lundi 18 mai 2020

Tous ces mots écrits dans le ciel


Dès que je me suis assise sur la galerie, mon regard levé vers le ciel et la cime des grands pins rouges, le calme s’est installé. Le silence a chassé les mots de colère et de frustration des dernières semaines.

Aussitôt, j’ai eu envie d’écrire cette accalmie, ce petit bonheur tranquille. D’une phrase à l’autre, j’ai repensé à toutes celles que tant d’auteurs se sont donné la peine d’écrire. J’ai revu les vieux livres rangés sur des tablettes poussiéreuses du sous-sol. Cette semaine, collecte des gros rebuts. Je jette ou pas? Je vends, je donne? Des romans qui datent des années 40-50, du temps de mon père et de ma grand-mère maternelle. Je ne lirai donc jamais Clara Malraux? Je ne finirai jamais Jean-Christophe de Romain Rolland? Pour qui toutes ces phrases? Pour le ciel seulement?

Tant de phrases, tant de mots, de pensées, d’histoires, de vies oubliés, ignorés, jetés? Et les miennes, mes phrases dans toutes ces lettres, dans ces cahiers que j’ai accumulés au cours de ma vie, je les jette aussi? Les centres d’archives sont déjà si pleins des vies passées. En voudront-ils d’autres? François Côté qui achète et vend de vieux livres anciens et modernes en voudra-t-il ?

Des phrases qui s’envolent au ciel, qui formeront des nuages, qui deviendront des orages ou d’extraordinaires couchers de soleil. Mourront-elles toutes dans les rebuts?

site de François Côté, libraire >>>



samedi 16 mai 2020

Auteure tout de même

Début mai, ce devait être le Festin de livres 2020. Une belle rencontre organisée depuis trois ans par le Centre d’action culturelle de la MRC Papineau.

On sait pourquoi il n’a pas eu lieu, mais il s’est transformé en Festin de livres virtuel avec présentation des auteur·e·s et organismes qui devaient être présents. Tout le mois d’avril.

Puis, toujours dans le cadre du Festin de livres, ce devait être le concours d’écriture. Cette année, le thème était « Terre ».

Il eut lieu.

Je ne me sens plus tellement auteure parce que je n’ai rien en vue. La Floride en hiver, la Covid au printemps, rien pour me donner le goût d’écrire. Ou en tout cas de structurer mes idées, d’exprimer mes sentiments mitigés, de mettre des mots sur mes sautes d’humeur, de faire la leçon aux insouciant·e·s, d’argumenter avec ceux ou celles qui ne pensent pas comme moi.
Mais j'ai participé. Je n'ai pas gagné.

Les gagnants ont eu leur vitrine, ils ont pu lire leur texte sur vidéo publiée sur Facebook. De textes riches, de belles histoires.

Je publie donc le mien ici.

Haro!

Humains de la terre, entendez-vous mes peurs? Entendez-vous mes alarmes? Voyez-vous ma détresse? Je vous le dis « En vérité, je suis malade ». Pas qu’un peu, pas un petit rhume qui passera en quelques jours ou quelques semaines. Non, vraiment pas bien. Et ce, depuis plusieurs années, peut-être même des siècles. Je m’autodiagnostique, je me soigne, je reçois un peu d’aide, mais pas assez. Plus assez. Il me faut vraiment plus.

J’explose de partout. Dans tous mes pores, dans tous mes coins, dans tous mes trous. De tous bords, à l’envers à l’endroit. Dedans et dehors. Je suis fatiguée, essoufflée, fiévreuse. Vieille. Abandonnée.

Sept milliards de personnes et encore plus d’animaux sauvages à faire vivre. Je me sens responsable, mais j’ai besoin de votre aide. J’ai crié. Je crie encore. Je veux bien faire ma part, être optimiste, être courageuse, être patiente, mais qui m’entend?

— Depuis le temps que tu existes, n’as-tu pas déjà vécu de beaux jours, dit un humain moins sourd et moins aveugle que les autres.

La terre n’en avait pas fini de ses reproches.

