samedi 28 mai 2016

Complètement accro

Du meilleur, du plus important, du plus cher à mon cœur, je n’ose pas dire. Je n’ose pas exposer au grand jour. Non par peur du jugement, ou du regard, mais pour le garder intact, privé, beau pour moi-même. Ne pas exposer à la critique. Garder dans le silence et dans l’ombre, comme un joyau précieux. Ce n’est pas sujet de bavardages futiles. Ni excès de snobisme intellectuel, n’allez pas croire, mais pour moi c’est du sérieux et il ne faut pas tout prendre à la légère. 

Et pourtant ce plaisir, je voudrais le présenter maintenant, non pas pour l’exhiber ou même le promouvoir. Seulement en parler parce que j’en suis fière. Mais encore là, je laisse venir tout doucement la manière, les mots. Sur la pointe des pieds, sur le bout de la langue. Ouvrir la porte en petits gestes retenus. 

Le groupe existait déjà quand j’en ai entendu parler au hasard d’une conversation entre deux membres. Dès lors, ma curiosité fut piquée, excitée. Un tel groupe existait? Enfin je pourrais parler de mon sujet favori (et favori est un euphémisme dans mon cas, c’est LE sujet, bien haut sur la liste de mes envies), de ce sujet dont il est rarement question même avec mes meilleures amies dont les intérêts sont tout autre.

Le livre.
La lecture.

J’étais prête à toutes les bassesses pour faire partie du groupe dont il avait été question dans cette conversation. Ai-je supplié? Me suis-je mise à genoux? Ai-je bien expliqué les raisons pour lesquelles je le voulais à ce point? Et quand j’ai entendu le « oui », fut-il fort ou hésitant? Qu’importe, j’ai embrassé, j’ai remercié et je déborde encore de gratitude envers ces deux femmes qui m’ont fait une petite place au sein de leur bande.

Nous sommes donc une douzaine de ferventes (permettez que j’utilise le féminin, il n’y a qu’un homme!), mais rarement les douze en même temps.

Pour l’instant, nom temporaire : Cercle de lecture.
Opinion émise qui n’est pas de moi, mais qui résume tout : 
«Quelle richesse de personnes, de cultures, de points de vue, de découvertes et d’échanges».
Des trentenaires, des soixantenaires. Des Québécoises, des Belges. Une malvoyante qui lit en braille et écoute des livres audio. Certaines aiment les polars, d’autres lisent en anglais. On apporte nos livres, à tour de rôle, on en parle, on les prête ou on les recommande.

Des découvertes comme réaliser n’avoir jamais lu Amélie Nothomb. En profiter pour parler du vedettariat. Faire connaitre des auteurs québécois comme Louky Bersianik et son célèbre L’Euguélionne (qui n'avait l'air célèbre que pour moi), et ne réussir tout au plus qu’à piquer la curiosité. En profiter pour digresser sur le féminisme.

La saison dernière, avoir lu, toutes, le même livre : La peste d’Albert Camus. En discuter. Trouver que le climat social n’a pas tellement changé.

Voir passer les deux heures fixées trop rapidement. Céder au plaisir de rester encore un peu. Bavarder, sympathiser, s’embrasser.
Avoir hâte au mois prochain. 
Le lendemain, échanger des courriels pour ajouter quelques commentaires complémentaires aux discussions de la veille. Où on partage encore notre plaisir de lire.

Ivresse dans mon cas. Complètement accro.

vendredi 27 mai 2016

Escapade au Parc de Plaisance

Quatre jours magnifiques. À tous points de vue.
À quarante minutes de chez nous, mais comme si j'étais ailleurs.
Parc de Plaisance, Sepaq.
Chez nous des corneilles le matin, des grenouilles le soir, mais là, des chants d'oiseaux toute la journée. Très nerveux par contre, les pics, l'oriole de Baltimore, les chardonnerets, j'ai eu du mal à en photographier un seul tant ils avaient la bougeotte.
Devant notre emplacement -- le 98--, un plan d'eau. Des tortues, des rats musqués, des castors venus nous saluer.
Et oh! miracle, même en ce mois de mai, pas de maringouins ni mouches noires. Pourtant des marécages autour. Des quenouilles et des lys à venir.
Un paradis.
Chaque jour au moins une heure de vélo, jamais le même sentier. Un matin, trente-cinq kilomètres.
Chaque jour au moins deux heures de lecture: Marie Major de Sergine Desjardins qui m'a appris comment vivaient probablement mes ancêtres: François Deguire dit Larose et Jean Bricault dit Lamarche et plus encore "ma" Fille du roi, Marie Rose Collin.
Tous les repas pris à l'extérieur, les yeux rivés sur la baie qui donne sur la rivière des Outaouais.

