jeudi 14 juillet 2022

En attendant



Attendre.
Dans les files celles aux douanes celles au marché d’alimentation. Souvent la mauvaise.
Dans les salles de CLSC de cliniques d’hôpitaux.
Mais ce matin dans l’auto un plaisir du temps pour lire.

Montréal coin Rouen et De la Salle. À l’ombre des arbres qu’il faudra bien un jour apprendre à identifier.
Lecture de D’autres font du vitrail d’Isabelle Dionne. L’éditeur Hamac que j’aime depuis leurs tout débuts publie des carnets des blogues des fragments un de mes styles littéraires préférés ces années-ci.
Entre deux paragraphes je lève les yeux je prête l'oreille je n'en ai qu'une de toute façon qui entend. Rue tranquille mais par les fenêtres ouvertes je perçois les babils d’enfants qui passent en rang deux par deux. Sur le trottoir opposé un homme au téléphone : « C’est une affaire de marde, je vais devoir rappeler tout le monde, tout annuler. » Il tourne sur Rouen. En attendant le vent le silence revient.

Attente mais sans impatience. Ce n’est pas moi qui suis chez l’ophtalmologiste. Pas moi qui aurai une greffe de la cornée, une deuxième.
Dans l’auto je me sens à l’aise. Presque à l’abri. Pas d’idées noires. À quinze ans j’avais peur de marcher seule sur la rue. La bicyclette me protégeait des obsédés. Aujourd’hui l’auto. Quand donc cessera cette peur d’être agressée pire violée? Mes rides et mes cheveux blancs me garantissent-ils l’indifférence des passants?

« La souffrance en chacun tente de sortir » Isabelle Dionne parle de mort du suicide d’un frère.
Devant la souffrance des autres je m’enfuis « au pays des pages perdues ». Lire les mots des autres fait moins mal que d’écouter les paroles des personnes aimées. La lâcheté me mène vers l’écriture. Vers la solitude aussi.

Dans le livre la narratrice « cherche un exemple d’ellipse ». Je n’ai pas le wi-fi ni de données mobiles pour chercher ce qu’est une ellipse. Je ne sais plus rien sans Google. Mon cerveau saturé d’informations ou paresseux.

Un homme et une femme marchent bras dessus bras dessous. Lui avec une canne blanche. Freiner mon esprit ne pas le laisser aller vers un scénario pire qu’une greffe de cornée la perte d'un oeil.
Retourner à Isabelle Dionne toujours plus facile de vivre la vie des autres que la sienne. Je pense bien que j’en fais des ellipses. Du pastiche c’est certain par pure admiration du style d’un·e auteur·e. Vous permettez Isabelle Dionne? Ma façon de vous dire mon admiration. Ma façon de dire que j'adore votre livre. Ressemble à ceux de Lynda Dion que vous remerciez à la fin. 

Dernier fragment : « Le geai bleu » un geai bleu renfermé, un geai bleu libéré.
Chez moi aussi le geai bleu est devenu un symbole. Pendant mes convalescences, il est venu souvent me visiter. Me tenir compagnie. Me libérer?

Fin du livre. Merci Isabelle Dionne. Merci Hamac.

Début de la véritable attente. Un début d’inquiétude aussi. Deux heures. Habituellement pas si long. Hâte de savoir. Hâte d’être à la maison. L’été n’est pas si chaud. La piscine est laiteuse. Saura-t-on jamais si les nitrites et nitrates des champs autour de chez nous causent nos maladies? Cinquante ans que je reste en face d’un champ de pommes de terre/maïs/soya, ça laisse des traces.

Tiens, prochain billet : mes maisons, ma maison.

Et vous comment supportez-vous vivez-vous les attentes?


dimanche 10 juillet 2022

Souvenir de framboises

 

Devant la maison, quelques traces encore du derecho. Derrière, le vert des feuilles omniprésent. Les rares framboises rouges contrastent, mais s’harmonisent au décor. Elles sentent l’été, elles disent juillet.

J’ai 8 ans, j’ai 13 ans, j’ai 16 ans, j’ai 20 ans, je marche dans le chemin Caron qui mène à la baie de l'Ours (lac Simon), à la recherche de framboisiers.
Le 16 juillet, ce sera la fête de ma mère. Je lui offrirai son fruit préféré. Certaines années, une poignée tout au plus. Je comblerai par un bouquet d’épervières et de marguerites.

Ma mère aurait eu 98 ans cette année. Elle est morte il y a dix ans. Et pourtant, en voyant l'unique framboise rouge (que le geai bleu s’est empressé de manger), c’est elle qui m’est tout de suite venue à l’esprit.

Est-il vrai qu’en vieillissant ce sont les événements de notre enfance qui surgissent le plus souvent? Où est-ce moi qui exalte ma mémoire? Ce moi qui pense tout le temps, ce moi qui cultive les associations d’idées?
Ce moi qui, ce matin, en lisant Blonde de Joyce Carol Oates, revoit encore sa mère. 
« Blonde n’est pas une biographie de Marilyn Monroe. Blonde est un roman sur ma mère, sur la vôtre, sur toutes nos mères un peu spéciales. » 
Justine Lévy dans la préface de Blonde
Je me rappelle de l’endroit où j’étais à l’annonce de la mort de Marilyn Monroe. En août 1962, nous sommes en Europe, à Paris je crois, sans doute attablés à un café terrasse, après avoir acheté des livres dans une librairie (mon frère un Tintin, et moi, un livre d’Enid Blyton sûrement). Après un long et sombre « Ah non! », mon père passe un journal à ma mère. Celle-ci, moins expressive que mon père, fut quand même surprise de voir que l’actrice avait à peine deux ans de moins qu’elle. Ils sont un peu tristes, je le sens. Je leur demande pourquoi.

J’ai douze ans, et j’aime bien que mes parents me racontent leur première rencontre. C'était à Saint-Eustache-sur-le-lac, dans une salle de cinéma. Ils avaient 16 et 18 ans. Le cinéma, c’était leur jeunesse, leurs sorties, leurs étés, leurs amours. La mort de Marilyn Monroe, ce devait signifier la fin de quelque chose pour eux. Comme toutes les morts.

Comme il est trop tôt pour cueillir des framboises, je retourne à la lecture de Blonde... Mille pages quand même, je risque de m’interrompre pour aller les ramasser ces framboises si les geais bleus veulent bien m’en laisser. Sinon, j’aurai mes souvenirs.

Et vous, que vous rappelle le temps des framboises... ou les années soixante?