Vous ne me croirez pas, ça
m’intimide d’en parler.
— Parce que tant d’autres en ont
déjà fait l’éloge, il suffit d’écrire le titre du livre, et ajouter «blogues», au
besoin pour voir l’abondance des appréciations sur le roman La femme qui fuit.
Qu’aurais-je à rajouter de plus ou même de différent?
— Parce que plus un livre me
touche, plus j’aime, moins je trouve les mots pour en parler comme si je
n’étais pas à la hauteur du sujet.
— Parce que je retarde le moment
d’en parler comme pour rester encore un peu entre les pages du livre. Dès que
j’aurai fini d’en parler, comme une longue expiration, ce que j’ai ressenti
s’évanouira-t-il?
— Et bizarrement, parce que le
livre n’était pas (et n’est toujours pas) disponible en numérique chez
pretnumerique.ca je n’ai pu l’emprunter dès sa sortie, j’ai attendu que ma
nièce me passe son cadeau de Noël. Un plaisir d’autant attendu que le
ravissement en fut décuplé. Doublé du bonheur de tenir dans ses mains ce format
4 sur 8 que j’aime tant.
J’ai attendu un peu pour voir si
le besoin d’en parler allait décroître. Eh non! Donc, impressions.
Un roman qui commence par « La
première fois que tu m’as vue, j’avais une heure. Toi, un âge qui te donnait du
courage. »
Qui fait l’unanimité chez les
chroniqueurs, blogueurs, lecteurs de tous les milieux
Qui tient plus que les trois mois
habituels sur les tablettes des librairies
Qui remporte des prix
Qui parle d’un temps dont j'entendais parler dans ta jeunesse
Où il est question de peinture, de
poésie, mes arts favoris… Qui m’a rendue curieuse des tableaux et des poèmes de
Suzanne Meloche d’abord, et de ceux des Borduas, Barbeau et de quelques autres
que j'avais un peu oubliés.
Qui me rend curieuse de cette
Manon Barbeau qui m’a tant impressionnée quand j'ai partagé avec elle des ateliers de théâtre, alors que nous avions toutes deux seize ans…
Qui traite de la liberté, de
l’abandon, des femmes, sujets qui me touchent, qui m’interpellent…
Je dis souvent que je ne lis pas
comme les autres parce que je prétends être auteure. J’ai peur des mots des
autres. Du doute qu’ils glissent en moi. En fait, je devrais cesser de radoter
à ce sujet, je me suis renforcée au fil de mes lectures et de mes écritures, je
sais maintenant qu’ils me font plutôt du bien, les mots des autres. Et je suis
capable d’admirer, capable d’aimer sans me sentir rejetée ou me considérer nulle.
Et puis finalement chacun lit et réagit avec son vécu, son expérience, ses yeux
de professeur ou de cinéaste ou d’écrivain ou de femme ou d’homme. Je l’ai bien
vu en lisant les blogues au sujet de ce livre.
Je voulais lire La femme qui fuit
pour l’histoire, pour savoir en quoi ce roman était exceptionnel. Qu’on me
raconte le temps du Refus global, qu’on m’explique le choix de Suzanne Meloche
d’abandonner ses enfants. Ce que j’ai finalement aimé c’est le style, les
chapitres courts qui donnent un rythme à la vie décrite, j’ai été atteinte par
cette force des mots, par ce « Tu » employé, qui martèle chaque phrase comme un
clou qu’on enfonce et qui fait mal.
- Présence fauve, saignante
- Tu peins avec des griffes, la salive en écume, le geste en bataille. Tu déploies un cri rouge sur la toile humide.
J’aurais pu citer plusieurs
phrases par page. J’ai quand même noté celles-ci :
- Habiter l’instant
- Un geyser dans le ventre
- Ta calligraphie s’est ensauvagée
- Tout de toi raconte un adieu
- Il est effilé et se meut avec finesse. Il voudrait être l’ombre, mais capte malgré lui la lumière, qui se vautre paresseusement sur son corps anguleux.
Et j’ai reconnu l’époque de mes
vingt ans quand les mots que j’écrivais déjà faisaient écho à ceux que les
poètes et les femmes avaient le furieux besoin de cracher. Depuis, les miens se
sont adoucis, mais il faut continuer d’entendre les cris des autres, des
jeunes, des minorités, des intimidés, des abandonnés. Des femmes, encore.
On plonge dans les mots, on se les envoie sales et bruts, volatiles et mutilés, on les avale et les recrache, on les fait s’envoler, on les love, les caresse et les viole.
Les deux livres que j’ai lus en
avril et mai ont tous les deux remporté le Prix des libraires : La femme qui fuit pour les romans
québécois et L’amie prodigieuse pour
le roman hors Québec.
Un peu comme si j’avais gagné mes
élections : mes deux livres préférés pour l’année 2016.
Il est sur ma liste, maintenant, c'est devenu une urgence. Vais revérifier le numérique au cas où... Merci Claude
RépondreEffacerToujours pas de numérique hier, pourtant pas du Léméac. J'ai vérifié Marchand de feuilles a tout de même quelques titres.
RépondreEffacerJe l'ai aussi beaucoup aimé, l'histoire et l'écriture magnifique. Les honneurs mérités.
RépondreEffacerMerci Marie-Claude de ton passage.
RépondreEffacerQuel billet!!!!
RépondreEffacerJe viens de l'acheter... Je vais le lire sous peu! Merci pour ce billet qui m'a donnée envie de plonger dans cet univers!
RépondreEffaceroui oui oui! Claude, moi aussi je viens de le finir. Et j'ai BEAUCOUP beaucoup BEAUCOUP aimé. J'ai vu Anaïs Barbaud-Lavalette aux Correspondances d'Eastman et j'ai admiré son charisme, son éloquence, son authenticité. Une belle jeune femme, dans tous les sens du mot.
RépondreEffacerMerci Claude pour ton billet, qui rend bien hommage à son livre!