Premier essai chez FlickR. Contrairement à Jalbum, je ne parviens pas à intégrer l'album directement dans ce billet. Un lien seulement. Je verrai à l'usage si je ne reviens pas à Jalbum.

Donc un montage seulement et le lien vers mini-album>>>


samedi 21 mai 2016

Un « Tu » puissant et percutant

Vous ne me croirez pas, ça m’intimide d’en parler. 
— Parce que tant d’autres en ont déjà fait l’éloge, il suffit d’écrire le titre du livre, et ajouter «blogues», au besoin pour voir l’abondance des appréciations sur le roman La femme qui fuit. Qu’aurais-je à rajouter de plus ou même de différent? 
— Parce que plus un livre me touche, plus j’aime, moins je trouve les mots pour en parler comme si je n’étais pas à la hauteur du sujet. 
— Parce que je retarde le moment d’en parler comme pour rester encore un peu entre les pages du livre. Dès que j’aurai fini d’en parler, comme une longue expiration, ce que j’ai ressenti s’évanouira-t-il? 
— Et bizarrement, parce que le livre n’était pas (et n’est toujours pas) disponible en numérique chez pretnumerique.ca je n’ai pu l’emprunter dès sa sortie, j’ai attendu que ma nièce me passe son cadeau de Noël. Un plaisir d’autant attendu que le ravissement en fut décuplé. Doublé du bonheur de tenir dans ses mains ce format 4 sur 8 que j’aime tant.

J’ai attendu un peu pour voir si le besoin d’en parler allait décroître. Eh non! Donc, impressions.

Un roman qui commence par « La première fois que tu m’as vue, j’avais une heure. Toi, un âge qui te donnait du courage. » 
Qui fait l’unanimité chez les chroniqueurs, blogueurs, lecteurs de tous les milieux
Qui tient plus que les trois mois habituels sur les tablettes des librairies
Qui remporte des prix
Qui parle d’un temps dont j'entendais parler dans ta jeunesse
Où il est question de peinture, de poésie, mes arts favoris… Qui m’a rendue curieuse des tableaux et des poèmes de Suzanne Meloche d’abord, et de ceux des Borduas, Barbeau et de quelques autres que j'avais un peu oubliés.
Qui me rend curieuse de cette Manon Barbeau qui m’a tant impressionnée quand j'ai partagé avec elle des ateliers de théâtre, alors que nous avions toutes deux seize ans…
Qui traite de la liberté, de l’abandon, des femmes, sujets qui me touchent, qui m’interpellent…
 
Je dis souvent que je ne lis pas comme les autres parce que je prétends être auteure. J’ai peur des mots des autres. Du doute qu’ils glissent en moi. En fait, je devrais cesser de radoter à ce sujet, je me suis renforcée au fil de mes lectures et de mes écritures, je sais maintenant qu’ils me font plutôt du bien, les mots des autres. Et je suis capable d’admirer, capable d’aimer sans me sentir rejetée ou me considérer nulle. Et puis finalement chacun lit et réagit avec son vécu, son expérience, ses yeux de professeur ou de cinéaste ou d’écrivain ou de femme ou d’homme. Je l’ai bien vu en lisant les blogues au sujet de ce livre.

Je voulais lire La femme qui fuit pour l’histoire, pour savoir en quoi ce roman était exceptionnel. Qu’on me raconte le temps du Refus global, qu’on m’explique le choix de Suzanne Meloche d’abandonner ses enfants. Ce que j’ai finalement aimé c’est le style, les chapitres courts qui donnent un rythme à la vie décrite, j’ai été atteinte par cette force des mots, par ce « Tu » employé, qui martèle chaque phrase comme un clou qu’on enfonce et qui fait mal. 
  • Présence fauve, saignante
  • Tu peins avec des griffes, la salive en écume, le geste en bataille. Tu déploies un cri rouge sur la toile humide.

J’aurais pu citer plusieurs phrases par page. J’ai quand même noté celles-ci :
  • Habiter l’instant
  • Un geyser dans le ventre
  • Ta calligraphie s’est ensauvagée
  • Tout de toi raconte un adieu
  • Il est effilé et se meut avec finesse. Il voudrait être l’ombre, mais capte malgré lui la lumière, qui se vautre paresseusement sur son corps anguleux.

