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dimanche 28 janvier 2018

Dis, quand reviendras-tu?

Il ne m’est pas plus agréable de lire :
« Il n’a pas l’intention de raquer pour des clous. De toute façon, il n’a pas l’intention de raquer du tout […] soit il écrabouille les ratiches du gars »  
(traduction dans C’est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood)
que de lire :
« J’ai déjà fait éclater mon iPhone en le propulsant au bout de mes bras, de toutes mes forces. Kin toé. […] Le stress, l’angoisse et la honte m’ont envahie. Carte de crédit pleine. Carte de débit vide. Ostie., ostie, ostie. […] Can’t fight the moonlight » 
Les désordres amoureux, Marie Demers
Une Canadienne-anglaise quadragénaire traduite en France et une trentenaire Montréalaise. Le parler populaire dans les deux cas. Qui me rebute quand c'est dans l'écrit. Je me sens snob de ne pas me retrouver ni dans l'un ni dans l'autre. Me sens nulle à n'aimer que ce qui me ressemble.

Je suis oiseau distrait.
Je volète, je titube, je ne vais nulle part.

Ne me viennent à l’esprit que des phrases insipides. Qui ne veulent rien dire s’il n’y a pas de suite ou de contexte.
Après avoir relu des extraits de L’étreinte des vents d’Hélène Dorion « Un jour on rencontre un être qui nous dit je t’aime comme jamais encore on ne l’avait entendu », j’ai écrit cet incipit romanesque :

Je n’ai jamais dit je t’aime à ma mère. Ni à mon père. Encore moins à mon frère. Ça ne se disait pas, ça ne s’entendait pas, et personne s’en plaignait.
Savais-je même, sentais-je même que je les aimais? J’étais trop occupée de ma vie pour y penser.

Et à la fin de l’histoire, le personnage dirait : Depuis 50 ans, chaque jour, je lui dis je t’aime.

C’est l’hiver, saison du dedans, de l’intimité, ce qui, selon Joyce Carol Oates, est « un trésor pour un introverti ».
Après deux mois de voisinage dans le sud, de brise dans les palmes, de chants d’oiseaux, de bruits de moteurs, j’ai retrouvé le silence de ma campagne. Mais le vide aussi dans ma tête. Les photos sont classées, publiées, le récit a été maintes fois raconté.

Je n’ai plus rien à dire. Rien encore ne m’intéresse suffisamment pour entretenir une longue conversation ou écrire un long billet.
Je volète, je zigzague, je grappille.
Et je n’attends même pas la fonte printanière ni ne surveille le retour des hérons. Je suis juste là, les yeux dans le vague, les oreilles attentives à ce qui pourrait survenir.

lundi 31 juillet 2017

La putain et la servante

Deux récits dont le sujet est la femme
Paradoxe : je résiste souvent à ce genre de trucs marketing : « 75,000 exemplaires vendus », « le livre qui fait trembler l’Amérique de Trump », mais en même temps, je reste aux aguets, et, parfois je me précipite à la BANQ pour lire un extrait et peut-être même me procurer ces romans dont tout le monde parle. Tout le monde étant surtout les médias.

J’ai d’abord été intriguée par La servante écarlate en lisant dans La presse + que la série à succès The Handmaid’s Tale, un roman dystopique (il a fallu que j’en cherche la définition : récit de fiction pessimiste se déroulant dans une société terrifiante. Comme 1984 d’Orwell, comme Farenheit 451 de Bradbury. Ce qui m’a retenu le temps de lire les premières pages) de Margaret Atwood, paru en 1985, serait bientôt adapté en français. En France, grrr…! À défaut de trouver le livre en numérique à la BANQ, j’ai décidé de l’acheter.

Et puis, un matin, en me demandant pourquoi Margaret Atwood était traduite en France avant le Québec (un caddie, moi, ça dégonfle ma lecture!), j’ai lu ce billet sur le site des librairies indépendantes :
14 romans québécois qui font craquer les Français
Dans cette liste, j’en ai déjà lu neuf, je me suis dit qu’il faudrait bien que je lise les autres. Le temps de me rappeler si j’avais déjà lu Putain de Nelly Arcan, évidemment, sur le site de la BANQ, j’avais téléchargé un extrait.
Qui peut résister à ces premières pages accrocheuses?

Alors pour me reposer de la servante, je me suis mise à lire la putain.
Je n’aurais pas dû.

Bizarre tout de même que je lise en parallèle Putain de Nelly Arcand et La servante écarlate de Margaret Atwood. Même thème: le corps de la femme. Deux « je » qui n’aiment pas vraiment ce qu’elles voient dans leur miroir. Deux femmes qui décrivent leur présent et se souviennent de leur passé, cet avant qui n’existe plus. Deux mondes que je ne connais pas, mais que je sais possibles.

