dimanche 28 octobre 2018

Grisaille du jour



Même le blanc de la neige est gris.
Comme le ciel, comme mon humeur.
Je deviens l’autruche dans le sable, l’ours dans sa caverne, les trois petits singes asiatiques qui se couvrent les yeux, les oreilles et la bouche : Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal
Je résiste, je me tais. Au moins un jour, hier.

Ce matin, je décide plutôt de la regarder en face, cette grisaille, et de trouver le revers de la médaille, de me concentrer sur la moitié pleine de la bouteille. De voir le ciel bleu avant mardi.

Je ne m’attarde pas aux refus de deux éditeurs, j’attends plutôt la réponse (positive peut-être) d'un des trois autres. Sinon, eh bien ce sera la fierté d’avoir (encore) essayé, le soulagement d’enfin savoir, la ferme intention de ne pas déprimer, cette fois, ni de recommencer. Mettre le point final à l’écriture de roman. Jusqu’à ce que l’urgence revienne. Je ne serai l’auteure que de dix livres, de quelques nouvelles et d’un blogue, qu’il soit «anecdotique, sans intrigue ou sans ligne directrice» (un reproche d’éditeur pour mes manuscrits), un blogue qui me plait, et dont je suis la seule juge et responsable.

Je délaisse — un temps, quelques jours — Les écrivements de Mathieu Simard parce que, comme Madame lit, « mon cœur craque et mon âme divague sur les sentiers poétiques du texte. » Comment un homme, un jeune réussit-il à dépeindre aussi bien une vieille dame de 80 ans passés?
« Je cultive l’insomnie depuis longtemps que j’arrose de la crainte constante de cauchemars de neige, mais j’avais bon espoir de m’endormir rapidement, après avoir laissé fondre sous ma langue une dizaine de comprimés de mélatonine, en rébellion contre mon pharmacien qui me l’a déconseillée. »
Il doit avoir une tante excentrique ou tout au moins volubile, raconteuse d’histoires pour aussi bien la mettre en scène.

Je lis plutôt La disparition de Stéphanie Mailer qui ne me donne ni envie de réfléchir ni d'écrire. Je ne suis que lectrice.
Pour un temps, la désaccoutumance des beaux textes. Juste lire pour le plaisir. Sans papier ni stylo.

D'autres grisailles à chasser. C’est dimanche, l’entreprise qui vend mon VR est fermée. Si ce n’est pas cet automne qu’elle vend mon VR, ce sera ce printemps. Tôt ou tard. Je stresse beaucoup moins que lorsqu’il était dans la cour.

C’est dimanche, je n’ai pas mes pneus d’hiver, mais je ne suis pas obligée de sortir. Je n’ai qu’à attendre une chaussée sèche. Faire taire mes craintes.

C’est jour de budget. Je regarde les fonds de placement qui… fondent comme la neige. Mais à quoi bon déprimer, je ne manque de rien.

Au sous-sol, c’est le quatrième jour sans souris. Et la deuxième semaine sans dégât de souris ou d'écureuils en mal de nids sous le capot de mon automobile. Enfin.

Fin octobre, la neige fond déjà, la neige reviendra.
Je suis née dans ce pays de contrastes. Le froid dans les os, l’humeur facilement vacillante.
Le sourire reviendra, lui aussi.
Je suis née au printemps. Toujours hâte. Dès l'automne. Dès aujourd'hui.

mardi 23 octobre 2018

Quand Pauline Julien...

Le froid dehors et le gris du ciel me font frissonner.
Les quelques feuilles ocre qui s’accrochent aux hêtres ne suffisent plus à me garder à l’extérieur.
À l’intérieur, je me promène dans ma jeunesse.

J’ai vu le documentaire Pauline Julien, intime et politique.
Plus qu’un documentaire sur l’artiste, la femme engagée, plus qu’une voix forte, c’est une époque que j’ai vue, reconnue. Un temps d’émotions. La fierté d’avoir vécu cette révolution pas si tranquille. Le sentiment d’avoir été dedans, pas devant, pas seulement témoin, mais dedans.

