal secret de Charlotte Brontë de Syrie James.

Il y a des écrivains comme ça auxquels je ne sais pas résister. Il y en a pour qui c’est Jane Austen ou Albert Camus, ou plus près de nous dans le temps et l’espace, disons Michel Tremblay ou Marie Laberge, mais moi, c’est Brontë. Charlotte ou Emily surtout.

J’aurais été portée à être un peu discrète sur le fait qu’à mon âge, j’aime encore lire sur les sœurs Brontë, il me semble que ça fait un peu ado. Un peu nostalgique, un peu romantique. Mais il faut croire que je ne suis pas la seule. Syrie James a eu la brillante idée d’exploiter ce filon : écrire à la manière de…, faire comme si c’était le journal ou le manuscrit de… Cette auteure américaine l’a fait pour Jane Austen également. 

Deuxième exemple, sous la forme de blogue cette fois, une Québécoise, Louise Sansfaçon, qui a été jusqu’à visiter le village de Haworth en Angleterre, a rassemblé moult informations, et superbes illustrations, sur les sœurs Brontë.

Si je mentionne mon intérêt ici, dans un billet qui commence par parler de mon manuscrit, c’est que je vois bien qu’au moins un de mes personnages est imprégné de ce romantisme que certains pourraient juger démodé. Une influence des lectures du personnage ou des miennes? Un alter ego? 

Heureusement (tendance à justifier mes choix), j’ai situé l’adolescence du personnage dans les années 63-70. Aujourd’hui, les adolescentes lisent-elles encore les sœurs Brontë? Relisent-elles de vieilles lettres d’un amoureux? Souffrent-elles pendant des mois, voire des années d’un amour non partagé? Vivent-elles ce romantisme mystique dont parle Louise Sanfaçon dans son blogue?
« Le romantisme mystique s’exprime avec une telle force qu’il ne peut laisser personne indifférent. L’omniprésence de la nature et du paysage, rudes et primitifs, tourmentés par les vents, y devient une puissante métaphore de l’événement intérieur et des tourments de l’âme des personnages. »
J’en doute.
Quoique finalement les thèmes abordés par les jeunes auteur-e-s tournent encore autour du « je », encore un mélange d’autobiographie et de fiction. Mais la violence n’est plus dans la nature, dans les paysages, mais plus physique, plus corporelle, dans la sexualité plus… directe, disons.

Ça ne veut pas dire que je n’aime pas lire les romans d’aujourd’hui.
Ça veut seulement dire que je suis mémoire et traces.


vendredi 8 juillet 2016

Carnet du roman (7)

Aujourd’hui, vendredi 8 juillet 2016, la partie solitaire de l’écriture de mon roman est terminée. Je me sens libérée. 

Seule, j’ai écrit, lu et relu, imprimé, amélioré la narration, corrigé l’orthographe, enlevé le plus de répétitions possible grâce à Antidote. 

Seule, j’ai peiné, j’ai aimé, j’ai eu du plaisir, j’ai douté (ah! ça, que oui), j’ai recommencé, j’ai persévéré. 

Demain, je remets les deux cent trente feuilles entre les mains d’une lectrice qui me dira si l’histoire est cohérente, où il y a lieu d’apporter des changements, des ajouts ou des coupures. Je discuterai, j’argumenterai… et je tiendrai compte de ses remarques. Puis, après une dernière relecture, je l’enverrai à l’éditeur. Viendront alors d’autres corrections. Mais je me sentirai moins seule. Je me sentirai appuyée, aidée, soutenue. 

Déjà une odeur de vacances. De légèreté en tout cas.

Je me sens d’autant libérée que ce manuscrit clôt ma trilogie. C’est en novembre 2004 — eh oui, douze ans — que l’idée m’a été soufflée d’écrire sur mes ancêtres irlandais. Dès le début, je ne voulais qu’un seul roman qui raconterait les cinq générations. En cours de route, après avoir reçu les conseils d’éditeurs, directrice littéraire et animatrice d’atelier d’écriture, j’ai plutôt choisi de scinder le manuscrit en trois tomes. En 2011, Vents d’ouest acceptait de publier Les Têtes rousses, en 2015 a paru Les têtes bouclées. Quant à celui-ci, j’aurais bien aimé qu’il porte le titre Les Têtes fortes, mais les personnages n’en ont fait qu’à leur tête, ils (ou plutôt elles parce qu'il s'agit de deux femmes) ont décidé d’avoir une tête plus dure que forte! Et comme dès le deuxième tome, les personnages ont réinventé leurs histoires, ils ont pris un chemin assez différent de celui que je leur avais réservé au début, je les ai suivis plutôt que d’essayer de les mener. Si l'éditeur est d'accord, ce sera donc Les têtes dures.

