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mardi 22 août 2017

Tous les mots sont cachés dans le Scrabble

Réjean Ducharme, littérature
Pendant que je cherchais une consolation, Réjean Ducharme est décédé.
Les mots virevoltent, se baladent et se moquent de moi.
Indisciplinés et même désobéissants, ils n’en font qu’à leur tête, s’amusent à jouer à cache-cache.
Désordonnés, ils refusent de s’aligner, de se mettre en rang.
Je ne leur demande pourtant pas un roman, ni même un essai, ni même un haïku.
Je ne parviens pas à calmer leurs courses folles ni à faire réagir ceux qui, plus timides, se cachent derrière leurs collègues plus expérimentés.

Ils ont sans doute peur, mes mots. Peur de la colère autant que de la tristesse. Ils ne veulent ni crier ni pleurer. Ni s’apitoyer. Ils refusent de sortir, ils tournent en rond dans leur sac de Scabble, préférant le silence à la confusion.

En lieu et place, ils se trouvent des excuses, des arguments, des faux-fuyants, ils sont allés voir comment d’autres propriétaires de mots s’en sortent. Ils savaient bien que je cherchais une consolation à la déception et au questionnement qu’une certaine lettre de refus avait laissée en moi. Ils savaient qu’ils marchaient sur un terreau vulnérable.
Ils ont trouvé Lettre de consolation à un ami écrivain.

Ils ont lu, ils ont noté :
« écrire entretient les douleurs ce qui permet de les supporter, pas de les effacer […] écrire pour se guérir consiste à gratter ses plaies. »
Non, vraiment, ce n’était pas le temps d’offrir ce livre à quiconque doute déjà de son talent ou de sa place dans le monde des livres. L’auteur, un certain Jean-Michel Delacomtée, complètement inconnu des dieux, des Québécois en tout cas, part d’une bonne intention : consoler un ami écrivain qui vient de décréter qu’il ne publiera plus. Mais pour le convaincre, dans une pédanterie insupportable, il fauche, presqu'autant que cet ami désabusé, tout ce qui est moderne. Pour lui, le monde littéraire, le vrai, le seul digne de mention s’arrête au 18e siècle. Sauf peut-être quelques exceptions comme Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Jean Rouaud, Laurent Mauvignier, Marie Ndiaye, Linda Lê, Marguerite Duras ou Philippe Bordas. Il écorche sans guère de remords Christine Angot, Virginie Despentes, Marc Levy, Annie Ernaux, Éric-Emmanuel Schmitt, Daniel Pennac.
Il juge sévèrement l’autofiction. Pour lui, le littéraire doit avoir une âme, doit être une poésie, doit faire œuvre utile et surtout avoir un style. Le « people », même gagnant de prix, ne trouve aucune valeur à ses yeux.
« On a tort de coiffer du même chapeau les romanciers et les écrivains, cela rapetisse la littérature. Il s’agit de deux ordres distincts. La plupart des romanciers contemporains n’entretiennent aucun rapport avec la définition traditionnelle de ce qu’on appelle un écrivain. Quand on veut définir ce qu’est a littérature et ce que signifie être écrivain, on doit se référer à l’usage de la langue, à la question du style. »
À étaler toutes ses certitudes, le monsieur-écrivain fait bon usage de sa langue et de son style, c’est certain. Mais finalement, ce ne sont que des mots. Des mots qui, comme ceux des romanciers qu’il dénigre, peuvent réjouir ou blesser. Consoler comme c’était son intention au départ, mes mots à moi en doutent fortement.

C’est en me rendant au village en vélo que j’ai compris. Les grands champs, les doryphores et le ciel orageux m'ont dit d'ouvrir le sac de Scrabble, j’ai écouté le silence qui s’installait, et puis tout à coup, j’ai entendu clairement : « Aie! Chose, réveille! »
On est en 2017, tu es peut-être en France, dans cette chère république des lettres qui te rend si nostalgique, mais moi, je vis au Québec, et ma langue évolue. Et ce n’est pas parce que Dany Laferrière est à l’Académie française que je vais élever, comme toi, cette institution sur un piédestal. Je n’ai pas besoin de toi pour me dire ce que vaut la littérature. Eh oui, je te tutoie comme pour te rabaisser à mon niveau, te dire que tu ne vaux pas plus que moi, tu as juste plus de talent pour agencer les lettres sur le plateau de Scrabble! Ça donne plus de points, mais ça ne justifie en rien ta diatribe assassine.

