lundi 30 novembre 2020

La journée est belle

30 novembre : mon père aurait eu 98 ans.

Courriel inattendu ce matin : une réalisatrice en muséologie m’a fait parvenir une photo prise en 2011. J’ai une abondante chevelure rousse. Souvenir heureux parce que je parlais alors de «ma» Petite-Nation. Souvenir un peu triste parce que la photo me rappelle que quelques mois après, je suivais des traitements de chimiothérapie. Je n’aurais plus de cheveux pendant plusieurs mois.

Me rappelle aussi que ma mère mourrait, à l’âge de 87 ans.

Fin novembre 2017, fin novembre 2018 et fin novembre 2019 : j’étais en Floride ou en route pour la Floride. Ce matin : ici, au Québec, dans « ma » Petite-Nation, et heureuse d’y être, en bonne santé.

Alors pour que les souvenirs restent des souvenirs, je reviens au présent, je lis les commentaires au sujet de mon billet Elle d’hier. Petit sourire de satisfaction : j’ai réussi mon coup.

Puis, je ratisse tout ce qui concerne les prix Renaudot et Goncourt 2020. Surtout ce qui se dit sur Villes de papier et son auteure Dominique Fortier. Tellement heureuse pour elle. Tellement aimé ce livre.

J’ai lu ce livre en septembre 2018. J’en ai parlé dans un billet de blogue : « Je deviens elles ».

Elle hier et Elles aujourd’hui! 
Me donne des ailes. 
La journée est déjà belle.






dimanche 29 novembre 2020

Elle

Depuis le temps que je la connais, que je la côtoie, je vous la présente enfin.

Je l’ai aimée tout de suite. J’avais 26 ans. Depuis ma petite enfance, elle avait été une copine sans plus. Je n’aurais jamais cru qu’elle put devenir une amante et un amour. Je doutais tellement, je cherchais la perfection, je réfléchissais trop, j’hésitais pour tout.

Je me rappelle encore le sentiment euphorique du premier «je t’aime» prononcé à haute voix. Ou n’est-ce pas plutôt ce cliché éculé : «j’ai besoin de toi» qu’on entend à la fin des films sentimentaux? Ma respiration courte et retenue. Mon cri étouffé. Les mains couvrant mon visage. J’ai du mal à croire que c’est pour moi. Discrètement, presque en secret, pour ne pas l’effaroucher, ne pas la faire fuir, j’accepte. Excessive, je lui consacre tout mon temps.

Chaque semaine, je lui découvre une nouvelle facette. Sa beauté, sa générosité, sa douceur tout autant que sa force. Nous ne parlons pas de tout, mais nous parlons de l’essentiel. Elle sait faire naître le meilleur. Lui faire plaisir me comble. Elle me rend importante.

Juste elle et moi. Découvrir, essayer, aller dans toutes les directions, entrevoir toutes les possibilités. Devant le fleuve, au pied des arbres, sur une route de campagne. Dans la maison, dans la chambre, dans la cuisine. Dans la neige, dans les feuilles d’automne, en chaloupe sur un lac. À l’aube, au soleil couchant.

Elle me raconte des histoires, elle m’offre la liberté et les grands espaces, elle me dit qu’on va vivre de macramé et de macaroni, cultiver les radis et la poésie.

J’y crois. Attachement passionné. Attentes démesurées.

Pendant deux ans.

Ensuite, la vie matérielle reprend ses droits. Il faut payer l’électricité, remplir le frigo, mettre de l’essence. Je retourne sur le marché du travail. Moins de passion, moins de temps à lui consacrer. Je m’égare, je m’oublie.

Je me réveille un matin et elle est partie? Non. Plus sournoise, plus taciturne. Un peu plus chaque jour. Sans que je sache pourquoi. Ai-je la tête ailleurs? Ai-je dit ou fait quelque chose qui l’a blessée, donné le goût de se venger. Présente, mais silencieuse. J’essaie la gentillesse, la taquinerie, la patience, et j’avoue... la violence verbale. Rien n’y fait, elle ne m’accorde aucune attention. Et moi, de moins en moins.

