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samedi 16 mai 2015

Lire ce qui donne envie d'écrire

Il y a les livres que tu lis par curiosité. Tu en as entendu parler, ou il a gagné un prix. Parfois tu ne le finis pas, par manque d’intérêt, il ne te dit rien, tu ne t’identifies à aucun personnage. Même si c’est un roman québécois.

Il y a ceux que tu as lus quand tu étais à l’école. Tu étais en réaction. Il fallait que tu le lises pour en parler, en faire une dissertation. Avec des fiches avant. Des livres que tu aurais pu aimer si on ne te les avait pas imposés. Rebelle à toute suggestion, sauf celles qui venaient de ta mère. Et encore, tu ne lui disais pas que tu avais aimé Les mémoires d’une jeune fille rangée. Que tu avais relu trois fois Donner ou le journal d’Anne-Marie.

Il y a des romans que tu as lus deux fois et que tu relirais encore. Par pur romantisme, comme les Daphné Du Maurier. Pas les polars, tu n’as plus le goût, ils ne t’apportent rien, tu ne sens plus rien, pas même de la curiosité, pas même du divertissement.

Les romans que tu préfères maintenant sont ceux qui te donnent envie d’écrire, d’en parler ou de parler de ta vie, qui enrichissent ta vie d’auteure. Quitte à écrire n’importe quoi, comme présentement. Parce que tu lis La vie littéraire de Mathieu Arsenault. Un livre sans point ni virgule. On dirait de l’écriture automatique. Il dit tout ce qui lui passe par la tête. Et le pire, c’est que ce fut publié. Et le deuxième pire, c’est que tu savoures. Tu te revois à quinze ans quand tu écrivais le soir, enfermée dans ma garde-robe. Tes parents croyaient que tu étudiais. C’était avant l’ère des blogues et des réseaux sociaux, avant même l’ère des téléphones intelligents accessibles aux enfants qui insistent pour en avoir. Avoir quinze ans aujourd’hui, tu écrirais probablement un blogue, comme exercice à l’écriture. À l’expression. Le texte de Mathieu Arsenault est plus accessible que celui de Marie-Claire Blais, mais moins facile à lire que La maitresse de Lynda Dion, deux auteures qui ont employé le même procédé, mais avec plus de contenu. Tu ne veux pas dire « plus facile », tu veux dire moins bon. Et ton « plus de contenu » signifie une structure, une ligne de pensée. Tu manques décidément de vocabulaire. Tu devrais relire et prendre des notes en lisant Prague sans toi de Jean Lemieux. Tu aurais voulu que cet auteur écrive plus de romans « adultes », les polars, ça ne t’intéresse plus, tu l’as déjà dit.


Ton esprit est encore dans Écrire la vie d’Annie Ernaux. Tu voudrais lire d’autres livres d’elle pour rester dans cette atmosphère propice à écrire a ton tour. Tu cherches encore comment elle est devenue si « étudiée » avec un contenu si autobiographique. Tu ne trouves pas la liste des auteurs québécois étudiés à l’université. Tu auras toujours ce complexe de ne pas avoir de licence et encore moins de maîtrise en littérature. Même si le cours « création littéraire » avait existé en 1970, l’aurais-tu pris? L’amour, la vie, la nature t’attiraient plus que les études. Pas que tu croyais en savoir assez, mais tu en avais assez de te faire dire quoi penser, de te faire demander ce que pensaient les auteurs, ou devoir expliquer le parcours de tel ou tel philosophe. Tu avais déjà envie de dire ta propre pensée. De trouver ta manière, d’être indépendante et libre du sujet comme du style. Ta jeunesse te rendait audacieuse, impétueuse. Aujourd’hui, ça te rattrape, tu lis les études sur un tel ou un tel. Quelques lignes, quelques paragraphes, juste pour te faire une opinion. Ou plutôt faute d’avoir ta propre opinion, lire ce que d’autres en pensent. Et répéter en faisant semblant que c’est la tienne. Le jour où te le demandera. Ce qui est rare. On te demande ton argent, ton vote, mais rarement ton opinion. De toute façon non seulement tu détestes les Vox populi qui ne veulent rien dire, mais de plus, on t’a tellement appris à nuancer, à ne pas juger que tu as rarement une opinion sur les choses, les gens, les événements qu’ils soient d’ordre politique, littéraire ou sportif. Tu ne penses rien, tu écoutes, tu gobes, tu lis et tu essaies de rester neutre. Depuis longtemps tu n’as plus l’assurance de ta jeunesse. À force, tu as l’impression d’être froide ou vide, au mieux indifférente lors d’échanges. Les discussions sont courtes avec toi. 