Ce matin, je suis encore avec elle. Dans les années 60-70. J’ai l’âme à la tendresse, je m’ennuie de la Manic, je danse presque à Saint-Dilon, et l’hiver ne tarde pas à venir, mais je ne ferai rien sauter comme Bozo-les-culottes.
Je revois des visages : Pauline Julien, Gérald Godin, Gaston Miron, Michelle Lalonde, Lise Payette, René Lévesque.
Je revois le temps de mes parents surtout.
Quand mon père manifestait. Pour la langue française, pour le droit de manifester, pour avoir un pays, pour être Québécois et non plus Canadien-Français.
Quand mon père nous parlait d’écrivains québécois : Claire Martin, Yves Thériault, Gérard Bessette, Gaston Miron, Hubert Aquin.
Quand il assistait aux lancements chez Fides, Beauchemin, Cercle du livre de France (Pierre Tisseyre), Éditions du Jour (Jacques Hébert).
Quand il se cloîtrait au sous-sol devant les corrections de Geneviève Gilliot.
Quand il travaillait avec Andrée Maillet, Alice Parizeau, Germaine Guèvremont à la création d’un P.E.N. club canadien-français.
Quand ma mère chantonnait Pauline Julien, mais aussi Georges D’or, Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Claude Gauthier.
Quand, avec ferveur et conviction, elle nous faisait écouter ou lire les propos de Claire Kirkland-Casgrain, Thérèse Casgrain, Lise Payette, Madeleine Chaput, Denise Boucher, Michèle Lalonde… et Pauline Julien.
Quand on lisait le dimanche après-midi.
La famille Lamarche un dimanche après-midi des années 1960 (photo privée)
(Oui, je sais mon père a l'air de fumer par le nez, mais bon,
je n'en ai pas trouvé de plus représentative de notre occupation dominicale)

Je revois mes premières fois :
Quand j’ai été voté.
Quand j’ai été dans un vrai Centre de ski.
Quand je suis sortie dans une boite à chansons, voir Clémence.
Quand, j’ai pris le métro tout neuf de la station Jean-Talon à Berri-Demontigny.
Quand j’ai fréquenté ma première école mixte, à 17 ans.
Quand j’ai eu mon vélo dix vitesses. Le premier vélo dix vitesses de fille, à Montréal en tout cas.
Quand j’ai lu Anne Hébert, Jacques Godbout, Hélène Ouvrard.
Quand j’ai acheté mes premiers livres, toute seule.
Quand j’ai acheté ma première radio : on n’en avait pas chez nous.
Quand j’ai dansé mes premiers slows.
Je tairai toutes les peurs de ma jeunesse bien tranquille.
Dans la vie de Pauline Julien, quand son Gérald est tombé malade, quand ses propres forces à elle s’en allaient, quand ses idées noires la hantaient, j’ai sauté de mes 18 ans à mes 60 en quelques secondes.
Les peurs reviennent, différentes, mais plus tenaces je dirais.
La peur de vieillir, d’être malade, d’être seule.
La peur de ne pas avoir le temps, ni le goût, ni la patience.

Mais en fin de compte, tant que je suis en vie, tant qu’il y a des films comme celui de Pascale Ferland, il y aura l’âme à la tendresse, de beaux voyages, le temps des vivants, le temps qui passe et encore bien des je vous aime.

Merci Pauline Julien, merci Pascale Ferland.
Et vous, y a-t-il des films, des livres qui vous font revivre votre jeunesse?

mardi 16 octobre 2018

De l’utilisation du mot « De »
délicieusement suranné
dans un flot d’images très modernes.

Pendant que les feuilles tombent, des larmes sur les nervures
Pendant que les souris cherchent chaleur et nourriture dans nos maisons
Pendant que les écureuils façonnent leurs nids sur nos moteurs de véhicules
Pendant que la lumière du jour grisonne et s'affaiblit
Pendant qu’on range les vêtements d’été et qu'on enfile chandails et pantalons...

Entre le café du matin et le thé Tchai du soir, mon esprit vacille encore entre les mots et les images que Karoline Georges a créées avec tant de sensibilité dans son livre dont on dit qu’il est inclassable, De synthèse.

Je l’avais commencé malgré la couverture qui ne m’attirait pas, malgré tous les prix littéraires qui s’accumulaient
Parce que je n’ai aucun penchant pour les jeux vidéos du genre Second Life
Parce que je n'avais pas compris que la couverture était un avatar et quand bien même
Parce que je croyais que l’histoire flirtait avec la science-fiction.

Puis, une blogeuse facebookienne en parle. En général, nous aimons les mêmes livres.

J’ai donc repris De synthèse. J’ai lu ceci :
« Très tôt, j’ai compris que la vraie vie se jouait là, à l’écran. Ou entre les pages d’un livre. Le reste était une corvée à vite expédier pour fréquenter le plus souvent possible des univers improbables captés par une antenne ou imprimés sur papier. »
En ce qui me concerne, pas autant qu’elle pour l’écran, mais entre les pages d’un livre, oh! que oui.
Alors, je ne l’ai plus laissé.

Oui, il y est beaucoup question de l’image parfaite, du corps mince, du monde virtuel, mais personnellement ce qui m’a émue, ce pour quoi j’ai poursuivi ma lecture, c’est la filiation.
Comment on peut aimer sa mère, même si on s'en défend.
Comment le mot divorce et un seul coup de feu tiré peuvent changer une vie.
Comment la télévision, les vedettes dans l’écran peuvent modeler un enfant.
Comment les silences peuvent faire aussi mal que les cris.
Comment l’anxiété peut mener à la solitude.

Ses chapitres sont originaux, ses phrases percutantes, ses mots technos si on veut les voir ainsi, et pourtant bien simples à la fois. Elle a tricoté chaque maille dans un désordre fort bien construit avec des allers retour entre l’enfance, sa vie de mannequin, celle de recluse misanthrope, asociale et son retour vers ses parents.