S’installent alors de froids rituels. Des repas rapides, des conversations banales. Aucune des deux véritablement absentes, mais le cœur ailleurs, éteint.

Pendant quelques semaines, pendant mes vacances surtout, nous reprenons de la vigueur. Je retrouve mes premiers émois. Une fougue, un élan. Même mon corps se transforme : un visage épanoui, les épaules détendues, un cou invitant. Des mots gentils. Elle peuple ma solitude et pourtant, comme dans la chanson, je m’en suis fait une habitude et une amie de cette vie solitaire.

J’en ai eu assez de nous garder secrètes, j’ai voulu nous montrer, nous rendre visibles, être reconnues. Mais comme une vedette de cinéma, on aurait voulu qu’on nous découvre, qu’on nous aime sans avoir à le crier sur les toits, sans avoir à se pavaner ou se battre. Que les petits pas franchis nous mènent vers une grande place publique. Ce fut trop d’efforts pour moi. J’ai renoncé. Ou plutôt j’ai laissé aller.

À quarante ans, elle me manque trop, je tente un rapprochement. À force d’appel et d’attentions, de présence et de persévérance, elle revient, différente, plus mature. Aussi exigeante. La peur de la perdre à nouveau aurait pu me paralyser, paradoxalement, je me sens plus libre. Je ne cherche plus à la retenir, à tout lui sacrifier ou pire, à la contrôler. D’amoureuse possessive et dépendante, je deviens amicale et ouverte à ce qui peut venir.

Elle me le rend bien. Même si je recommence à pleurer, à douter, à mal dormir, je suis sinon heureuse, au moins fière.

Au lieu de nous balader dans les grandes villes, à la recherche d’une reconnaissance officielle, nous nous présentons à nos ami. e. s, aux personnes qui nous comprennent, qui nous aiment. Malgré certains jugements, dont certains m’ont blessée, nous faisons preuve de compréhension et nous nous contentons de cercles plus restreints.

Aujourd’hui, à 70 ans, je ne cesse pas de l’aimer, mais pour me sentir en vie, je n’ai plus besoin d’un miroir pour me sentir belle ou importante. Voilà, c’est ça : je n’ai plus besoin d’elle pour exister. Alors je la côtoie quand ça me plaît, juste pour le plaisir.

Elle, l’écriture.

dimanche 15 novembre 2020

Le choix des mots

Professeur, je disais des milliers de mots dans une heure. 
Infographiste, je cherchais les meilleurs, les plus précis pour les titres d’articles, pour les annonces. 
Auteure, je peux jongler avec les mots pendant des jours, des semaines. 

Hypersensible aux mots. Ceux que je dis, ceux que j’entends. 
Nos conversations marquées par l’oralité ne laissent pas le temps à la nuance ni à la recherche du mot juste. Pendant que je trébuche sur un mot, déjà un autre sujet. Pourquoi les réponses courtes, même maladroites, ne me suffisent-elles pas? Pourquoi toujours vouloir débattre ou tout nuancer? Juste jaser, c’est possible non! 

Aujourd’hui, le mot « envahissante ».
Je pourrais me contenter de répondre « non, non, bien sûr que non, tu n’es pas envahissante ». Et ça s’arrêterait là. Choisir la facilité, la bienséance. Émoticône sourire. Et on passe à un autre sujet. 
J’ai choisi la taquinerie : « bien sûr que tu es envahissante... » me suis-je entendue dire. Me suis sentie obligée de rajouter « mais pas dérangeante ». Ça me trotte dans la tête depuis. Je cherche encore une meilleure réponse, probablement parce que je ne sais pas ce que je ressens, je ne sais pas clairement ce que je pense. Boileau a bien raison.

La semaine dernière, c’était le mot : « folle ». J’entends très souvent « fou » ou « folle ». Pas pour me qualifier, moi. Non, pour décrire quelqu’un: Trump, un tueur. Une femme dont le comportement ne fait pas notre affaire, nous dérange, nous fait souffrir. On dit « folle » pour ne pas chercher plus loin. On se protège, on fuit, on évite. On juge.

