mardi 10 octobre 2017

De l'écriture féminine

En essayant de comprendre pourquoi, ces temps-ci, je préfère les romans écrits par des femmes et aussi par des Québécoises plutôt que des Françaises ou Américaines,
en essayant de comprendre pourquoi, par exemple, je préfère le dernier roman de Martine Delvaux au premier de Stéphane Larue,
j’ai longuement navigué entre des sites de thèses, des blogues et des revues populaires.
Je sais à l’avance que je conclurai qu’il n’y a pas de conclusion définitive, tout au plus un cheminement qui se poursuit depuis mes premières lectures et s’achèvera à mon dernier souffle.

Dans Google, si on écrit « romans féminins » nous aurons des pages et des pages. Danielle Steel tout à côté de Simone de Beauvoir.
Si on écrit « romans masculins », Google ne nous renvoie qu’à des prénoms.
Je n’entrerai pas dans la polémique de savoir si on doit féminiser les titres, si on doit être écrivaine ou autrice ou dire madame le ou la ministre, mais la question d’écrire « autrement » me captive.

Est-ce que j’écris différemment parce que je lis différemment? Après tout c’est la même personne qui lit et qui écrit.
Est-ce que je corresponds aux statistiques?
«Quand on remonte le fil de l'histoire, on s'aperçoit qu'il y a toujours eu des genres littéraires associés aux hommes et aux femmes. Depuis toujours, les lectures dites "sérieuses" comme les ouvrages politiques et d'histoire sont associées aux hommes, alors que la littérature de divertissement, comme les romans, est associée aux femmes.»
                                                          Anthony Glinoer dans La presse du 19 juin 2015 
Les statistiques révèlent que les femmes lisent plus que les hommes, pourtant les hommes continuent d’être plus souvent publiés que les femmes. Et gagnent plus de prix.

Et alors?
auteures, écrivaines, langage familier
Ce que je sais en revanche, c’est que nous avons tous un principe féminin et un principe masculin. Nous avons des sensibilités différentes. Et même à chaque jour, je dirais que le pourcentage change comme le soleil qui n’a pas toujours la même couleur. Ces jours-ci, je suis orange brûlé, presque rouge vif. Comme l’automne. J’entre dans la maison. J’entre à l’intérieur de mon moi. Je fais du ménage, je me prépare un nid douillet et chaud. Toutes des activités féminines? D’où l’intérêt pour les mots féminins? Peut-être.

Sur mon passage sur Google, j’ai vu souvent le nom d’Hélène Cixous. Elle parle de son écriture.
«La pensée a ses rythmes, qui sont commandés par les escalades qu’elle est amenée à faire. Tantôt on procède par bonds, on saute sur une idée, par phrases courtes ; tantôt on est obligé de descendre ou de monter, à la façon de Dante faisant le tour d’une montagne. Il y a des lacets, on est épuisé. La pensée trace elle-même son rythme, étire ses fils. Ce qu’on apprend à faire, c’est à ne pas résister, à ne pas être un juge arbitraire disant « on doit écrire comme ci et pas comme ça »(1)
C’est comme ça que je pense. Je lis une histoire dans l’ordre que l’auteur a bien voulu me livrer, mais j’écris d’abord dans le désordre de ce que je ressens. le vu, le senti, le ressenti, le goûter, le rythme du cœur qui s’accélère comme s’il trouvait enfin le trésor longtemps cherché. Je sautille et je cherche ailleurs les mots pour exprimer ce cafouillis intérieur. Comme à 15 ans quand l’adolescente rebelle m’est sautée dessus sans permission. Ensuite, il faut que j’arrête, que j’interrompe le flux et que j’organise. Pour que mon cerveau comprenne. Je devrais peut-être faire du yoga pour apprendre à respirer mes mots et mes phrases. Je suis peut-être atteindre d’une TDA tardive.