Du premier manuscrit, il me restait une soixantaine de pages qui pouvaient servir à ce troisième et dernier tome. Dont la fin. Mais en cours de route, tout a changé. Il y eut des morts, mais moins que dans Les têtes bouclées. Il y eut des départs, des revirements, des choix bien différents de ceux que j’avais imaginés en 2004. Dont la fin.

Suffit, j’en ai assez dit.

En attendant l'examen final et les grandes vacances, je vais goûter à mes semaines de relâche.

mercredi 1 juin 2016

Carnet du roman (6)

Démotivée
Noir
Pluie
Moitié vide
Clichés
Ne plus croire en moi 

Au moment où le moral flanche...
Quand je lis que Le livre des Baltimore de Joël Dicker est mal écrit, mais publié à 280,000 exemplaires. Si le sien est mal écrit, que sera le mien! 
Quand je repense à La femme qui fuit, je sais que je ne parviendrai jamais à ce concerto des mots, ce crescendo puissant.

Je devrais cesser de lire pendant que j’écris. Pendant que je réécris. Peut-être devrai-je cesser d’écrire!

Quand je trouve l’histoire de mon manuscrit bien ennuyeuse, sans rebondissements, sans grand drame. Et le style n’est justement que des clichés. Pas de poésie, pas de force, Pas de puissance. Je redoublerais la cinquième secondaire avec un style pareil! 
Quand je ne vois pas le jour où il sera prêt à être présenté à l’éditeur. Qui m’encourage mais ne peut rien me promettre. 
Que je jure que c’est le dernier, j’ai mieux à faire.

À ce moment, ce même éditeur m’envoie la photo ci-contre. Les livres de Vents d’ouest en offensive à la Librairie Réflexion des Galeries de Hull.
De plus, un réviseur d’un bulletin que je monte, et pour lequel je me permets quelques suggestions de révision, écrit : « Notre graphiste est formidable. Prenons-en soin. » 

Mon roman n’est peut-être pas meilleur, sûrement pas, mais 
Le courage revient
Le noir se grisonne 
Les nuages se dissipent
Le verre se remplit
Les trouvailles suivront bien.
Ne pas compter sur la confiance, seulement la persévérance

Mais tout de même, je le jure, c’est le dernier.

Je me contenterai de mon blogue qu’il soit imparfait, où se glissent quelques fautes, mais dont le rythme de parution me convient, le nombre de mots me satisfait, et où je peux m’exprimer, même si ce sont des platitudes, je n’ai pas à suivre de règles. Que les miennes.

(Mise à jour le 3 juin: aucun commentaire ici, mais 56 "réactions" sur Facebook où je n'ai publié que la photo et le lien vers ce billet, un record dans mon cas. Certains croient que c'est une nouvelle publication, mais qu'importe mon livre est vu donc il existe et par le fait même l'auteure aussi.)

vendredi 15 janvier 2016

Carnet du prochain roman (5)
ou la plainte du travailleur solitaire

Certains jours, après avoir relu quelques pages, j’ai le goût de lâcher.
Un jour, je trouve que j’y mets trop d’heures pour le peu que ça avance.
Une autre fois, je ne trouve pas de solution à mon histoire qui devient incohérente : pourquoi est-elle partie en Gaspésie? Comment a-t-elle pu arriver là alors que le couple ne possède qu’une auto? 
Une autre fois, je trouve que ça ne vaut pas la peine, je ne pense qu’à ça et rien d’autre ne m’intéresse, ce qui n’est pas sain.

Quand il ne reste que le seul entêtement comme raison de le terminer! Et je n’en suis même pas à le terminer, tout juste à l’avancer.
Tant de jours, de mois, d’années pour quelque chose qui se lira en quelques heures, au mieux, quelques jours et qui restera en librairie tout juste trois mois!
Qu’est-ce qui vaut la peine dans ce travail? La fierté? Comment être fière de l’acharnement?