Et j’ai reconnu l’époque de mes vingt ans quand les mots que j’écrivais déjà faisaient écho à ceux que les poètes et les femmes avaient le furieux besoin de cracher. Depuis, les miens se sont adoucis, mais il faut continuer d’entendre les cris des autres, des jeunes, des minorités, des intimidés, des abandonnés. Des femmes, encore.
On plonge dans les mots, on se les envoie sales et bruts, volatiles et mutilés, on les avale et les recrache, on les fait s’envoler, on les love, les caresse et les viole.
Les deux livres que j’ai lus en avril et mai ont tous les deux remporté le Prix des libraires : La femme qui fuit pour les romans québécois et L’amie prodigieuse pour le roman hors Québec. 
Un peu comme si j’avais gagné mes élections : mes deux livres préférés pour l’année 2016.

Pour voir ou revoir le film de Manon Barbeau : Les enfants de Refus global.

samedi 14 mai 2016

Écrire ou laver la vaisselle

Et Holly pensa alors : je dois écrire avant que cela ne m’échappe. Elle avait déjà ressenti ça plus jeune — l’envie presque paniquée d’écrire à propos d’une chose qu’elle avait entraperçue, de la fixer sur une page avant qu’elle ne file à nouveau. 
Esprit d’hiver, Laura Kasischke


Je me suis dit que j’allais écrire sur l’insignifiant, le petit, même si c’est ennuyeux, même si ça n’est pas digne d’être raconté. Souvent, les écrivains fabriquent une imitation de la vie en partant d’un point de vue philosophique. J’ai fait l’inverse.
Les tâches domestiques, cet ennuyeux travail de femme, le frustrent, lui qui voudrait consacrer ses journées à écrire une grande œuvre. Mais il ne faut pas dire ces choses-là.

Citation de Karl Ove Knausgaard, paru dans Bibliobs, chronique de David Caviglioli 

Écrire plutôt que les tâches domestiques, le lavage de la vaisselle par exemple, je connais.

Se lever au beau milieu de la nuit parce qu’on ne dort plus, hantée par cette phrase à écrire, par cette phrase qu’on a peur d’oublier, qu’on trouve importante et même parfois géniale, je connais. Et même si on sait qu’elle ne le sera probablement plus au matin, elle nous tient éveillée.

Écrire pour écrire, sans structure, sans étiquette de roman ou nouvelle ou chronique ou billet. Juste enchaîner les associations d’idées. Noter tout ce qu’on fait, tout ce à quoi on pense. Avoir un crayon dans la main plutôt qu’une voix qui peut parler, je voudrais.

Lire aussi au lieu de laver la vaisselle. Lire tout le temps. Et écrire sur ses lectures.

Je suis contente de vivre la période présente. Dans les années '80, j’étais récalcitrante à cette technologie nouvelle : l’ordinateur qui nous restreignait à la position assise et nous privait d’utiliser l’exacto, instrument que je maniais comme un chirurgien esthéticien.

Pourtant, dès que j’ai pu, j’ai troqué la machine à écrire contre un Commodore, puis un Tandy, un IBM jusqu’au portable.

Et quand vint l’Internet, je n’ai eu de cesse de m’informer sur la possibilité de l’obtenir chez nous, dans ma petite campagne éloignée, de harceler Télébec pour obtenir un modem et un service de qualité. 

Avant Internet, je connaissais quelques noms d’écrivains vus sur les couvertures de livres de la bibliothèque familiale. Je me faisais un devoir de lire les auteurs québécois. 

Je ne sentais pas le besoin de les rencontrer, de leur parler. Dans les Salons du livre ou des rencontres organisées, les rares fois où j’y suis allée, ça ne m’intéressait pas de faire la ligne pour leur dire quelques banalités. Je préfère les livres aux auteurs. C’est en lisant ce qu’ils écrivent, c’est en étant émue, touchée, dérangée par leurs écrits, c’est à travers leurs histoires que j’ai l’impression d’entrer en relation avec eux. Qu’ils m'offrent ce meilleur d’eux-mêmes que j’accueille avec respect et admiration, tout comme je donne le meilleur de moi-même quand j’écris, beaucoup plus que si j’ouvre la bouche pour dire des fadaises.