J’adore l’utilisation du « De » dans les titres de ses chapitres. Suranné, mais efficace.

J’ai été voir Le radeau de la Méduse de Géricault sur Internet. La narratrice y a vu sa famille, ses ancêtres. Elle a frissonné.
« Un groupe à la dérive, en décomposition. Mais qui avance, encore. Sans destination. J’ai senti monter les larmes. Je venais d’éprouver mon premier choc esthétique. Ou poétique. Ou philosophique, peut-être.
J’arrivais de tellement loin. »
Ses frissons viennent des images, les miens viennent des mots.
Pas les mots des journalistes, pas les mots des éditorialistes. De certains chanteurs quand on comprend les paroles qu’ils prononcent, oui. Mais surtout des mots des écrivains.

Cette semaine, ce fut ceux de Karoline Georges.
Les vôtres, quels sont-ils?

mardi 9 octobre 2018

La brume tarde à se lever

« Comme tout auteur, je ne lis pas en toute innocence. Tel un prédateur, je cherche chez les autres ce qui me servira. Non pour copier leurs prouesses. Ce serait grotesque. De toute manière, l’habitude très tôt adoptée de ne fréquenter avec assiduité que les écrivains qui me nourrissent me plongerait plutôt dans l’admiration. »
Gilles Archambault, La pratique du roman
« Il semble que beaucoup de critiques sont bien trop occupés à dire aux écrivains et aux écrivaines — et surtout aux écrivaines — ce qu’ils et elles devraient faire, pour pouvoir s’intéresser à ce qu’ils et elles font vraiment. »
Louky Bersianik, La théorie , un dimanche
Je voudrais bien.
Je n’y parviens plus.
J’ai déjà pu philosopher, pérorer, cogiter, théoriser, disserter. Pas seulement le dimanche. Tout comme je jonglais avec les formules de trigonométrie, de géométrie, de chimie. Ou je zigzaguais et m’empêtrais dans les règles de grammaire.

Ai-je vraiment déjà eu une opinion sur tout et sur rien?
J'ai eu du mal à lire en entier La pratique du roman et La théorie, un dimanche. Deux essais. Un sur le roman, l'autre sur le féminisme ou l'écriture féministe. Pourtant deux sujets qui m'intéressent au plus haut point.
Mon cerveau racornit, se désintellectualise. Il ne s'enfonce pas, il ne sombre pas dans la brume. Il renonce tout au plus. Il n'a plus envie d’argumenter. Tout au plus nuancer.
À 18 ans, je lisais des essais, de la théorie. J'alimentais les feux. En 1976, j'avais les larmes aux yeux et la joie au cœur devant l’euphorie, la fierté, l’espoir d’avoir un pays.

Pourtant aujourd’hui, je suis beaucoup plus moi-même que je ne l’étais à 18 ans.
Aujourd’hui, je suis plus corps qu’esprit.
La tête panique, décroche, se recroqueville au moindre malaise physique, à la moindre blessure. Je refuse de penser quand toute mon énergie se concentre sur la guérison ou le seul bien-être du corps.
La peur s'est infiltrée ailleurs. Ce n’est plus celle d’être violée, non aimée, non désirée, d’échouer à un examen ou pire, manquer ma vie. La peur d’aujourd’hui, c’est celle de la maladie, de la dépendance, des appels téléphoniques qui annoncent les mauvaises nouvelles ou les rendez-vous médicaux. La peur des autres, la peur de la différence, la peur d’être dérangée. La peur du bruit des choses et des idées.

Mais si je lis, c’est que mon corps et le monde entier me laissent tranquille.
Quand je lis, je n’ai pas d’âge.
Je ne suis qu’esprit qui pense, qui pense la vie, non à la manière d'un essayiste mais comme un écrivain (ou devrais-je me définir comme « écrivante » ou personne qui écrit?). Comme dans les récits d'Hélène Dorion.

Quand j’écris, je n’ai pas d’âge, pas de corps qui réclame toute la place.
Je suis devant un feu, un jour d’automne, comme Monique Durand était devant le fleuve quand elle a écrit. « J’écrivais d’après nature, comme j’aurais peint. »
« Chacun a quelque part dans le monde son lieu de prédilection, d’épousailles avec lui-même, de confidences faites au vent et à quelques disparus chers, de rencontre avec les multitudes qui l’ont précédé. Ce lieu-là, le mien, se trouve à Gaspé. »
Monique Durand, Saint-Laurent, mon amour  
Les épousailles avec moi-même n’ont pas de lieu précis. Elles ont lieu partout où il y a le silence, un arbre ou une vague, un crayon et un cahier.
Elles ont lieu aujourd’hui, ici maintenant, dans un paysage brumeux, devant un feu.
Même si certains jours, la brume tarde à se lever.