Je sais aussi pourquoi je bloque, pourquoi je résiste. C’est comme si cette histoire ne m’intéressait plus. Je ne la trouve pas si intéressante pour continuer à la conter. Il me vient l’idée de couper là et tout conclure dans un long épilogue ou un chapitre : dix ans plus tard. Qu’on en finisse de ce premier jet. 

Je voudrais déjà écrire autre chose ou plutôt, je voudrais finalement que cette histoire soit déjà écrite et que je n’aie plus qu’à la corriger, la peaufiner. Enlever les répétitions, améliorer le vocabulaire, enrichir les dialogues, que les clichés deviennent des idées géniales. Ça, j’aime. Mais écrire l’histoire, pour moi, c’est pénible. 

Quand je lis un roman ou que je regarde un film, une fois que j’ai compris, que j’ai « vu » la scène, que je sais ce que pense ou ressent le personnage, je suis prête à passer au chapitre suivant. Pour les romans des autres, je peux passer par-dessus les longueurs, aller voir plus loin. Mais quand j’écris, je ne peux pas. Et c’est à ce moment-là, quand ça ne me tente plus d’écrire cette histoire que je résiste. J’attends que le goût me revienne. Ça peut prendre plusieurs jours. 

Et quand ce n’est pas l’histoire qui ne veut pas être écrite c’est la technique qui accroche. Ça ne m’était jamais arrivé. Pourtant je n’en suis pas à mon premier livre. Et comme je n’ai jamais suivi de cours sur le sujet, je ne suis consciente de la possibilité que ça ne survienne que depuis un certain atelier d’écriture, et depuis que d’autres auteurs en parlent dans leurs blogues : le problème du narrateur, le changement du point de vue. 

Dans ma trilogie, dès le début, je savais que je n’utiliserais pas le « je ». Le narrateur omniscient me venait tout naturellement… et sans même connaitre le terme. Dans Les Têtes rousses, il y eut bien une rupture quand je suis passée du personnage de Bridget à celui de sa fille Jenny, mais à force de réécriture et d’ajouts de transition, je crois — enfin, j’espère — que le lecteur a réussi à se détacher de l’une pour accepter la génération suivante. Dans Les têtes bouclées, Léopold était le personnage central autour duquel gravitaient d’autres personnages secondaires, mais dont le lecteur pouvait suivre aussi l’histoire, de l’intérieur si je puis dire.

Pour le troisième tome, je savais qu’il serait question de la mère et de la fille, mais si j’ai réussi dans les cent premières pages à alterner entre l’une et l’autre, comme des vies parallèles, voilà, que, bang, au chapitre 17, les deux font un face à face, atterrissent au même endroit en même temps. Le chapitre commence avec la fille et il se termine avec la mère. Un paragraphe une, quelques lignes l’autre. Plus rien ne va.

Et arrive ce qui devait arriver : je bloque. Les deux veulent agir, parler, penser en même temps. Qu’est-ce que je fais? Je reprends tout depuis le début? Je travaille fort pour séparer les voies devenues siamoises et leur inventer des séquences où elles seront seules en scène? Je continue et on verra plus tard? Ne pas régler le problème tout de suite, est-ce l’envenimer?

Je me sens débutante. Incompétente. Et ce n’est pas un devoir de cinq ou six pages que je pourrais jeter et recommencer. Cent soixante-quatorze pages à revoir. Et pas de professeur pour me tenir la main, pour me dire : 
      — mais non, ce n’est pas si grave, regarde là, tu peux corriger là et là. Pas besoin de tout reprendre, seulement ce chapitre. Et puis tu pourrais faire en sorte que…

         — Oui, oui, j’écoute. Faire en sorte que?

dimanche 10 janvier 2016

Carnet du prochain roman (4)


Certains jours, la petite musique ne joue que des notes dissonantes.

Certaines heures, la tête écrit plus que le cœur. Les tripes que tout le monde veut nous voir mettre sur la table étaient probablement indisposées. Comme si l’humain vivait vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur un air endiablé et le cœur battant! Dans nos histoires, il faut laisser souffler le lecteur aussi, lui non plus ne peut pas soutenir — comme à ses 18 ans — le rythme de sensations fortes tout au long de sa lecture.

Tout un art ou une science ou au moins tout un travail que de mettre ses tripes sur la table et qu’au final, le plat soit bien cuisiné, bien équilibré et non pas une simple coupe de boucher — la meilleure soit-elle — simplement cuite dans un poêlon.

