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dimanche 30 décembre 2018

Décembre fut beau


Souvent les mots des autres appellent les miens.
Décembre, mois de rêverie. On pense à ce que sera notre Noël, notre hiver.
Dans mon cas, Noël, c’est plaisir partagé, rêve réalisé, chaque jour la santé et… chaque jour lire.

En décembre, il y eut d'abord Ma bibliothèque, lire, écrire, transmettre de Cécile Ladjali et La liseuse de Paul Claudel. J'en ai parlé dans un précédent billet.

Ensuite, comment ne pas emprunter un livre dont la couverture est un si beau chevreuil, mon animal préféré après le chien, mon animal totem? Un premier roman, une jeune auteure, une langue soignée, une recherche fouillée. Il y est question des mutations de la nature, d’animaux, d’environnement. De son roman Faunes, l'auteure Christiane Vadnais nous dit:
« C’est l’histoire de personnages confrontés à la nature qui prend sa revanche. C’est ancré dans l’imaginaire des changements climatiques. Il y a des tempêtes, des orages, des animaux sauvages. Ce que je souhaitais, c’est nous remettre en contact avec cette nature-là qu’on n’a plus dans notre monde virtuel. »
Très bien coté par les chroniqueur. e. s et blogueuses, je l'ai commencé avec beaucoup de plaisir. Sauf qu'à travers les belles descriptions, très peu d’émotions ou des relations humaines. D’où, hélas, mon désintérêt. Pas que je n’ai pas aimé, mais je me sentais enfermée, dirigée. Alors que je filais rêve, liberté. Je me sens un peu coupable d’aimer plus la couverture que le contenu. Je l'ai laissé de côté, croyant le reprendre.

Puis j’ai reçu Le lambeau. Le précédait tous les prix, tous les éloges. J’étais avertie : Philippe Lançon raconte l’attaque de Charlie Hebdo au cours de laquelle il a été blessé gravement à la bouche. Je ne connaissais pas Lançon, j’avais bien sûr entendu parler de Charlie Hebdo, de la tuerie. Comme je ne suis pas du genre à regarder en boucle un événement tragique, ou avide de détails croustillants et inédits, je voulais surtout lire de la littérature.
Ce fut le cas. L’auteur a su nous faire entrer dans sa vie, dans sa famille, dans sa chambre d’hôpital. Je ne dis pas que j’ai tout lu. Peut-être parce que je ne suis pas Française, les gens rencontrés dans le cadre de ses fonctions de journalisme m’ont moins touchée. En revanche, le fait d’avoir connu les craintes, les angoisses de séjours à l’hôpital m’a complètement captivée. Avertissement : si vous êtes en convalescence ou si vous suivez des traitements, peut-être pas la lecture idéale. On souffre, on a mal, on a hâte de penser à autre chose.

J’étais avec lui, je vivais avec lui, j’ai déjà pensé comme lui.
« Je répétais [les phrases] pour ne pas abandonner mes compagnons à leur sort. Je les ai répétées toute la nuit, mot à mot, dans un sens puis dans l’autre, comme une confidence, sans penser encore qu’il pourrait s’agir d’un article destiné à être lu. »
« J’étais coupable d’au moins ça : leur [les parents] imposer cette épreuve a la fin de leurs vies. »
On oublie la tuerie, l’état islamique, les musulmans, la politique, on n’est pas Charlie, on est un blessé, un opéré, une personne hospitalisée… un écrivain. Un grand écrivain.

Après Le lambeau, je voulais différent. J’ai voulu savoir si Cécile Ladjali avait eu raison d’écrire :
« Après la lecture d’Anna Karénine rien ne devrait plus jamais être comme avant. »
En attendant la réception de livres réservés, je (re) lis donc Anna Karénine de Tolstoi. Je n’ai pas oublié Jane Eyre ni Emma Bovary, mais j’avais oublié Anna Karénine. C’est tellement long avant qu’elle apparaisse dans le roman mais j'ai persisté.

Les collages (mot employé par l’auteure ou l’éditeur pour désigner le livre) de Trente auraient dû m’irriter : très nombreuses phrases en anglais, des citations pour la plupart, pas toujours traduites, des majuscules, des caractères gras. Mais j’aime le rythme, ce sont comme des billets de blogue. Marie Darsigny, ou la narratrice, parle de ses trente ans comme j’aimerais parler de mes 70 qui dans seize mois. Raconter ce 70 que déjà plusieurs personnes autour de moi ont déjà atteint. En parler sur le même ton. Y mêler des noms d’auteurs qui ont voyagé avec moi, de mes muses.