Finalement, les livres que tu aimes, ceux qui te donnent envie d’écrire à ton tour, qui te font avancer, tu en parles, mais comme d’un précieux secret. C’est dire qu’ils t’ont touchée. C’est révéler que tu es comme cet auteur ou ce personnage. C’est montrer que tu n’es pas si froide, si neutre, si indifférente. C’est dire un peu qui tu es. Et réussir à trouver d’abord, à circonscrire et à coucher sur papier qui on est, sans paraître présomptueux, ce n’est pas donné à tout le monde. Tu n’es pas ni ne sera jamais Annie Ernaux. N’essaie même pas. Admire ce qu’elle écrit, point. Et continue d’écrire, même si c’est peut-être n’importe quoi et que ça ne sera jamais sujet d’étude ou de prix.

Ajout: Abandonné La vie littéraire. Trop c'est trop. Dans le style trop difficile à suivre, trop de mots, rien pour souffler. Trop de pas-d'émotions. Trop de rien-à-surligner. Comme une cacophonie. Merci tout de même à l'auteur qui m'aura au moins fourni un prétexte pour écrire ce billet.

dimanche 10 mai 2015

Elle, moi, je

Elle a dix ans de plus que moi.
Elle est née et vit dans un autre pays que le mien.
Elle a avorté, moi pas.
Elle est mère, moi pas.
Mes parents n’étaient ni ouvriers ni commerçants.
Elle a vu des films et entendu des chansons qui ne m’intéressent pas, mais j’ai entendu parler de certains et certaines.
Pourtant, pourtant, sur bien des points, je me suis reconnue.
Son adolescence, ses études, ce besoin de tout noter. Écrire.

Ce moi, ce je, même quand elle en fait un elle, même quand elle l’enrobe de son environnement, qu’elle le transporte d’une époque à une autre, ce moi a les mêmes besoins de s’exprimer par écrit que le mien. De laisser des traces. Dans son cas, besoin aussi de chercher et de décrire la vérité. 
Un moi qui devient personnage, même si elle s’en défend. Un nouveau genre littéraire affirme toutes les études qui portent sur le sujet de l’autobiographie ou de l’autofiction.

Photographie de moi qui lit elle:
 Écrire une vie d'Annie Ernaux
Réussir à écrire une bonne vingtaine d’écrits biographiques, dont certains primés, il y a certes là quelque chose qui m’échappe. N’est-ce pas redondant? La recherche de la vérité, je veux bien, mais après trois ouvrages — Les armoires vides, La place et Une femme —, on a compris. On a fait le tour, il me semble: elle, son père, sa mère, son village. Son adolescence rebelle et studieuse, son avortement, ses passions pour un tel ou un autre : elle y revient sans cesse.

Pourtant une répétition qui ne m’a pas tant dérangée. Je me suis surprise à enchaîner texte après texte, livre après livre. La curiosité, mais aussi le réel plaisir de lire encore et encore sur cette réalité, cette vérité « socio-biographique » qu’elle cherche à tout prix à rendre (ou à comprendre?) dans une recherche d'écriture qu'elle veut neutre, sans émotions. Je n’aurais pas cru un jour lire un auteur dont les principaux écrits (il ne faut surtout pas parler de romans dans son cas, elle y tient, s’y refuse) ne traitent que d’elle-même. Il faut croire que sa recherche de la vérité lui tient lieu de sujet, et ce moi, ainsi exposé à foison, justifie ce qui pourrait sembler du narcissisme outrancier.

Si j’ai aimé, si j’ai même dévoré, c’est que malgré nos différences, malgré qu'au contraire d'elle, j'aime jouer dans le cœur des humains et susciter des émotions, je me suis reconnue : dans l’époque, dans la féminitude, et surtout dans cette soif d’écrire. Jamais mes textes ne seront scrutés à la loupe, ne seront objets de tant d’études ou de documentaires. Jamais revue littéraire ne me demandera mon avis sur tel ou tel sujet culturel, mais quand même, le temps de la lecture — Les années surtout — je me suis sentie du même temps qu’elle. Je me suis sentie écrivain comme elle. Sauf que moi je transpose dans des romans. Depuis longtemps, j'ai renoncé à cerner la vérité. Je raconte, je déforme, je maquille.

Tout de même, c'est comme si Annie Ernaux (je la nomme enfin, me suis amusée à faire comme elle et ne jamais ou presque donner de noms aux gens dont elle parle) me donnait la permission d’écrire aussi sur moi, sur ma vie.

Quand donc cesserai-je de me comparer, de me chercher des raisons d’être ceci ou cela? À quel âge ou de quelle blessure doit-on guérir pour n’être que soi? Quand donc cesse-t-on de se demander « qui suis-je? »  Peut-être que je ne lis que pour me retrouver, me reconnaître. Et j’écris pour les mêmes raisons.

samedi 3 janvier 2015

Trois auteures pour une lectrice

Parce que je lis, parce que j’écris, parce que j’ai marché une heure — même si j’aurais bien aimé que ce soit en raquettes, au moins en forêt, ma forêt — parce que le silence est revenu après les chansons et les rires, je suis bien. Plus que bien, heureuse, de belle humeur. Plus que « Bonheur du jour », je voudrais trouver un titre plus révélateur de mon état. Une métaphore. Comme Lynda Dion dans son tout nouveau blogue. D’ailleurs cette écrivaine québécoise, c’est ma cerise sur le sundae, l’étoile en haut du sapin de Noël, mon sourire large et reconnaissant.