Aujourd’hui était un jour de boucherie, de cacophonie. 

Je devais avoir l’esprit ailleurs. Dans ma vie. Parce que je n’arrête pas de vivre pour écrire. Et même bien concentrée, même si je ne regarde pas le temps qu’il fait dehors, que je ne pense pas à la brassée de lavage que je devrais faire, le téléphone sonne parfois, une amie peut avoir besoin de mon écoute. 

J’ai essayé de lire de bons textes pour me remettre sur la bonne voie. Mais les bons textes ont leur propre musique, leurs propres saveurs. J’ai lu quelques pages de Wildwood de Johanne Seymour à qui j’envie son parcours de scénariste et de réalisatrice parce que je suis certaine que ce qu’elle a appris lui sert aujourd’hui à rendre son histoire mieux structurée. Alors que moi je peine chaque jour, à chaque chapitre pour que le tout soit un beau concerto, un bon mijoté. Le fait que dans ce roman paru en 2014, il soit question d’une adolescente québécoise qui vit dans les années 1968 m’a un peu troublée. Québec – 1968 – adolescence : comme dans mon prochain roman. Pendant quelques minutes, j’ai paniqué, comme j’avais un peu paniqué devant Fanette qui venait de l’Irlande. Mais aujourd’hui, je me raisonne plus rapidement : ce n’est pas parce que le sujet a déjà été traité que je ne peux pas jouer dans les mêmes plates-bandes. De toute façon, tous les sujets ne l’ont-ils pas été, tout le monde aborde les mêmes thèmes : la vie, l’amour, la mort, la jeunesse, l’âge mûr. S’il y a une époque dont les Français sont friands, c’est la Deuxième guerre mondiale et ça n’empêche pas les écrivains d’y ajouter leur version personnelle encore aujourd’hui. 

Sans prétention, j’ai donc relu quelques pages des Têtes bouclées et des Têtes rousses pour retrouver ma propre petite musique et marcher dans mon propre et unique sillon. 

Aujourd’hui est un autre jour. Écoutons pour voir si ce sera Wagner ou Chopin. Led Zeppelin ou les Beatles, Charlebois ou Vigneault.

mercredi 16 décembre 2015

Carnet du prochain roman (3)



Quand sur les cent cinquante pages que contient actuellement ton manuscrit, tu avais plus de cent pages avec un personnage qui vivait jusqu’à la fin et que tout à coup, tu décides de le faire mourir (j’entends déjà les lecteurs s’exclamer « pas encore un! ») autour de la page 75, tu as du travail!

Tu imprimes alors la première page de chaque chapitre, tu prends des notes, tu déplaces, tu biffes, tu coupes, tu changes le titre du chapitre, tu déplaces encore. Tu imprimes la nouvelle table des matières et tu sais que demain, tu auras du travail sur la planche, mais au moins tu y vois plus clair.

Et tu espères que c’est ton dernier mort!

lundi 14 décembre 2015

Carnet du prochain roman (2)

Quelques pages avant la fin, elle reniflait, elle s’essuyait les yeux. Quand elle eut tourné la dernière page, j’ai voulu voir ce qui la faisait pleurer. J’ai relu, je me suis souvenue de cette scène. Pourtant, moi, elle ne m’avait pas fait pleurer. Alors, j’ai compris que j’avais réussi. J’avais écrit une fin émouvante, qui émouvait le lecteur alors que pour moi, ce n’était que des mots. Personnellement, ce ne sont pas sur ces pages que j’ai versé quelques larmes. Donc l’émotion de l’auteur n’est pas nécessairement gage de l’émotion du lecteur, ce que j’ai cru pendant longtemps. Chacun réagit selon son expérience de vie, ses souvenirs. Et, comme chez les membres d'une famille, étrangement, personne n'a les mêmes.

Le genre de réaction qui me donne des ailes.
Puis, à défaut de longue marche sur une plage, vint ensuite la piscine.

Oui, la piscine. Une heure d’exercices et de nage. Depuis plusieurs années, je me suis rendu compte que mes personnages en profitaient pour m’accompagner. Sans autres distractions ou stimuli extérieurs, les idées s’éclaircissent, les solutions surgissent. Comme en méditation.