Mais réveille, la littérature, tout comme la langue parlée ou soignée, familière ou soutenue ne sera plus jamais la même. Aussi bien s’y faire et apprendre à l’aimer telle qu’elle veut devenir. Plus tu parles sur le très bien, plus j’ai envie de te parler à l’opposé, juste pour te dire que c’est parler quand même, que c’est s’exprimer quand même. Romancier ou écrivain ou auteur, change le mot si ça peut t’aider, ce n’est pas l’étiquette qui compte, c’est le produit. Toi, tu as voulu exprimer des idées, grand bien te fasse, nous, aujourd’hui, nous voulons exprimer des émotions ou simplement offrir un divertissement, raconter une histoire, fût-elle la nôtre. Les mots servent aussi à cela et ce n’en est pas moins légitime. Tu n’as pas réussi à me faire moins aimer les écrivains cités, juste toi, que je ne lirai plus. Je t’aurais donné raison sur quelques points si tu n’avais pas été de si mauvaise foi et si pontifiant.

Je sais que pour l’argumentation, la rhétorique, comme tout bon québécois qui évite les discussions, qui n’aime pas la chicane, comme tout bon élève qui ne remettait pas en question les dires de ses professeurs, je ne t’arriverai jamais à la cheville, je ne pondrai jamais soixante-treize pages sur la langue d’aujourd’hui ou sur la définition de la littérature. J’ai une voix forte, mais je ne la fais pas entendre ni loin ni longtemps. J’ai le doute trop facile, la nuance subtile et l’assurance au point zéro quand vient le temps des certitudes. Mais moi, au moins, j’essaie d’évoluer.

Comme la nouvelle de la mort Réjean Ducharme est tombée justement pendant que j’écris ces mots, je vais laisser le sac de Scrabble un peu de côté et je vais sortir Dévadé et L’avalée des avalés.
« On vient au monde statue : quelque chose nous a fait et on n’a plus qu’à vivre comme on est. C’est facile. Je suis une statue qui travaille à se changer, qui se sculpte elle-même en quelque chose d’autre. »
En une phrase, Réjean Ducharme vient de me consoler mieux que n’a réussi M. Delacomtée en soixante-treize pages en me montrant que si mes mots pâles, sans surprise, désordonnés ne sont pas au goût des éditeurs, tant pis, au moins, ils seront les miens.
Comme la statue que Bérénice sculpte.

mardi 11 décembre 2012

Vive les librairies indépendantes


Cette photo de Danielle de la Librairie Rose-Marie, Gatineau, secteur Buckingham, tenant mon roman Les Têtes rousses et de moi, Claude Lamarche (à droite, le sourire béat, je ne vous dirai pas pourquoi) a été prise pour un Livremob.

Qu’est-ce qu’un Livremob? Un dérivé d’un Flash mob. Qu’est-ce qu’un Flashmob? Peut-être que j’ai été la dernière à apprendre ce que c’était, mais c’est comme une mobilisation éclair lancée sur Internet.

C’est à la suite de l’affaire Philipp Béha versus les librairies Renaud-Bray (cliquer sur les liens ci-dessous pour de plus amples informations, le blogue de Venise Landry résume et détaille très bien l’affaire) que quelques auteurs — jeunesse surtout — ont décidé d’enclencher le mouvement.

Je ne suis pas d’un naturel batailleur, ma dernière manifestation syndicale date des années 1970, c’est dire. Mais, bien assise dans mon salon, à l’abri du froid ou des cris, j’aime bien l’idée de promouvoir, d’une certaine façon, la littérature québécoise en général et les librairies indépendantes en particulier. 

Donc, le mercredi 13 décembre à 19 heures, comme de nombreux autres auteurs québécois, sur le mur de ma page Facebook, je publierai cette même photo avec le lien vers ma librairie indépendante préférée, celle où on peut encore trouver mon roman Les Têtes rousses, exemplaire papier, et le lien vers Ruedeslibraires où on peut trouver la version numérique.


Pour ceux qui sont sur Facebook: lien vers le LivreMob de ce mercredi

(photos prises par l'auteure)