«La lunde, tu t’esquintes.
La marde, tu t’éreintes.
La mercrède, tu t’échines.
La jeude, sur tes machines.
La vendrède, tu t’escrimes.
La samède, tu t’agrippes.
La démanche, tu suintes.
La janvière, tu t’étripes.
La févrière, tu anticipes,
La marse, tu t’émancipes.
L’avrilée, tu brûles.
La maïe, tu en saignes.
La juine, te v’la enceinte.
La juillette, tu participes.
L’aoûte, tu cours.
La septembrée, tu flambes.
L’octobrée, tu trembles.
La novembrée, tu fais du ventre.
La décembrée, tu t’essouffles.
L’année suivante, tu accouches.»
L’Euguélionne, Louky Bersianik, Édition La presse, 1976, page 152
Après la coupe du gazon, je me demandais ce que serait la prochaine activité. Je me demandais ce que je faisais de mes journées, de mes semaines, de mes mois. Je n’ai plus les mêmes repères qu’à trente ans, quand je travaillais à l’extérieur. Puis je me suis souvenu de l’énumération de l’Euguélionne.
Dans mon cas, ça ressemblerait plutôt à :
La lunde, tu piscines
La marde, tu rêvasses
La mercrède, tu te presses
La jeude, tu vas voir ta mère
La vendrède, tu te reposes
La samède, tu laves
La démanche, tu budgètes
La janvière, tu gèles
La févrière, tu prépares
La marse, tu voyages
L’avrilée, tu vieillis
La maïe, tu coupes
La juine, tu repars
La juillette, tu piscines
L’aoûte, tu reçois
La septembrée, tu publies
L’octobrée, tu trembles
La novembrée, tu lis
La décembrée, tu t’énerves
L’année suivante, tu espères recommencer
1976. Trente-cinq ans. Quel âge aviez-vous?
L’Euguélionne, je ne veux pas qu’on l’oublie. J’en ai parlé brièvement en
mars 2010. Je ne suis pas du genre capable d’en réciter de larges extraits comme on sait une chanson entendue mille fois, comme on sait une fable apprise par cœur. Pourtant son nom, je ne l’oublierai jamais. Le nom de l’auteure, Louuky Bersianik, il m’arrive de ne pas m’en rappeler, ça m’a pris du temps à pouvoir le prononcer, mais le titre,
L’Euguélionne, jamais.
J’avais vingt-six ans. Au début de ma vie d’adulte. Au début de ma vie d’auteure. Croyais-je!
Je l’ai aimée d’amour cette extra-terrestre. Un amour rempli d’admiration. Que j’ai mise sur un piédestal. Très haut. Si haut que jamais elle n’en est descendue. Si haut que j’ai su dès lors que mes mots à côté des siens ne valaient pas cinq cennes et ne tiendraient sûrement pas trente-cinq ans. Mais quand on aime, ça ne fait rien de se comparer. Si haut que je peux la voir encore, où que je sois, même si elle ne m’écrase plus de sa prestance. Si haute qu’elle fut, elle a tout de même réussi à m’élever, me donner des ailes, me montrer l’immensité de la mer, l’infini de l’univers et le ciel de toutes les planètes. Mes yeux se sont agrandis, mon cœur s’est ouvert, mes oreilles ont entendu comme jamais auparavant tous les murmures et tous les cris, ceux des femmes en particulier, parce que personne, avant elle, n’avait rapporté tant de paroles vraies, justes, profondes qui m'ont transformée à jamais.
À vingt-six ans, j’ai compris que ce n’est pas le contenu d’un livre qui compte, mais comme dans un budget, entre ce que tu reçois et ce que tu donnes, c’est ce qui en reste qui est important. À preuve, je serais bien incapable de relire ce livre, pas en entier en tout cas, et pourtant ce qu’il m’en reste dans tous les pores de ma peau et tous les neurones de mon cerveau, m’accompagne encore aujourd’hui, après trente-cinq ans.
Pourtant, je me demande : si j’avais un seul livre à apporter sur une île déserte, si c’est L’Euguélionne que je choisirais. Probablement Le petit Robert des noms propres : il dérange moins, il fait moins mal.
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