Toi qui fumes, tu me tues à petit feu.

Toi qui conduis des autos polluantes, tu m’étouffes et tu étouffes tes enfants.

Toi qui m’arroses de pesticides, d’insecticides, tu ruines mes champs, tu mégaproduis, tu épuises mes ressources.

Toi qui continues à recourir au pétrole des sables bitumineux, tu charbonnes mes saisons.

— As-tu fini de m’accuser? Utilise le « je », dit un humain mécontent.

Quand ma colère gronde, je tsunamise, je pleute torrentiellement, j’éruptionne.

Et si je me réchauffe, je me déglacifie, je me déforeste. Quand tu m’exploites outrageusement, je me tropicalise, je cyclone, je guerroie, je pandémise. Je me meurs.

— Bon, bon, tout de suite les gros maux. Je répète : depuis le temps que tu existes, n’as-tu pas déjà vécu de beaux jours, dit une humaine, irréductible optimiste.

La terre réfléchit longuement, calme son emballement, et finit par trouver :

Au printemps, je peux être belle, je rayonne, je refleuris, je colore les forsythias, les tulipes, les cerisiers. Quand j’étais Gaïa, j’ai créé des montagnes, des fleuves, des mers, des ciels. Connais-tu les Rocheuses? Ne marches-tu pas sur les plages de l’Atlantique? Ne vois-tu pas les couchers de soleil du Bas-Saint-Laurent?

Quand comprendras-tu que toi, c’est moi? Que toi et moi, nous ne faisons qu’un? Que ta vie dépend de la mienne. Je suis la vie, prendre soin de moi, c’est prendre soin de toi.

— N’as-tu pas un peu d’espoir? N’entends-tu pas les Greta, Hubert Reeves, David Suzuki. Même Richard Desjardins.

— Ce n’est pas à moi de les entendre, c’est aux hommes, aux femmes, aux enfants, aux collectivités, aux décideurs, aux politiciens, aux entrepreneurs. Et ne pas agir seulement en temps de crise ou lors de tempêtes.

— Bon, bon, d’accord, tu voulais que je me sente coupable, ça y est, tu as réussi. Coupable sur toute la ligne.

— Je ne veux pas que tu te sentes coupable, mais responsable et que tu agisses pour le bien de l’humanité. Parce que prendre soin de la terre, c’est prendre soin de l’humanité.

Les humains, déjà sensibles à l’environnement, s’exprimèrent en chœur.

— Ô terre, ö ma terre-mère, ô Gaïa, source de ma nourriture et de ma vie, je me suis réveillé, j’ai pris conscience que je dépends de toi, et puis maintenant j’agis. D’abord à petite échelle, chez moi, dans ma maison, dans mon jardin, dans ma rivière, dans ma forêt. Il me reste à me joindre aux voix des peuples en parlant à mes voisins, à mes députés, à mes dirigeants. Répéter, insister, démontrer, chercher, produire, recycler. Et surtout te respecter, t’aimer.

samedi 2 mai 2020

Choisir la facilité : obéir

Silence apparent ces dernières semaines. Plus facile de se taire que de chercher les mots pour bien exprimer ce que je ressens. Parce que le ressenti est tout croche. Émotif plus que raisonné. Mais Stéphane Laporte me rassure: 
« Ce ne sera pas évident. Parce qu’elle va vouloir rester en dedans. Elle est très possessive, la peur. Elle est contente de nous avoir juste à elle. Elle n’aime pas nous partager. Ça va prendre bien du courage pour la convaincre d’aller dehors. Mais il faut y parvenir. Lui dire qu’elle aura encore son utilité. Pour nous pousser à être prudents. À respecter les consignes. À nous protéger et à protéger les autres.
Nous sommes des millions à avoir peur, depuis des semaines, pourtant, nous n’en parlons pas. On garde ça pour nous. Ça fait faible. Pas sûr. »
J’ai moins honte et je me sens moins coupable de dire la peur. Je m’étais convaincue que ce n’était pas la peur qui me faisait refuser de prendre le risque d’aller plus loin que ma région. Je disais que c’était ma conscience sociale. Mais oui, aussi. Quand même.