En racontant ses petites obsessions, l’auteure écrit évidemment sur son époque (décidément les livres lus ce mois-ci sont tous bien ancrés dans un temps, dans un environnement bien précis), elle cite Nelly Arcan, Marie-Sissi Labrèche, mais aussi Stella Gibson ou Joyce Byers qui ont l’air de venir de Netflix, je ne sais pas, je ne connais pas. J’écrirais sur mes petites obsessions, mais aussi sur Simone de Beauvoir, sur Marie Cardinal. Je jouerais au jeu de La Presse qui demande quel livre nous a donné envie de lire, celui qu’on offrirait à un jeune de 20 ans, celui qu’on sauverait d’un incendie.

Comme dans Trente, irais-je jusqu’au noir de la vie, à la plainte, à la peur d'une nouvelle dizaine? Dirais-je mes frustrations, mes peines, mes refus d’éditeurs? Comme elle qui n’a pas gagné le prix de Radio-Canada : 
« Je ne suis pas parmi les finalistes de Radio-Canada, sur la page web il n’y a pas mon texte […] je dois le dire haut et fort pour que tout le monde sache que je ne suis pas une gagnante, je dois le crier pour que tout le monde sache que je n’ai as utilisé des mots comme claquemuré ou sanatorium, je n’ai pas parlé d’une enfance triste ou d’une mère morte. »
Je n’ai pourtant pas grand-chose en commun avec elle : ni ses 29 ans, ni son amour pour Angela Jolie ou Lizzie, je n’ai lu aucun des livres anglais cités, je ne suis pas dépressive, mais comme elle,mais il est vrai que certains jours: 
« je ne suis pas capable d’écrire, d’exister à travers le grand vide des jours de l’hiver qui finit, l’hiver des mille lectures qui se voulaient des façons de me donner le goût d’écrire […] je suis une petite graine de rien qui pleure dans l’ombre des femmes folles de l’histoire littéraire. »
Même si je pense parfois comme cette auteure-narratrice, j’espère qu’à 69 ans, je ne serai pas aussi dépressive qu’elle l’est à 29.

Quand Jours de sable est arrivé, ce fut facile de laisser Kitty et Levine pour plonger dans les phrases poétiques et philosophiques d’Hélène Dorion. Jours de sable. Vagues de mots. Méditation sur l’enfance. Recherche de vérité. Postface de Marie-Claire Blais.
Après Recommencements et L'étreinte des vents, je n'ai pas été déçue, mais pas été emportée aussi loin. Il faut dire que Jours de sable est une réédition. En fait, le texte précède les deux autres.
« Dans la plupart des vies, il n’y a rien d’extraordinaire. […] Alors, il ne reste qu’à avancer, d’abord deviner quelques lettres, un mot peut-être, tenir le fil ténu entre le pouce et l’index, le tirer jusqu’à soi, recommencer, recommencer jusqu’à ce qu’apparaisse enfin le filet plus dense sur lequel s’appuieront nos histoires. »
À peine le temps de retrouver Anna et son mari qu’Un lien familial de Nadine Bismuth est apparu dans mes courriels. Comme je l’avais réservé depuis un bon mois, j’ai eu le temps de lire ce que d’autres en ont pensé, d’avoir hâte.

Je n’en suis qu’à la page 68. J’aime bien. Se lit facilement. Une histoire de couples : des jeunes, des plus vieux, des adultères. Très modernes avec des textos, des courriels, l’Internet, les réseaux sociaux. On alterne entre le point de vue de Magalie et celui de Guillaume, sans s’y perdre. Portrait d’une époque.

Un petit irritant en voyant une recette publiée sur quelques pages. Pour l’instant, je ne vois pas l’importance de l’avoir mise en entier. En parler, oui, que le lecteur se pose la question de sa portée, mais la détailler? J’imagine la discussion que l’insertion de la recette (transcrite dans un autre police de caractères) a dû susciter entre la direction littéraire et l’auteure. Me revient à l’esprit le « c’est déroutant » d’un éditeur quand j’ai utilisé ce procédé de deux typographies différentes pour identifier des personnages. Bon, passons, c’est pour dire que l’auteure que je pense être n’est jamais bien loin de la lectrice.