En observant que ces temps-ci je lisais et j’aimais plus facilement les romans écrits par des femmes, en ayant du mal à aimer autant Le plongeur que la plupart des lecteurs et chroniqueurs, j’ai peut-être compris que ce n’est pas tant que Le plongeur soit écrit par un homme ou que le personnage soit un homme, mais, de ma part, c’est la difficulté à lire. Simplement parce que mon cerveau réagit négativement devant la langue trop familière utilisée jusque dans la narration. Comme s'il se sentait agressé, pire, injurié. Je croyais tout pardonner aux Québécois parce qu’en théorie, je les comprends, je les connais, je leur ressemble. Pourtant de moins en moins.
Je redeviens la juge snobinarde que j’étais à cet âge ingrat où on ne pardonne rien à nos parents. Maintenant que j’ai l’âge d’être parent, je ne pardonne rien aux jeunes. Je dois pourtant apprendre à leur laisser leur chance. Ils ont droit de vivre et d’essayer, eux aussi. Et d’écrire ce qu’ils veulent, comme ils veulent.
J’essaie de ne pas juger, mais j’essaie surtout de comprendre pourquoi je n’aime pas, pourquoi je ne finis pas le livre ou que je lis en diagonale. Et pourquoi tout le monde ne réagit pas comme moi.

Je crois bien que je vais mourir en cherchant encore le pourquoi de mon besoin d’écriture et de lecture. Et c’est normal, puisque je crois profondément — pour l’instant en tout cas, faute de preuves — que la vie n’a pas de sens tant qu’on ne saura pas pourquoi la mort. Ou vice-versa.

Le soleil se couchera dans un ciel orange brûlé pendant que je lis Hélène Dorion ou Michèle Lesbre ou…
Et demain sera un autre jour.

Avez-vous remarqué si vous lisiez plus féminin ou masculin?

6 commentaires:

  1. Je crois que j'ai aussi lu plus de livres écrits par des femmes. Va savoir pourquoi. J'ai aussi lu Hélène Cixous... et recommencements de Hélène Dorion (un chef d'oeuvre pour moi)... J'ai noté celui d'Ogawa...parce qu'on aime souvent les mêmes auteures et parfois aussi les mêmes auteurs...
    Il me semble par ailleurs que tes textes ici sont de plus en plus forts.

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    1. Ce n'est que depuis que je fréquente un cerce de lecture que j'entends parler d'auteurs (comme les Japonais et Japonaises) dont j'ignorais tout il y a encore deux ans.

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  2. Je lis plus de masculin que de féminin. Mais dans ma vie réelle, je fréquente aussi plus d'hommes que de femmes et je m'entends mieux avec les hommes que les femmes. Je crois que ça explique mes goûts littéraires.

    Avec le temps, j'en viens à croire que le sexe de l'auteur peut influencer son écriture, oui, mais que ce n'est qu'un facteur parmi d'autres. Il y a autant d'écriture que d'auteurs (et c'est tant mieux!)

    Par contre, au delà du sexisme et de l'a priori voulant que "c'est un homme, donc c'est sérieux ce qu'il fait", je crois que la prépondérance masculine dans les prix littéraires s'explique peut-être par le fait qu'on trouve normal qu'une fille soit douce, rêveuse, la tête dans les livres. Un gars, ouille, ça passe moins bien (ça change tranquillement, mais c'est pas encore finalisé). Alors pour qu'un garçon poursuivre dans la voie des livres et qu'il se mettre à écrire, il faut peut-être que l'appel de la plume soit un peu plus fort.

    Et ensuite, une fois qu'il entame sa carrière littéraire, là entre en jeu tout le côté "boys club" et, surtout, la maudite conciliation travail-famille qui lui permet de se consacrer à son art plus facilement que s'il était une femme. (J'vais pas m'étendre là-dessus parce que j'ai du lavage à faire... :P)

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  3. Réflexion intéressante, Claude. Je sens tout d'un coup un besoin pressant de plonger dans l'œuvre de Cixous! Moi aussi, je préfère en général les autrices aux auteurs, même si j'ai aussi adoré des livres écrits par des hommes.

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    1. Si tu as un titre de Cixous à me suggérer, n'hésite pas.

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