Aucun message portant le libellé cancer. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé cancer. Afficher tous les messages

jeudi 12 juin 2014

Les visages de la peur

Enfant, je n’avais peur de rien. Ni des couleuvres ni des sangsues. Ni de l’eau ni des orages. Peut-être seulement de causer du chagrin à mes parents. Une peur qui me rendit aimable.

Adolescente, je commençai à avoir peur de la violence des humains. Peur de déplaire. Peur de plaire. Une peur qui me rendit prudente.

Dans la vingtaine, j’eus peur de tomber enceinte sans être mariée. J’ai été rejetée, j’eus peur de ne plus être aimée. Puis, j’ai aimé, j’ai voyagé, j’ai travaillé. J’ai vécu. J’avais la vie devant moi. Je n’y pensais même pas. Je suis devenue téméraire. J’ai fait des folies. En ski, en auto, en canot. Pas le temps de penser, pas le temps d'avoir peur. Pas la vraie en tout cas qui ressemble à un mur noir avec plus rien derrière.

Dans la cinquantaine, je commençai à fréquenter les médecins, les cliniques, les hôpitaux. Pour mes parents, pour des amies, pour les autres. Un peu pour moi, mais je n’avais pas peur, j’avais confiance. Je ne pensais pas à la mort sinon à celle des autres.

Au début de la soixantaine, un cancer du sein. La peur n’a pas montré le bout de son nez, la mort non plus. Il n’y eut que l’attente. L’attente de l’après, de tous ces petits « après » qu’on attend, qu’on espère, certaine de leur venue. Et ils arrivent, un à un, jour après jour. 

Un matin, la vie reprend son cours normal, je peux voyager à nouveau, trois semaines, puis six. Ne plus être dans l’attente, ça fait du bien. Je sais bien que je ne suis plus éternelle, mais je peux espérer au moins dix ans encore, vingt peut-être. C’est peu, c’est beaucoup. Tout redevient possible.

Et puis un jour de douche, comme dans les films, une petite masse sur le sein opéré. Les comparaisons commencent, les questions aussi. La peur arrive avec ses doutes et grossit plus rapidement que la bosse. Une peur qui paralyse. Une peur qui devient anxiété, qui gruge le mur de confiance érigé au cours des années. Elle me rend vulnérable et silencieuse. Très silencieuse.

Une peur qui fait peur, qui annonce la possible fin, le possible arrêt de tous les possibles. 

Je rue dans les brancards, je me secoue, je téléphone, j’insiste. J’obtiens un rendez-vous dans dix jours. Ce qui me soulage un temps, comme si je remettais mon sort entre les mains de personnes expérimentées. Comme si j’étais prise en charge.

Et puis j’en parle. Un peu. À une seule personne. Pour ne pas inquiéter les autres. Pour ne pas voir la peur des autres. J'ai bien assez de la mienne.

Je transpose dans mon roman, on meurt beaucoup dans mon prochain roman. J’évacue mes émotions, mes craintes chez mes personnages.

Il y a ce voyage en Alaska, que je dois réserver bientôt. Dois-je l’annuler?

Peur de décevoir. Je me sens responsable, je me sens coupable. Je fais semblant. J’essaie de ne pas paniquer. Je ménage mon bras droit, mes ganglions, ma lymphe. Je vois du monde, je ne lis plus. Je regarde des reportages sur la guerre, je vois la peur des soldats. La peur fait-elle mourir? Je lui en veux à cette mort, à cette peur de venir rôder. Laissez-moi tranquille un peu. Laissez-moi vivre encore quelques années. Pas déjà? Pas déjà?

Et enfin, la visite chez la chirurgienne. Depuis un mois les questions et en quinze minutes, elle y répond : la bosse est modulée. Avez-vous eu un traumatisme, vous êtes-vous frappé le sein? Pas que je me souvienne (mais par la suite, je me souviendrai d’une presque chute en vélo, peut-être que le miroir ou la poignée m’a heurté le sein). Le regard clair et franc, les yeux dans les yeux, elle me dit que ça ne l’inquiète pas, ce n’est pas le cancer qui revient. C’est modulé, qu’elle me répète. Un nouveau mot pour moi. Un beau mot, doux à mes oreilles. Rassurant comme une chanson joyeuse. C’est que j’ai un voyage en Alaska prévu pour… Mais allez-y? Oui, vous êtes certaine. Je lui sauterais au cou. Je l’embrasse. 

La peur a tellement creusé son trou qu’elle ne s’évanouit pas comme ça. Le doute reviendra, bien sûr. Mais pour l’instant, je savoure. Tout redevient possible. Je prépare mes bagages, je dresse la liste de mes besoins. Du vélo à Plaisance, la semaine prochaine, camping à… dans dix jours, un petit tour dans les Laurentides. Et puis ces bottines qui me faisaient envie. Et cette bouteille de vin à 20$ gardée pour les grandes occasions… avec qui fêter?

La peur, tu peux bien repartir dans ton trou, allez, va te cacher, va rejoindre ta comparse, la mort. Je ne veux plus vous revoir avant dix ans au moins. Plus peut-être.

mercredi 22 janvier 2014

Comment dire...

Ce n’est pas la menace du cancer du poumon qui m’a fait arrêter de fumer dans la trentaine. À 30 ans on se croit invincible. 

Adolescente, je ne voulais pas gaspiller mon argent pour des cigarettes. Mes parents fumaient, m’en offraient de temps à autre, je n’avais pas besoin de résister, ça ne me disait rien. Ça tombait bien, mes amies ne fumaient pas non plus. Ne me demandez pas pourquoi, je ne saisis pas encore la logique, mais en voyage, nous étions cinq jeunes de vingt ans, on pédalait dans les vertes montagnes de l’Irlande et on a commencé à acheter des Turret. Au retour, j’ai continué à fumer… des Craven-A.

