Mes parents se sont connus et se sont mariés à Saint-Eustache-sur-le-Lac (devenue Deux-Montagnes). Après leur mariage, ils sont restés un temps au chalet paternel, vieux chemin Oka.
En 1948, ils ont déménagé sur la 30e avenue.
, ils étaient sur la 18e avenue.
Et puis ensuite...
En regardant les photos...
Pour chaque maison (sauf pour les deux premières dont je n’ai aucun souvenir), je pourrais écrire les rires et les larmes, les peurs et les audaces, les succès et les défaites, mais je me contenterai d’une image ou d’une scène marquante.
Niagara Falls : tout est en noir et blanc, une silhouette, quelqu’un passe
rapidement devant la fenêtre. On me dira qu’un voleur est entré dans la maison.
Rue Saint-Germain : J’ai avalé un Life Saver. Je m’étouffe. Je tousse.
L’ambulance m’emmène à l’hôpital Pasteur. Scarlatine. Au bout de vingt jours, par
la petite vitre de la porte, mon père me fait signe. Bien avant la fin de la
quarantaine, il me ramène à la maison, il n’en pouvait plus de me voir toute
petite dans ce grand (et haut) lit blanc, m’a-t-il dit souvent.
Rue Du Collège : Mon frère et moi jouons à nous lancer une balle bleu blanc
rouge. Commandant, le chien de mes grands-parents court après la balle. Dans la
rue, je le vois se faire écraser. J’en rêve encore.
Chalet de Baie de l’ours : les longues baignades, les jeux sur la
plage, les cousin.e.s, la messe à Montpellier, le magasin général Gagnon à Chénéville.
88e avenue : septembre, au retour d’un été au chalet.
Sur le mur gauche de la maison, mon premier bicycle. Le premier d’une longue
série.
Rue du Parc : Pâques. Chez les guides, j’ai gagné le gros lot : un
gros lapin, quatre moyens, huit petits et une centaine de petits cocos. On casse, on
choisit, on mange, on emballe, on congèle. Nous en aurons jusqu’en juin.
Chalet à Saint-Michel-de-Bellechasse : la longue plage à marée basse, tellement longue tellement bouetteuse que je renonce souvent à la baignade.
Rue Sainte-Marie : Une maison imposante. Les oreillons de mon frère. Ma mère pleure, la mort de mon grand-père.
Rue Deguire : Ma mère est une Deguire, elle me rappellera que le grand-père de
mon grand-père avait une belle terre à ville Saint-Laurent. Que deux de ses
tantes étaient religieuses au couvent (collège Basile-Moreau). Encore
aujourd’hui, je dis que je viens de ville Saint-Laurent : dix ans de ma
vie quand même.
Chalets du Père Caron : les nouveaux amis du bout du chemin, les pique-niques
aux chutes Lookbows, la descente de la rivière Petite-Nation en canoë (je ne
savais pas alors que tout ça se retrouverait dans mes romans).
Rue Côte-Vertu : là où j’avais une grande chambre (mon frère et moi alternions à
chaque déménagement, c’était mon tour, j’ai été chanceuse, je l’ai eue cinq
ans), là où j’ai transformé mon garde-robe en bureau d’études et d’écriture, là
où j’ai eu un piano pendant un an.
Baie de l’Ours : après une longue nuit de questions, j'ai dit oui au lac, oui à la campagne, oui à l’enseignement, mais aussi
non à l’université, non aux bibliothèques municipales, non au théâtre.
Les fenêtres : une ouverture vers l’imaginaire, la liberté, la fuite parfois.
Entrer par une fenêtre.
Une fois, à Lévis, rue du Parc, aujourd’hui avenue Arthur-Fafard, été 1963. Je suis en punition dans ma chambre. Trop choquée pour lire. Je veux m’enfuir, partir loin, m’évader. Maison à paliers, fenêtre à coulisse, je l’ouvre facilement, je sors, je cours, je m’éloigne. Je ne reviendrai qu’à l’heure du souper en entrant par la même fenêtre que j’ai laissée entrouverte. Ni vu ni connu ni entendu parler.
Une autre fois, à ville Saint-Laurent, Côte-Vertu, été 1966. Mes parents sont au chalet, j’ai manqué le train pour les y rejoindre, je décide de coucher à la maison. Je n’ai pas la clé. Je grimpe sur la selle de ma bicyclette, je m’accroche au long tuyau qui renferme les fils d’électricité (le rouge sur la photo), et je grimpe sur la galerie. Je réussis à ouvrir la fenêtre et je pénètre dans la maison. Le lendemain matin, je manquerai encore le train, mais c'est une autre histoire.
Et la dernière fois.
Le 5 août 1972.
Après un voyage au Mexique, après un simple (et ingrat quand j'y repense) au-revoir-merci-pour-tout-je-vous-invite-bientôt à mes parents, je suis partie du lac Simon avec tout bagage ma couverture-doudou. Hâte de m’installer chez une amie qui veut bien de moi comme coloc. (« Soit j’ai un chien, soit j’ai une colocataire » m’a-t-elle dit. Elle a eu les deux!)
Sauf qu’elle n’a pas encore la clé de la maison qu’elle vient d’acheter. Elle pas pressée, moi si. Qu’à cela ne tienne, je lui offre d’entrer par la fenêtre (sur la photo d'hiver, la petite à gauche de la porte).
Ce que je fis.
L’adulte devenue a continué d’aimer le lac, et d'aller voir le fleuve.
L’adulte devenue n’a pas choisi, n’a pas acheté la maison.
En entrant par la fenêtre, en choisissant ma chambre, je n’ai pas senti que c’était dans cette maison que ma vie commençait.
Mais peu à peu ...
la maison que j’ai rénovée
la bibliothèque que j’ai créée
la galerie et le terrain où j’ai installé des chaises de jardin
le ruisseau Sam dans lequel je me suis baignée
les pins rouges que j’ai vu croître, que je vois plier sous le vent, parfois sous les rafales
les oiseaux que j’ai nourris
le vent d’ouest omniprésent que certains jours je crains
les silences de l’hiver
la quiétude des merveilleux couchers de soleil
sont devenus mon havre, mon refuge, ma stabilité. Ma vie.
Là où je calme mes peurs. Là où je confie mes secrets. Là où j'ai écrit mes livres. Là où j'ai connu l'amour. Depuis cinquante ans.
Et pour vous, que représente la maison, votre maison?