Quand les mots traînent dans mon esprit, c’est que le doute vient de s’installer. Ou le malaise ne se dissipe pas. Ou comme dit Lisanne Rheault-Leblanc dans son livre Présages : 
« Certains mots reviennent et reviennent : leur répétition actionne maladroitement des leviers rouillés, déclenche des flashs, des brûlures de honte, une suite d’images troublantes dont la bande sonore s’est égarée dans les archives. »
Il ne faut pas non plus imaginer que c’est maladif mon affaire. Ou souffrant. Les mots me font jouer au Scrabble, à Alpha Betty. J’en ai fait mon métier de cette recherche des mots. Exercice matinal aussi : écrire la soirée de la veille ou le plaisir du jour. Ou le trop-plein. 

Et ne me dites pas de lâcher prise ou d’arrêter, ou de ne pas m’inquiéter. J’aime bien chercher, essayer de comprendre, approfondir et si possible expliquer, communiquer. 
Comme assembler un casse-tête, celui de ma vie.


vendredi 6 novembre 2020

La langue de feu de Michèle Bourgon

La poésie et moi, c’est compliqué.
Comme les prix littéraires. Je m’imagine indigne de comprendre. Une écolière inculte. Pourtant, à 16 ans, après mon journal intime, mes premiers mots écrits dans un cahier noir avaient la forme d’un poème. C’était simple, court. Une émotion plus qu’une pensée. Une chanson plus qu’une symphonie.

L’étude des vers de Villon, Lamartine, Baudelaire, Nelligan et même Saint-Denys Garneau a achevé de me convaincre que je n’y comprenais rien, je ne sentais rien, je n’entendais aucune musique. Donc pas pour moi. J’ai vite renoncé. En guise de poésie, je me contentais des chansons de Claude Gauthier, Georges d’Or, Gilles Vigneault. 

Et puis, à force de côtoyer des auteurs québécois, j’ai rencontré quelques poètes, j’ai ouvert des livres. De Nicole Brossard parce que je l’ai connue.
De René Lapierre parce que j’ai connu sa conjointe.
De Guy Jean, de Loïse Lavallée parce qu’ils sont auteurs dans l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais.

Michèle Bourgon a été professeure, elle écrit des nouvelles, de la poésie, des récits.
Je la connais deuis près de dix ans. Elle vient de publier un recueil de poèmes : Feux de langue.

J’ai lu, et cette fois, j’ai entendu la musique. Son amour du Québec et de la langue de chez nous me rejoint. On y trouve des allusions à Gaston Miron, à Réjean Ducharme et même Victor Hugo.
Un hommage, tout en jeux de mots, à Clémence Desrochers, Yvon Deschamps, et plusieurs autres «grands».
Des images des cinq continents.

Elle a bien raison, Michèle Bourgon, d’écrire en quatrième couverture : « il y a dans Feux de langue des coups de gueule contre l’Histoire, de la déception, de la colère ». 
Mais j’ai aussi reconnu son pur amusement à inventer, déformer des mots que j’avais eu le plaisir de lire, avec un grand sourire, dans ses deux livres : Y a pas de souci! et Y a toujours pas de souci!

Tous centrés, sans ponctuation autre que quelques points d’exclamation, ses poèmes permettent une lecture rythmée, douce et très visuelle.

Je sors ma langue de feu 
Brûle ta langue de bois 
Tire ma langue de chez nous 
Parce que tu l’as si bien pendue… 

Tiens ta langue sur le bout de la mienne 
Et fais sept fois le tour de Babel 
Pour que tu comprennes enfin que 
Ma langue pour moi est la plus belle! 

Une fois la dernière page tournée, comme au retour d’un voyage, je laisserai couler un peu de temps. Et je relirai, comme on regarde des photos, pour lire entre les lignes, pour découvrir la délicatesse des détails. Quoique pour aimer un poème, je ne crois pas qu’il faille un cours universitaire, ni faire le tour de Babel, ni même de longues analyses critiques, ni chercher une histoire.

Juste se laisser aller.
Juste ouvrir une page et commencer à lire lentement.  

Pour acheter son livre ou connaître Michèle Bourgon, vous pouvez visiter son blogue où elle sort sa «langue de feu»!>>>