mercredi 8 février 2017

Carnet de roman (9)
ou ce qu’on lit rarement au sujet des auteurs,
ce que la majorité vit pourtant.

Avertissement : suivent des propos que le lecteur ne veut peut-être pas savoir. Trop déprimant.

Je ne lâcherai donc jamais? Serai-je de ces écrivains qui écriront jusqu’à leur dernier souffle? 

À la réception de la lettre de refus, j’ai pensé à quatre options :
1- ne rien faire.
2-auto-édition, mais ça ne me tente absolument pas d’investir 2,000$ ou 3,000$ pour couverture et imprimerie et travailler à la distribution et à la promotion, comme je l’ai fait pour quelques livres par le passé.
3- impression à l’unité, et vente via mon blogue-site-Facebook. Ça se fait maintenant. Et ce n’est évidemment pas le montage qui est un problème pour moi. 
4- envoi chez d’autres éditeurs, mais sans les deux premiers tomes, qui en voudra? Il faudrait alors refaire au moins le début pour que le roman se tienne tout seul.
5- retour (déjà inscrite il y a six-huit ans) à un atelier littéraire pour obtenir de l’aide d’un mentor. Pourtant j’ai eu l’aide très précieuse et personnalisée d’une réviseure.

Et puis le lendemain, une sixième option qui m’emballe pendant quelques heures : tout réécrire. Au Je. Au présent. Du point de vue d’un seul personnage. Et ce ne serait pas linéaire. Comme des souvenirs qui remonteraient à la surface. Un chapitre par tranches de vie. Au lecteur de réunir le tout, s’il le désire.

Le surlendemain, retour à l’option 1. Parce que celle de la veille, la narration au « je », différerait trop des deux autres tomes. Justifiable parce que c’est ma génération, mon siècle. Pourtant, j’avais tellement travaillé lors du premier tome à tout mettre à la troisième personne, à tout réécrire au passé, je voulais garder le même style pour les trois tomes.

Je relis la lettre de refus:
l’histoire […] ne nous apparaît pas assez soutenue et, surtout, pas suffisamment enlevante. Le style demeure essentiellement descriptif et un ton sans grande variation prédomine. L’intrigue cherche son envol et sa force. Il nous semble que cette façon de procéder devrait être abandonnée et qu’il faudrait revoir la saga dans une tout autre perspective.
À toute évidence, raconter une vie ne suffit pas. 

D’après Georges Polti (Les trente-six situations dramatiques, écrit en 1895), il faut soit
Sauver
Implorer
Venger un crime ou un proche
Être traqué
Détruire
Posséder
Se révolter
Être audacieux
Kidnapper
Résoudre une énigme
Conquérir
Haïr
Rivaliser
Tuer
Se sacrifier, sacrifier un de des siens ou tout sacrifier à la passion
Tromper
Être imprudent
Être incestueux
Apprendre le déshonneur d’un être aimé
Aimer l’ennemi
Avoir un amour impossible
Être ambitieux
Lutter contre Dieu
Être jaloux
Vivre un deuil
Avoir des remords
Vivre des retrouvailles

Et selon l’éditeur, je ne raconte même pas, je décris. Et alors? Pourquoi pas un portrait plutôt qu’un roman? Un état plutôt qu’une action. Je suis ainsi. Biographie plutôt que polar. Intérieur plutôt qu’extérieur. Enfin, je voudrais. Émotions, réflexions plutôt qu’actions concrètes.

Pourtant, à mon sens, même procédé que les deux premiers tomes. Faut croire que non, pour l’éditeur. 

Il aura fallu huit éditeurs et sept ans pour le premier tome, deux révisions et quatre ans pour le second, pourquoi ai-cru que ce serait plus facile ou plus rapide pour le troisième? Excès de confiance? Ce n’est pourtant pas ce que j’ai en abondance. Et si la lettre d’octobre dernier — un refus également, mais en me laissant une seconde chance en me fournissant des « pistes d’amélioration à explorer » — cette fois, sans appel.

À l’aube, à cette heure où la conscience s’éveille, sont revenus les mots et les phrases à trouver, le titre à changer, le début à réécrire, des scènes, encore des scènes, des actions à inventer. Et le doute. Le « à quoi bon? ». Justement ce que je ne voulais plus. Seulement écouter le vent qui fait valser les grands pins rouges. Seulement guetter le soleil qui monte derrière les conifères. Le bleu du ciel entre les nuages gris, menaçants. Sera-ce une journée froide ou douce?