Nadine Bismuth a bien su camper les personnages. On reconnait un père, une mère, une copine et même soi-même. Je ne voudrais pas être Isabelle. Je me demande si parfois je ne le suis pas. Je n’aime pas ma voix. Non seulement je n’aime pas ma voix, mais dix fois par jour je peux me demander si je n’ai pas dit une connerie. Ou si ce que j’ai dit, je l’ai lancé sur le bon ton. Au point de préférer ne plus avoir affaire aux gens. Au point de préférer les livres, la solitude, le silence.

Comme cette Isabelle dans Un lien familial. Ai-je déjà pensé comme elle ou pis, passé une réflexion comme la sienne? Pardonnez-moi si je vous ai offensé.
« Je venais d’apprendre à Isabelle que mon père était mort d’un cancer de l’estomac. Après avoir fait une moue désolée, elle avait hoché la tête en pinçant les lièvres et, comme celle qui détient la clé des mystères de l’humanité, elle avait lâché : » Ton père mangeait sûrement très mal. » […] manque grossier d’empathie. »
Et quand j’aurai terminé ce roman, je retournerai à une autre relation adultère, celle d’Anna et de Wronsky. Portait aussi d’une époque, et de toute une société. Un style moins coup-de-poing, plus 19e siècle bien sûr. Bref, aucune comparaison, mais pourtant toujours les mêmes sentiments humains.

Voilà donc ce que fut mon mois de décembre. Un mois qui fut beau même si certains livres racontaient des événements tristes.
Belle fin d’année, riche en émotions, riche en rêveries.
Chaque jour, j'ai dit: « La vie est belle. »

Et vous, votre année se termine-t-elle dans le plaisir et la joie?

dimanche 28 janvier 2018

Dis, quand reviendras-tu?

Il ne m’est pas plus agréable de lire :
« Il n’a pas l’intention de raquer pour des clous. De toute façon, il n’a pas l’intention de raquer du tout […] soit il écrabouille les ratiches du gars »  
(traduction dans C’est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood)
que de lire :
« J’ai déjà fait éclater mon iPhone en le propulsant au bout de mes bras, de toutes mes forces. Kin toé. […] Le stress, l’angoisse et la honte m’ont envahie. Carte de crédit pleine. Carte de débit vide. Ostie., ostie, ostie. […] Can’t fight the moonlight » 
Les désordres amoureux, Marie Demers
Une Canadienne-anglaise quadragénaire traduite en France et une trentenaire Montréalaise. Le parler populaire dans les deux cas. Qui me rebute quand c'est dans l'écrit. Je me sens snob de ne pas me retrouver ni dans l'un ni dans l'autre. Me sens nulle à n'aimer que ce qui me ressemble.

Je suis oiseau distrait.
Je volète, je titube, je ne vais nulle part.

Ne me viennent à l’esprit que des phrases insipides. Qui ne veulent rien dire s’il n’y a pas de suite ou de contexte.
Après avoir relu des extraits de L’étreinte des vents d’Hélène Dorion « Un jour on rencontre un être qui nous dit je t’aime comme jamais encore on ne l’avait entendu », j’ai écrit cet incipit romanesque :

Je n’ai jamais dit je t’aime à ma mère. Ni à mon père. Encore moins à mon frère. Ça ne se disait pas, ça ne s’entendait pas, et personne s’en plaignait.
Savais-je même, sentais-je même que je les aimais? J’étais trop occupée de ma vie pour y penser.

Et à la fin de l’histoire, le personnage dirait : Depuis 50 ans, chaque jour, je lui dis je t’aime.

C’est l’hiver, saison du dedans, de l’intimité, ce qui, selon Joyce Carol Oates, est « un trésor pour un introverti ».
Après deux mois de voisinage dans le sud, de brise dans les palmes, de chants d’oiseaux, de bruits de moteurs, j’ai retrouvé le silence de ma campagne. Mais le vide aussi dans ma tête. Les photos sont classées, publiées, le récit a été maintes fois raconté.

Je n’ai plus rien à dire. Rien encore ne m’intéresse suffisamment pour entretenir une longue conversation ou écrire un long billet.
Je volète, je zigzague, je grappille.
Et je n’attends même pas la fonte printanière ni ne surveille le retour des hérons. Je suis juste là, les yeux dans le vague, les oreilles attentives à ce qui pourrait survenir.