samedi 28 mai 2022

Trois secondes

Avant
Le samedi 21 mai, une journée très humide. Et venteuse. Des jardiniers plantent leurs légumes, des pêcheurs cherchent l’achigan, des enfants heureux du long congé.

Puis, vers 16 heures, des vents forts, la pluie d’abord légère, puis un horizon blanc de pluie torrentielle. Un orage terrible. Les gens quittent les lacs, d’autres s’arrêtent au bord de la route, d’autres encore, dont moi, entrent dans la maison.

Je m’assieds au salon, les fenêtres derrière moi. Je n’aime pas le vent. Je ne veux pas voir la valse des grands pins.

16 h 15
À peine trois secondes.
Chez nous.
Les jours suivants, nous verrons que ce n'est pas que chez nous.

Un bruit. Pire que le tonnerre. Pas un boum, pas un crac, un gros — jamais entendu — scroumphhh!
Trois secondes qui allaient changer notre vie (et la vie de bien des Québécois allions-nous apprendre plus tard) pour plusieurs jours à venir.
Dans la Petite-Nation (en Outaouais, pour ceux et celles qui ne savent pas) ce fut pire que le verglas.

16h18
L’« après » de ce présent si court venait de commencer.
Nous vivons dans une plantation de pins — gris et rouges —, hauts de 55 pieds, vieux de 55 ans. En face, à l’ouest, deux immenses champs où le vent peut prendre son élan.

Je me lève d’un bond. Je vois tout de suite un rideau de branches dans les vitres du devant de la maison. En même temps, je réalise que les branches n’ont pas cassé les fenêtres. Je n’ai rien. Je crie. « Louise, où es-tu? » Elle est debout dans la galerie arrière. Je la vois. Nous sommes saines et sauves.
Elle veut aller dehors. Voir si la vieille piscine hors terre a tenu le coup.
Je lui crie « pas tout de suite, il vente encore, il pleut encore, d’autres arbres peuvent tomber ».
Je suis la mère qui veut protéger l’enfant en lui interdisant d’aller jouer dehors par temps d’orage.
Je suis aussi la petite fille qui ne veut pas rester toute seule à l’intérieur.

On s'abrite sous un encadrement. On se colle. On respire. Louise voit ce que j'ai vu: les arbres tombés.  



16 h 40
Le vent a cessé, la pluie est intermittente.
On ouvre la porte, on enjambe les branches sur la galerie. On regarde le désastre.
Quatre énormes branches, six ou huit pouces de diamètre je dirais, sont tombés sur la gouttière. Aucun arbre déraciné. Par contre, une des branches est appuyée sur des fils électriques.

Déjà, noter les heures, déjà appeler Hydro-Québec, penser aux assurances.
C’est samedi, c’est longue fin de semaine de congé. Personne ne répond.
« Votre appel est important pour nous » chez Hydro-Québec.
« Your call is important to us » chez Aviva.

Pendant trois jours.
Noter le jour, noter l'heure. Commencer un carnet. 
Si possible des noms, des numéros de téléphone.
Ça deviendra une histoire après.
Un message dans Facebook peut-être quand j’aurai du réseau. Peut-être un billet sur mon blogue.
Chacun raconte son histoire.
J'ai écrit la mienne.

À suivre...

mardi 17 mai 2022

Lire François Blais

Je lis (ou je relis puisque la couverture me dit quelque chose?) Sam de François Blais. Parce qu’il est mort avant-hier. Parce que la curiosité me mène chaque jour dans des dédales parfois tortueux, où je trouve plus de questions que de réponses. Je me rends compte que je peux simplement énumérer lesdites questions parce que je ne connais, et à l’âge que j’ai, je ne connaîtrai sans doute jamais le fonctionnement du cerveau, encore moins toutes les ramifications qui mènent aux choix que nous faisons dans la vie.

Et de plus en plus souvent, cette réflexion sous-jacente :
« Ce n’est que ça la vie? ».

Pour ne pas m’embourber dans des interrogations, disons moins philosophiques, je bifurque vers Google. Donc, dès les premières pages de Sam, je cherche si Marie Bashkirtseff a vraiment existé. Réponse oui. Elle n’a vécu que 25 ans et elle est dans Wikipedia. Je ne comprendrai jamais ce qui fait qu’un·e tel·le soit connu·e du monde entier (façon de parler puisque je ne la connaissais pas), alors que tant de monde, dont moi ou en tout cas (est-ce que ça se chiffre la notoriété?), n’aura jamais leur nom imprimé où que ce soit.

Je cherche aussi de quoi a l’air un cahier Quo Vadis ligné Duo Habana Smooth bleu. Oui, il existe, oui, j’en ai eu comme celui-là ou des semblables. Je m’identifie. Écrire son journal. Sam se demande bien pourquoi:
« Hier encore, je me disais à quoi bon, hein à quoi bon, ma petite S***, consacrer chaque jour deux de tes seize heures d’éveil à raconter les quatorze autres? ». 
Si j’ai cessé d’écrire mon journal sous une forme classique, je n’ai jamais cessé d’écrire dans des cahiers ou même dans des fichiers Word. Des petits bouts. Parfois une page, parfois plus. Pas comme un agenda pour me souvenir des dates et des rendez-vous. Et puis il y a eu mon blogue que j’ai tenu pendant plus de dix ans. Mais ce n’est pas comme un journal.

Et me voilà à écrire comme François Blais, en digressant, en parenthétisant.

En arrêtant surtout de lire Sam comme on interrompt quelqu’un qui parle. Sans même m’excuser de ne pas laisser François Blais finir sa phrase, les miennes s’imposant. Comme si je voulais crier plus fort que lui qui vient de se taire. Je viens à peine de le découvrir que déjà, je l’empêche de me raconter, à travers ses écrits, ce qu’il avait à dire. Comme si ce que j’ai à dire, moi, presse tant. Ou plus important. Et avant de me demander encore : quel intérêt d’écrire mes pensées? À quel besoin réponds-je? Bref, pourquoi? Tu as publié dix livres, tu as écrit 821 billets sur ton blogue. Qu’as-tu encore tant à dire? Et surtout, laisse au moins les autres parler. Et aujourd’hui, écoute François Blais. Lis François Bais. Cherche dans la vie des autres, toute fictive soit-elle, des raisons de poursuivre la tienne le plus sereinement possible.