Le début de ce bonheur-du-jour a commencé fin novembre, dans une librairie. À l’achat de Bad girl de Nancy Huston. Voir billet du 28 >>>. Sauf qu’à la moitié du livre, j’ai dû me faire violence pour arrêter, pour lire des livres de bibliothèque — papier et numérique— délai de trois semaines oblige. J’ai repris le Huston après Noël, l’ai terminé, satisfaite, vaincue. En me pressant un peu parce que je savais — j’espérais— qu’au jour de l’An, Écrire la vie d’Annie Ernaux m’attendrait. Vaincue oui, parce qu’entre le livre et moi, entre la lectrice et l’écrivaine que j’essaie d’être, c’est souvent la bataille. Laquelle gagnerait, laquelle s’avouerait vaincue, laquelle reconnaîtrait que l’auteure n’aurait jamais pu écrire ce que la lectrice est en train de lire, même si elle aurait bien aimé tellement elle se sentit proche de cette écriture, proche du vécu du personnage. Que la lectrice fut tenue en haleine, émue bien souvent, et a réduit l’auteure au silence et à l’admiration. Sans juger, sans critiquer, sans chercher la petite bête noire. Sans non plus se sentir complètement nulle, sans non plus qu’elle soit tellement vaincue qu’elle renonce à jamais à écrire elle-même. Donc, j’ai fini de lire Bad girl, et j’ai même pardonné à Nancy Huston (et/ou son éditeur) ce titre anglais alors que « La mal-aimée » aurait très bien fait l’affaire, selon moi. C’est la seule petite voix qui s’est fait entendre, mais une fois le livre ouvert, pendant qu’elle tournait les pages, qu’elle était ravie de la mise en pages et bien concentrée dans l’histoire de Doritt (bizarrement, j’ai écouté la série La petite Dorrit de Charles Dickens à Radio-Canada entre Noël et le jour de l’An), la petite voix s’est tue, n’a plus rien dit. Conquise.

Alors, quand arrivèrent les mille pages d’Annie Ernaux, la vaisselle, le lavage, le budget furent rapidement expédiés, les émissions de télévision oubliées et la lectrice déjà bouche bée, les mains ouvertes, le cœur prêt à l’abandon se cala dans son fauteuil et partit à la découverte de cette auteure dont elle n’avait lu qu’Une femme et dont elle n'avait gardé — comme il arrive bien trop souvent — qu’un vague souvenir… d’avoir aimé ça.

La lectrice que je suis en était là de son plaisir encore ce matin, après la lecture du chapitre photojournal, après sa marche quotidienne quand sur Facebook, elle vit le nom d’une écrivaine québécoise dont elle a tant aimé les romans. Cherche vainement quand j’en ai parlé. Il est impossible que je n’en ai point dit un mot sur mon blogue. J’ai tellement aimé, me suis identifiée. Grâce à Louise Falstrault, artiste peintre, j’ai connu son père artiste peintre aussi, Eddy Dion. Ingrate. J’ai pourtant parlé d’Hélène Dorion, de Louise Dupré et elle, que j’ai lue à la même époque, au soleil, me semble-t-il, point de traces ? Je me reprends donc: sur Facebook, Lynda Dion, puisque tel est son nom, annonce qu'elle a créé son site et intégré un blogue. Depuis le temps que je cherche des blogues d’auteurs, féminins en plus, et Québécoises. Il y en a peu. Je me précipite, je dévore, je cherche les mots que j’ai aimés dans La maitresse et La dévorante. Je trouve. Différents, mais tout aussi personnels. 

Est-ce moi qui les cherche, est-ce moi qui les réunis, mais dans les mots de Huston, d’Ernaux et de Lynda Dion, le même "je", le même intime, le même personnel. Je ne dirai pas autofiction ni autobiographie, c’est au-delà. N’a plus d’importance de limite, de frontière et encore moins d’étiquette, de classe, de catégorie.

Trois auteures qui me parlent d’elles. Et moi, je suis devant un miroir qui me renvoie ma propre image, devant une plage où je vois mes traces, devant des pages où je me reconnais, devant un calepin où se mêleront des notes de lectures, des mots à écrire, à retenir, à publier peut-être. 

Alors Huston au revoir, au prochain, Annie Ernaux ma joie pour l’hiver et Lynda Dion, chaque fois qu’elle le voudra bien, je vous suis toute reconnaissance de me montrer qui vous êtes pour apprendre qui je suis.