Jusqu’à 26 ans, quand j’ai pris deux ans de congé sans solde. Pour économiser d’abord, mais je me suis aperçue que, tranquille à la maison, je ne sentais pas le besoin d’en griller une aux heures. Mais dès que le téléphone sonnait ou qu’on frappait à la porte, avant même de répondre, j’en allumais une. Dès que je suis retournée enseigner, le matin même, j’achetais une cartouche.

Je ne me rappelle plus très bien en quelle année j’ai arrêté de nouveau, mais c’était autour de 1981 je dirais. J’ai joué à la ringuette, tout le monde prétendait que j’aurais bien meilleur souffle si j’arrêtais de fumer et si je perdais un peu de poids. J’ai donc cessé de fumer, mais j’ai pris quinze livres, malgré le sport.

Ça commençait à coûter cher, j’avais quitté l’enseignement, je n’avais plus le même salaire, je roulais mes cigarettes, c’était long et ennuyeux et pas aussi bon. Je montais un journal sur des tables inclinées. Les cafés et les cendres que j’ai échappés sur les journaux, je ne vous dis pas ! Et je ne fumais toujours pas à la maison, seulement en « société ». Des ami-e-s essayaient l’acupuncture, la gomme et tout ce qui s’offrait à nous. Certains en parlaient, d’autres se taisaient, d’autres fumaient en cachette croyant qu’on ne les voyait pas. 

J’ai eu l’idée d’essayer d’arrêter, tout en continuant à mettre de l’argent réservé à cet effet dans une petite boîte. L’argent fut donc ma motivation. J’ai réussi. Je n’ai jamais recommencé. Ou peut-être une fois, juste pour m’étouffer et détester le goût. Je ne me souviens plus ce que j’ai fait de l’argent économisé.

Pas de loi pour fumer à l’extérieur des bureaux à ce moment-là, donc au moins deux autres personnes fumaient dans le bureau où je travaillais. Ça m’a pris cinq ans avant de sentir l’odeur de la fumée, j’ai acheté un purificateur d’air et le soir en arrivant à la maison, il m’arrivait souvent d’accrocher mes vêtements à l’extérieur pour les aérer. Mais j’ai toujours respecté les fumeurs sachant combien il est difficile d’arrêter. Par contre, je fus bien contente quand les fumeurs ont commencé à aller à l’extérieur. 

Ce vendredi 24 janvier s’ouvrira un centre de services de la Société canadienne du cancer à Saint-André-Avellin. Je serai présente, en tant que survivante, pour témoigner de l’aide que cet organisme peut apporter aux personnes atteintes d’un cancer. Personnellement, c’est grâce à elle que j’ai obtenu une prothèse capillaire. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est concret. Ce n’est pas la première chose à laquelle on pense quand on pense au cancer, mais quand ça vous arrive, ce n’est pas évident, pour une femme surtout, de se voir du jour au lendemain le crâne nu. L’orgueil en prend un coup. 

Déjà qu’il faut aller à Gatineau, à une bonne heure de route, pour les traitements, alors avoir des services près de chez nous, c’est bien. Pouvoir en parler, échanger, si on en sent le besoin.

(photo au temps où je portais ma prothèse capillaire, j'ai beaucoup moins de cheveux depuis!)

mardi 21 mai 2013

Il y a toujours un après

Il y a des dates qu’on entoure sur le calendrier pour ne pas les oublier. D’autres s’installent à tout jamais dans notre mémoire : la date de notre naissance et celle de nos enfants, celle de la mort de notre mère et de notre père, celle de notre mariage. D’autres dont on ne parle jamais. Quelques fois, au jour dit, on fête ou on pleure. On se souvient, on se revoit. Souvent, on voudrait oublier. On ne peut pas.

Je me rappelle très bien la journée du 7 octobre 2011. L’après-midi où un radiologiste plantait une longue aiguille dans ma chair pour effectuer une biopsie sur mon sein droit.

De cette journée et de tout ce qui en a découlé, je n’en ai parlé qu’à un très petit nombre de personnes. Pour ne pas me faire poser de questions, pour ne pas avoir à chercher de réponses. Pour éviter les phrases ou les regards inutiles, même ceux de compassion. Pour couper aux longues explications.

Le 7 juin 2013, je serai capable d’en parler. 
Le 7 juin, je participerai à Relais pour la vie.
Je marcherai, je témoignerai, en tant que survivante.

Je suis mal à l’aise avec ce mot "survivante", qui dit pourtant ce que j’ai vécu. Peut-être parce que ça suggère qu’il y a un après. La dernière année, ma phrase préférée était justement « on finit toujours par être après ». Après la biopsie, après l’opération, après le rendez-vous avec l’oncologue, après le premier traitement, après le deuxième, après chacun, après les piqûres qu’on s’administre, après la nausée, après la perte de cheveux, après la repousse, après la curiethérapie, après la mammographie. Après la fatigue, après les deuils à accepter, après les déceptions, après les petits espoirs, après la dépendance.
Après l'avoir dit à sa mère.

Pour espérer cet après, j’ai vécu tous les maintenant que j’ai pu. Je les vis encore.
Le 7 juin 2013 ne me fera pas oublier le 7 octobre 2011, mais je serai heureuse d’y être, debout, et pouvoir dire que c’est vrai, je suis ici, en vie et j’espère vivre plus de MAINTENANT plutôt qu'attendre les après.