Le degré de peur a augmenté avec l’âge. Je suis moins téméraire qu’à 20 ans quand je descendais à toute vitesse la piste Beauchemin au mont Tremblant. Ou quand je conduisais à 134 kilomètres à l’heure sur une autoroute. Ou même quand je buvais quatre bières en deux heures et que je prenais la route.

Le degré de conscience sociale a augmenté probablement en même temps. Je n’ai pas eu d’enfants, mais j’ai eu des parents vieillissants, j’ai côtoyé des malades, j’ai vu des accidents, j’ai voyagé, j’ai comparé, j’ai vu les effets de nos actions sur notre terre.

Est-ce que la peur me paralyse? Oui, mais à quel point?
La peur me fait-elle prendre de mauvaises décisions? Peut-être, mais mauvaises pour qui?
La conscience de la collectivité a-t-elle bon dos? En partie sûrement.

Se demander qui a tort ou qui a raison, ce n’est pas le moment. De toute façon, on a toujours raison pour ce qu’on pense… puisqu’on le pense, peu importe si c’est à partir d’un raisonnement ou d’une émotion.

J’ai 70 ans depuis quelques jours seulement et les interdits sont nombreux.
Combien de temps encore à obéir? Combien de temps encore à convaincre mes proches de rester chez eux?

En fait, je fais ce que j’ai toujours fait : une liste des pour et des contre avant de prendre une décision: quand sortir, où aller, puis-je voir telle ou telle personne, puis-je accepter la visite d’une telle? Chaque fois : en ai-je vraiment besoin? Puis-je tenir le coup encore quelques jours, quelques semaines? Puis-je attendre une permission officielle? Suis-je tentée d'être rebelle parce que je me sens capable d'évaluer les risques? Oui, bien sûr, comme toute personne frustrée.

D’instinct, je serai toujours pour l’obéissance, je serai toujours du côté de l’autorité, des règles. Mes parents ont longtemps décidé pour moi, mais ils m’ont aussi appris à être responsable, à nuancer, à peser le pour et le contre, à penser aux autres.
Obéir, mais je ne suis pas pour autant aveugle ni sourde, ni silencieuse, ce qui ne m’enlève pas le droit de critiquer, de changer d’avis, de prendre quelques risques en défiant l’autorité.

Choisir la facilité, la sécurité, la paix, la tranquillité d’esprit plutôt que l’anxiété à me demander si je suis en tain de mettre la vie de mes proches, de mes co-citoyens, de mes compatriotes en danger. Ai-je vraiment le goût de peut-être avoir à discuter avec un policier, à me demander qui m’a dénoncée? Choisir le respect de la loi plutôt que de privilégier cette liberté si chère à nos cœurs. Quitte à passer pour lâche, pour peureuse, pour anxieuse.
Mais je commence à être à bout d’arguments pour convaincre ceux et celles qui m’entourent, qui veulent me voir, qui veulent sortir. Sous prétexte qu’on n’est pas atteint du virus. Sous prétexte qu’on est en bonne santé, même si on a 70 ans.

Le cœur s’en mêle.
Le cœur physique qui bat la chamade la nuit quand la conscience ne sait plus quoi penser.
Le cœur émotif quand il faut que je dise non à des gens que j’aime. Parler ou me taire? Parce que la peur de ne plus être aimée s’ajoute aux autres inquiétudes. Et parfois, prime. Et parfois mauvaise conseillère, elle aussi.

De savoir que je ne suis pas la seule à affronter de telles questions, un tel dilemme ne me rend pas tellement la chose plus facile. Me battre n’a jamais été naturel chez moi. Même si ce n’est qu’avec des mots.

Oublier un peu tous les empêchements, trouver plutôt les -- quand même-- nombreuses permissions : marcher sur ma rue, nettoyer le terrain, lire, jouer au Candy crush, préparer une soupe à l’oignon gratinée, prendre un apéro avec des ami.e.s via un écran. Rire.

Et se dire bientôt. Sans fixer de date.