mardi 9 juillet 2024

Fragmentée-s

Presque chaque matin, survol des nouvelles acquisitions à la BAnQ et Biblio Outaouais / Prêt numérique. Presque chaque semaine, un regard vers ce qui se publie au Québec.
Volontairement vers le féminin.
Ce matin, les mots écrire, écriture, avant le mot littérature.
Qui me mènent au livre  Écrire au féminin au Canada français.

J’y passe l’avant-midi. Parmi ces universitaires qui ont un vocabulaire que je n’ai/n’aurai jamais. Devant leurs mots que je ressens plus que je ne comprends.
Je note les noms, nouveaux pour moi, qui existent pourtant depuis longtemps, si près (au Canada) : Lise Gaboury-Diallo, Andrée Christensen, Simone Chaput.
Je note des thèmes : l’identité fragmentée ou cette impression de duplication du soi.
Je retiens les mots : fragments et double.

            mon id / entité n’est qu’une série
            d’approximations
            une foule d’éventualités
            fragmentées
            mes réactions
            une litanie changeante selon la mesure
            de l’urgence
            moi toujours à refaire
            à rattacher à mon esprit volage
                                            Lise Gaboury-Diallo

Être tant de personnes dans une seule, avoir tant d’identités. Les accepter, les aimer toutes. Sans toujours les comprendre.

L’après-midi, encore la preuve : pourquoi avoir tant tardé pour aller voir le dentiste?
Un an que mon dentier du bas me fait mal. Pas tout le temps, pas à chaque repas. Juste à droite.

Du déni, certes. De l’orgueil sûrement. Ça va passer, ça ne fait pas si mal.
Toujours cet autre moi (un des) qui ne sait pas décider, qui ne sait pas ce qui est bien pour elle. Dépendante et indépendante à la fois, qui veut prouver quoi à qui? qui attend que ça passe, qui passe après les autres. Comme ma mère.

Même pas une question d’argent, l’ajustement fut gratuit. Même après un an.
Je suis de diable et d’ange. De bourreau et de martyre. D’accusations et de pardons. De beaucoup de mots et de peu d’écoute pour moi-même. De tout et de rien. De mal et de bien. 
Compartimentée-s, fragmentée-s.

mercredi 3 juillet 2024

Le dedans et le dehors

Tableau de Louise Falstrault: Du dehors au dedans. (Collection F. Leduc)

« Je fais partie de ces personnes pour qui les questions par plusieurs jugées abstraites et nébuleuses semblent les plus proches, les plus exaltantes. » 
ou
« La grande question de l’existence est celle des rapports entre le dedans et le dehors.» 
Chimères, Frédérique Bernier
Je fais partie de ces personnes qui ont l’impression que si on ne lit pas ce que j’écris ou a écrit ne peuvent pas m’aimer vraiment. Si on ne cherche pas à savoir ce que je lis ne peuvent pas savoir ce que j’aime ou qui je suis. Ne voient que le dehors. Comme si je n’étais que mes mots écrits.
J’aime pourtant aussi « mon dehors » et peut-être finalement que je ne montre que lui.

Très souvent on me dit que le fait d’avoir tant déménagé m’a traumatisée. Chaque fois, je dis que non, mais je dois admettre que de la naissance à vingt ans, quinze écoles et presque autant de maisons ont dû marquer mon rapport à l’attachement.
Attendre d’être choisie
Attendre d’être aimée
Avant de m’attacher
Avant de montrer mon dedans

Et sans doute pour l’avoir montré une fois ou deux, d’avoir aimé en premier, d’avoir été celle qui attend, pire, délaissée, j’ai fermé la porte du dedans.
Faire passer des tests avant d’y donner accès.
Rendre la tâche complexe à qui s’approche.
Et puis, finalement, comprendre que moi non plus, je ne cherche pas à voir le dedans de tout le monde. Trop engageant. Nous sommes multiples. Nous sommes tous plus ou moins des personnages dans notre propre vie. Constamment en représentation. Même en dedans.

Alors, je vis compartimentée : la campeuse, la voyageuse, la campagnarde, la généalogiste amateure, la fille de, la sœur de, l’amie de, celle qui connait beaucoup de noms d’auteu. re. s, celle qui écrit pas pire, celle qui publie ses photos de voyage ou de couchers de soleil, celle qui aime et choisit le français en toute chose, celle qui parle beaucoup, mais ne dit rien de son dedans, celle qui préfère l’écrit pour pouvoir réfléchir et bien dire ce qu’elle veut dire, celle qui pleure rarement devant les autres, qui pleure par en dedans, celle qui cherche à comprendre, mais qui a du mal à expliquer simplement, celle qui a toujours des réponses longues à des questions même courtes. Parce que rien n’est simple ni noir ou blanc pour elle.

Accepter que chacun.e montre son dedans à sa manière. Ou pas.
Il ne faudrait pas non plus confondre le dedans et le dehors  comme si c'était le meilleur et le pire.
Parfois, aimer le dehors, c’est déjà beaucoup. Ça peut prendre une vie.