Je ne veux pas cesser d’écrire, je le voudrais que je ne pourrais pas. Mais pour moi, le roman était écrit, terminé. J’ai déjà fait beaucoup de révisions, de changements, j’ai été le plus loin que j’ai pu. Le reprendre encore, ce ne serait plus le mien, mais celui de l’élève appliqué, qui veut plaire au professeur, qui veut obtenir une meilleure note. Un roman qui risquerait d’être encore moins intéressant, encore moins enlevant parce que ce ne serait plus mes tripes qui écriraient, mais ma tête. Un devoir, un pensum.

J’avoue, je suis à l’étape du déni. De la contestation. De la bouderie. De la déception. De la blessure à l’ego, qui n’est pourtant pas si démesuré, il me semble.

Et je n’ai plus trente ans, l’âge où on a encore l’énergie et les rêves. Je suis à l’âge où j’ai, certes, le temps, mais moins envie d’être bon élève, soumis à une autre volonté que la mienne. 

Qui gagnera : mon besoin de liberté ou mon huitième de sang irlandais qui s’entête tant que… Qui s’entête tout court.

22 commentaires:

  1. Ce texte me parle tellement! Ce paragraphe: "Je ne veux pas cesser d’écrire, je le voudrais que je ne pourrais pas. Mais pour moi, le roman était écrit, terminé. J’ai déjà fait beaucoup de révisions, de changements, j’ai été le plus loin que j’ai pu. Le reprendre encore, ce ne serait plus le mien, mais celui de l’élève appliqué, qui veut plaire au professeur, qui veut obtenir une meilleure note. Un roman qui risquerait d’être encore moins intéressant, encore moins enlevant parce que ce ne serait plus mes tripes qui écriraient, mais ma tête. Un devoir, un pensum", je le ressens moi aussi profondément. On pourrait s'en parler longuement. Mais vous savez (et puis, on pourrait se tutoyer, non?), alors je reprends : tu sais, prends le temps de digérer cette nouvelle. Parfois, à l'aube, comme tu dis, il nous vient des idées nouvelles et... Pour ma part, après avoir essuyé un premier refus, en y repensant, j'ai dû admettre que l'éditeur avait raison sur la plupart des points. Remarque que je ne suis pas plus avancée à ce jour, mais entre mon bénévolat à la bibliothèque et tout le reste, pas à pas, j'avance. Parfois, il suffit de prendre une certaine distance pour voir plus clair... C'est ce que je te souhaite. Sincèrement. Marcelle de Montmagny

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    1. C'est quand même la troisième version. À force de recul, je suis plutôt du genre à ne plus le voir... Et ne plus avoir envie de le voir. Ni voir la solution, ni envie de la chercher. Démotivée. Que l'éditeur ait raison ou non. Est-ce que je savais que tu écrivais? Ne te gêne pas pour venir m'en parler, j'aime.

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    2. Comme je fais partie du "café", je pensais que tu le savais. Mais voici: http://www.edvlb.com/marcelle-racine/auteur/raci1008
      Moi aussi j'ai écrit un roman historique, mais un seul personnage a été inventé et un autre a été changé de nom parce que je n'ai découvert son vrai nom qu'après. Il y a tout plein de personnesa connus dans mon roman, dont Louis Hémon, qui est d'ailleurs le point de départ et la raison de ce roman. On pourra s'en reparler si tu veux quand tu viendras à Montmagny. Mais cela dit, je te comprends, car présentement, je planche sur un roman (pas du tout historique mais... ) et il y a aussi des moment où j'ai envie de tout lâcher. Moi aussi j'en suis à la troisième version. Ou serait-ce la quatrième? "À quoi ça sert", me demandé-je parfois à force de manipuler autant de livres (pas tous bons) dans ma biblio. Et puis ma vie n'est pas plate, je ne connais pas l'ennui, pourquoi me ferais-je encore suer sur un manuscrit qui risque encore d'être refusé?... Mais le problème est que j'y reviens toujours malgré tout. Je suppose que c'est une sorte de maladie encore mal diagnostiquée... Ah là là!
      Marcelle
      Au plaisir!

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  2. L'intrigue cherche son envol et sa force.
    Hum... En effet, on semble revenir à la première critique qu'ils t'ont faite : il manque de tension dramatique.
    Mais à mon sens, (alors que tu sembles croire que c'est une question d'événements racontés) c'est souvent juste un problème d'agencement des éléments, de centrage de l'histoire.
    Quand tu auras envie de réécrire (parce que je sais que ça arrivera! hihihi!) par de cette question : c'est quoi l'essence de ton texte? (http://laplumeetlepoing.blogspot.ca/2016/04/la-phrase-qui-oriente-la-reecriture.html)
    Qu'est-ce que tu VEUX raconter? Est-ce que c'est bien ça que tu as raconté?