Dans la postface, Margaret Atwood le spécifie :
« Je n’inclurais rien que l’humanité n’ait pas déjà fait ailleurs ou à un autre époque, ou pour lequel la technologie n’existerait pas déjà. […] Les pendaisons en groupe les victimes déchiquetées par la foule, les tenues propres a chaque caste et chaque classe, les enfants volés par des régimes et remis à des officiels de haut rang, l’interdiction de l’apprentissage de la lecture, le déni du droit a la propriété : tout cela a des précédents.»
La servante écarlate demande des temps de pause. Un roman tellement différent de ce à quoi je suis habituée — à quels genres suis-je donc habituée? — qu’il mérite un écho différent. Et ne comptez pas sur moi pour mentionner si c’est une lecture légère ou non, d’été ou non, à étudier en classe de philosophie ou toute autre matière scolaire.

Putain de Nelly Arcan, paru aux éditions du Seuil (j’aimerais bien savoir pourquoi la future auteure a envoyé son manuscrit aux éditions du Seuil et pas à un éditeur québécois), il y a seize ans. J’essaie de me souvenir des raisons qui m’auraient empêchée de le lire, et il ne me vient que mon bagage d’idées préconçues (comme un snobisme intellectuel?) soit sur le thème de la prostitution soit sur la difficulté de lire un style cru, et nouveau à la rigueur, à cette époque. Tout comme j’ai pris dix ans à accepter le joual de Michel Tremblay. Je ne suis pas fière de moi comme lectrice. Pourtant en 2001, mon éducation religieuse — pas la familiale, nous étions très ouverts chez nous — ne devait plus avoir laissé grandes traces. Ma curiosité naturelle aurait dû l’emporter.

Et il est presque impossible que je l’aie ne serait-ce que feuilleté parce que le début est si accrocheur, encore aujourd’hui malgré cette mode de la première page, cet incipit qui doit accrocher le lecteur-acheteur, me connaissant, il me semble que j’aurais poursuivi et que je m’en souviendrais. S’il m’arrive souvent d’oublier l’histoire d’un roman ou le nom des personnages, je me rappelle toujours ceux qui m’ont marquée. Je n’oublierai jamais L’Euguélionne de Louky Bersinik Je n’oublierai pas non plus Les mots pour le dire de Marie Cardinal. Ni La femme qui fuit d’Anaïs barbeau Lavalette.

Toujours est-il que je lis, je dévore. Et rien ne me choque ni le sujet ni le style.
« Une plume défouloir et vengeresse », est-il écrit sur le site nellyarcan.com. Et, à mon avis, c'est surtout cette plume qui rend son œuvre intéressante et pérenne.

C’est en effet ce que j’ai vu, lu, retenu. J’ai lu la plume, le style, la colère. Cette vie mal-aimée, ces relations difficiles. Cette abondance de mots, de phrases d’un seul souffle. Facilement trois pages, sans point.

Dans les phrases courtes, dans le lent récit de La servante écarlate, il y a de longues descriptions pour que le personnage soit bien ancré dans sa vie, comme le fait de trancher le bout d’un œuf, de le manger et de se demander ce qu’elle peut bien désirer de plus. On voit tout, mais on ne sent pas — en tout cas, je n’ai pas senti — la révolte, la rébellion ni même l’envie de désobéissance dans cette dictature où la femme n’est que servante, n’est que corps à enfanter.

Dans Putain, un long soliloque, sans beaucoup de points, qui ne nous laisse souffler qu'après deux ou trois pages d'écriture bien serrée. Des pages remplies de détails qui parfois ont l’air de sauter du coq à l’âne, mais qui rassemblent toutes ses pensées qui s’entrechoquent dans son âme tourmentée.

Nelly Arcan — et le personnage — écrit, crie, gémit, geint, étouffe. Alors qu’Atwood — et le personnage — décrit, observe froidement, détaille minutieusement. Comme si elle n’était pas dans ce corps inerte, comme si elle subissait sans se révolter. Tout au plus un peu de nostalgie.

J’ai cessé de les lire en même temps. Je n’ai plus voulu que mon cerveau compare. Chaque livre a sa propre vie, mérite que je lui prête toute mon attention. Un à la fois.
Et puis, je ne lis pas pour défendre une thèse de maîtrise qui demanderait une grille d'analyse plus poussée que mes simples petites impressions le lectrice.
Et je les aime tous les deux, ces récits, pour ce qu’ils m’apportent, pour ce qu’ils me font réfléchir sur mon corps qui n’a pas enfanté, sur ce corps qui n’a pas été violé, qui ne s’est pas prostitué, sur ce corps qui a grossi, ramolli, qui a vieilli, qui fut malade parfois, mais que j’ai toujours aimé, parce que c’est le mien.
Me font aussi prendre conscience des différents régimes politiques ou sociétés patriarcales ou mondes machistes.
Chacun aussi me fait réfléchir sur le style littéraire. Des mots justes, vrais, forts qui remuent, qui dépeignent très bien des atmosphères et des lieux, qui apportent de la profondeur aux personnages. Envieuse bien sûr.

Deux livres marquants que je ne suis pas prête d’oublier. Même si je les ai découverts sur le tard!