Mais là, maintenant, en 2016, avec Internet, sur Facebook entre autres ou dans un blogue s’ils en ont un, je peux les observer, les découvrir, lire leurs billets, leurs messages, leurs commentaires, leurs opinions. Entrer dans leur univers. Sans obligation d’intervenir. Et le temps que je veux. Et sans attendre dans une file. Sans gêne. Ou interagir, m’immiscer dans leurs conversations. Aussi souvent que m'en vient l'envie.

Qui aurait cru que je « parlerais » à Élise Turcotte, Paule Baillargeon, Lynda Dion, Louise Dupré, Mylène Gilbert-Dumas et quelques autres, plusieurs autres. 

Je me sens presque des leurs. Parce que je pense souvent comme elles (je dis elles parce que dans les ci-nommées, il n’y a que des elles). 

C’est à la suite d’une citation de Karl Ove Knausgaard, notée par Élise Turcotte sur Facebook que j’ai pris connaissance de quelques noms d’écrivains dont j’ignorais tout cinq minutes avant. Et, comme à mon habitude, j’ai aussitôt ouvert deux autres onglets, celui de la BANQ/pretnumerique et celui de ma librairie indépendante préférée pour voir si un de ces romans pourrait m’intéresser. J’ai eu la chance de pouvoir emprunter Esprit d’hiver de Laura Kesischke que j'ai entamé aussitôt. Quant à la brique de Karl Ove Knausgaard, j’ai feuilleté Un homme amoureux, mais prendrai-je le temps de lire cette énorme autobiographie?

Parce qu’après tout, il y a aussi la vaisselle à laver!

Mais tout de même, j’ai tenu à l’écrire d'abord.

lundi 9 mai 2016

Écrire sa mère

Encore une auteure qui me jette par terre. Elle a écrit sa grand-mère, sa mère et elle, en tant que mère, aussi.
Des phrases que je lirais à voix haute comme un rap, comme un slam, comme Speak White.
Le sujet des enfants abandonnés, de La femme qui fuit : un sujet puissant, mais dans le choix des mots, dans le choix même de la ponctuation, des répétitions, c’est le style qui donne toute sa force au roman. Le « tu » qui frappe. Les courts paragraphes qui martèlent.
Le format aussi que j’ai toujours aimé tenir dans mes mains.
Me touche d’autant que j’ai connu la mère de l’auteure, quand j’avais 16 ans et que nous étions au même collège. Rencontre de quelques heures dont je garde un souvenir indélébile, et ce, même si son nom n’était pas devenu public par la suite.

Écrire sa mère.
Hier, fête des Mères. Je fêtais plutôt l’anniversaire de mon frère, comme depuis des années. Et puis ma mère, elle n’était pas là, j’ai plutôt fêté l’anniversaire de sa mort la veille, le 7 mai. Morte il y a quatre ans, en 2012. Je ne suis pas prête d’oublier la date, j’avais une perruque sur la tête, entre deux traitements de chimiothérapie.

Je ne suis pas mère, mais j’en ai eu une, bien sûr.
J’ai écrit mon père, mais je ne réussis pas à écrire ma mère.
Dans mon prochain roman, il y a Mireille, la mère de Dominique.
Au début de la trilogie, en 2004, je croyais écrire sur ma lignée zigzagante de Bridget à Jenny, à Annie, à Michelle jusqu’à moi. Donnant la parole à chacune. Je n’ai pas pu. Une fois rendue à mon grand-père que j’ai connu, les visages sont devenus flous, les paroles confuses et les lieux ont bougé. Je n’ai entendu que leurs silences et je n’ai jamais su leurs secrets.
J’ai écrit une femme, une épouse une sœur et même une mère, mais pas la mienne.
La mienne m’appartient à jamais. De toute façon, chacun a la sienne, même les enfants d’une même famille ont souvent l’impression de ne pas avoir eu la même.
Le souvenir n’est pas la vérité, mais qui se soucie de la vérité quand il est question d’émotions qu’elles soient bonheurs ou blessures, amour ou ressentiment.

Dans mes romans, j’écris des émotions. Je ne crois pas que j’écrirai ma mère, jamais. Probablement parce que je ne l’ai jamais tout à fait comprise. Peut-être parce que je suis une fille, une sœur, mais pas une mère.

(Le livre dont il est question, c'est, vous l'avez reconnu: La femme qui fuit d'Anaïs Barbeau-Lavalette aux Éditions Marchand de feuilles. J'en reparlerai sûrement quand je l'aurai terminé)