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    1. Je me souviens avoir lu ce billet au sujet de la phrase qui résume le roman. Ressemble beaucoup à l'atelier d'une semaine suivi avec Bernadette Renaud. La quête, le but, le conflit. J'ai même une phrase pour chaque chapitre pour assurer la montée dramatique. Mais voilà, ça n'a pas suffit à les convaincre, cette quête d'identité.
      Je pense surtout que le comité de lecture ne s'est pas attaché autant aux personnages que dans les deux tomes précédents.

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    2. Ok, alors quête d'identité. Par rapport à quoi? Qu'est-ce qui provoque cette quête? Dans quelle mesure (parce que là réside une grande partie de ce qui rend un personnage attachant) tes lecteurs peuvent-ils s'identifier à cette quête?

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    3. Me semble que oui:recherche de l'amour, être aimé-e.
      Gentil de vouloir m'aider.
      Va te reposer plutôt. :-)

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  3. Outch! Quelle nouvelle! Je n'y connais vraiment rien à tout ça mais personnellement, c'est certain que je n'aurais aucun goût de retravailler ou recommencer!
    Aille la vie est trop courte pour brasser la même soupe!
    Je pense que je me partirais un blogue dans lequel je publierais un chapitre par...semaine, 2 semaines, mois, ou autre!
    Je veux la lire moi la fin de cette trilogie!

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    1. Je pensais justement à ça pas plus tard qu'hier.
      Parce que de toute façon, c'est pas l'argent que ça rapporte...
      Et qui sait, un blogue qui devient un livre, ça s'est déjà vu!

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    2. Je pourrais même agrémenter de photos.

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  4. Tu dis que tu es plus intérieure... d'ailleurs je le vois bien dans tes billets. Alors pourquoi tu n'envisages pas de réécrire au je? Les 3 tomes n'ont pas besoin d'avoir le même genre de narrateur. Moi je trouve que tu écris fort bien au je ici sur ton blogue. Plonge pour voir (quand la déception sera passée). Suis bonne pour donner des conseils, hein? toi qui connais mon passé de littéraire...

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  5. Non mais, de quoi il se mêle l'éditeur. Je veux le lire, moi, ce troisième tome. Holà, il me les casse solide! Hey, l'éditeur, si la dame te dit qu'il est prêt, c'est qu'il l'est! Confiance!

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    1. Hélas, c'est pas comme ça que ça fonctionne. À moins d'avoir un nom qui promet les 10,000 exemplaires dès la sortie du livre. Ce qui n'est évidemment pas mon cas. Aucun pouvoir.

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  6. J'aime bien l'idée de Pierrot et Sylvie et si vous y mettez des photos en plus... Il y a un an j'avais assisté à une conférence d'un auteur qui nous racontait comment lui il avait ajouter des hyperliens pour projeter le lecteur dans son roman.
    Un travail acharné arrive à bout de tout mais peut-être pas par le chemin qu'on pensait. Il ne faut surtout pas baisser les bras.

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    1. Merci, vous m'encouragez à ne pas laisser le manuscrit dans un tiroir.

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  7. Et si je te faisais un gros câlin comme ça histoire de te dire de ne pas lâcher...

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  8. Peut-être faut-il laisser passer un peu de temps, pour que la poussière retombe. Le chemin à prendre deviendra plus visible.

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    1. Je le sais en théorie. Mais chaque matin, en ouvrant les yeux, je me demande si ce sera aujourd'hui que le brouillard se dissipera. Entre l'urgence d'un Dostoïevski et la patience d'un Flaubert (référence à l'essai de Jean-Philippe Toussaint), je suis assez l'urgence pour la fougue et l'élan et ensuite seulement, la patience, une fois le contrat signé, la certitude de la publication. Tandis que là, revenir à la case de départ...

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  9. Chère Claude,
    Je trouve que la suggestion de Marie-Josée est excellente. Arrête de tourmenter pour le moment. Pose ton manuscrit dans un tiroir pour un mois. Quand tu le ressortiras, tu auras peut-être toute une autre visions ou tu seras peut-être dans un tout autre état d'esprit. En attendant, commence un autre projet d'écriture! Rien de mieux que d'écrire pour retrouver l'élan d'écrire...

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    1. J'en suis pas mal là... merci.
      Pour ce qui est de commencer autre chose, rien ne m'intéresse. Rien ne me vient. À vrai dire, ça ne m'intéresse pas non plus de chercher, rien que pour me distancer de ce manuscrit.

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