Exemple, ce matin, je me demandais bien ce qui pourrait arriver entre la fin de l’Expo 1967 et la loi 63 sur la langue française en 1969. Entre deux mouvements de bras, l’idée m’est venue : pourquoi ne pas faire comme dans les autres romans : des parties. La première partie se terminerait en 1967 et la deuxième recommencerait en 1969. Plutôt que d’inventer des scènes inutiles, pour remplir seulement, mieux vaut reprendre plus loin dans le temps quitte à composer un ou deux paragraphes de transition.

Pour la énième fois, j’ai également entrevu un nouvel épilogue.
Pour la énième fois, je crois avoir scellé le sort de deux personnages. 
Et pour la énième fois, j’avais hâte de sortir de l’eau pour tout consigner.

jeudi 10 décembre 2015

Carnet du prochain roman (1)


J’ai commencé un carnet où il est question de mon prochain roman. Ou l'art de prendre une pause pour mettre un peu d'ordre dans sa tête. Un peu comme je l’ai fait pour Les têtes rousses. J’ai toujours aimé lire comment est né un livre, ce qui se passe dans la tête de l’auteur pendant l’écriture du livre. Comme C’est bizarre l’écriture de Christiane Rochefort qui fait suite à son roman Printemps au parking. Ou le blablablog de Katherine Pancol, truffée de citations ou de promenade sur la plage où elle écoute ses personnages.

Certains jours, je ne vois pas pourquoi j’écrirais une suite aux Têtes rousses et aux Têtes bouclées. À quoi bon? Tant de travail, si long avant d’être publiée, si peu de retombées, tant de temps pendant lequel mon esprit est absorbé par cette tâche. Certains jours, je voudrais me sentir libre, me sentir en vacances, me demander le matin : « qu’est-ce que je fais aujourd’hui? » Et le lendemain, je poursuis, je reprends, tout simplement.

Ce que je sais : en novembre 2006, après deux ans d’écriture et de recherches, j’avais écrit quelque quatre cents pages dans Word. Un manuscrit qui contenait toute mon histoire : de Bridget en 1846 à la fin qui se situait alors autour de 1972. En 2011, Les têtes rousses sortaient en librairie, un roman qui se passait de 1847 à 1899. En 2015, Les têtes bouclées couvraient la période de 1899 à 1963. 

Il me restait donc de mon manuscrit initial une soixantaine de pages, celles où il est question des années 1963 à 1972. Je dois doubler et même tripler les pages. Sauf que ça ne coule pas aussi bien que dans le deuxième tome. Je n’arrive pas à insérer des scènes. Je ne peux quand même pas faire arriver certains événements alors qu’ils n’ont pas eu lieu. Exemple parler du Parti québécois avant 1968, année de sa création. Ou un des personnages ne peut pas emprunter de l’argent sans l’autorisation de son mari avant que la loi soit passée. Ou un autre personnage ne peut pas terminer son cours classique à Basile-Moreau alors que le collège est devenu cégep.

Et puis, j’ai ajouté une difficulté en choisissant d’alterner les narratrices. Un chapitre Dominique et le suivant Mireille. J’ai peur que la structure soit lourde. Dans un roman, je déteste pourtant quand l’auteur passe d’un personnage à l’autre comme Jeffrey Archer dans les Clifton, comme Suzanne Aubry dans les Fanette. Parfois une coupure si le chapitre est trop long. Daniel Grenier a réussi un tour de force dans L’année la plus longue. Réussirai-je?

Il me semble que je n’avais pas eu tant de difficultés avec les deux premiers. J’ai beau avoir un plan, une chronologie devant moi, je prends-perds du temps à copier et aller coller ailleurs, au chapitre suivant pour rectifier l’ordre des scènes. Sans compter que je me retrouve avec deux pages dans un chapitre et dix dans le suivant. 

Et la première version avait été écrite au présent, il reste donc encore quelques verbes à mettre au passé. Connaissant ma faiblesse pour la concordance des temps... 

Bref, j’avance à pas de tortue alors que j’ai plutôt le tempérament d’un lièvre. En zigzaguant. Imprimer parce que j’y vois plus clair sur papier, corriger, transcrire. Et ajouter des scènes, des émotions. Je suis encore loin de l’étape du peaufinage de style.

Et vous, tenez-vous un carnet parallèle? Qui tient un blogue où il est question du roman qu'il est en train d'écrire?