16 juillet : ma mère aurait eu 89 ans. Ce n’est pas seulement la date qui me fait penser à elle. C’est ma solitude en tant qu’auteure. Bloquée à la page 143 de mon manuscrit, où un personnage qui s’inspire beaucoup de ma mère prend toute la place, je relis le vingt-sixième commentaire noté en marge : « réécrire du point de vue du personnage principal: Léopold ».
Pendant mes études, ma mère m’aidait dans mes devoirs, en anglais surtout, sa force et ma faiblesse. Quand nous avons travaillé en famille au journal La Petite-Nation, ma mère corrigeait les textes. Je la voyais chercher dans le dictionnaire de Dagenais, sa bible d’alors. Je l’entendais discuter d’un mot, d’une expression avec mon père, le journaliste-éditorialiste. Quand j’ai voulu devenir auteure à temps plein, je lui ai soumis tous mes manuscrits qu’elle a annotés consciencieusement. À 82 ans, je lui ai remis une première version de mon roman Les têtes rousses avant sa publication surtout parce que cette histoire concernait ses ancêtres, mais elle a réussi à me trouver plusieurs fautes.
Nous ne discutions jamais de la structure, du plan, du point de vue du narrateur, de la page blanche de tous ces détails qui tracassent un auteur. Seulement des mots, des fautes, des anglicismes, de la syntaxe. Mais je me sentais moins seule.
Quand j’ai écrit la première version des Têtes rousses, j’avais un plan, des liens entre les générations. Avec l’éditeur, il ne fut pas question de cinq ou même trois tomes, seulement un premier avec un seul personnage, quitte à « voir » ses enfants à la fin du roman. Sinon, il y a « trop de noms, il y a une coupure et le lecteur va décrocher » m’a fait comprendre une directrice littéraire. J’ai donc coupé et me suis concentrée sur le personnage principal du début de mon histoire. Mais maintenant que j’en suis à la suite, une sorte de suite, le même problème resurgit : le personnage principal, son point de vue. M’y tenir. Il me revient sans cesse cette remarque : « le lecteur va décrocher ». Même moi, je décroche en relisant, mais ça ne veut pas dire que je sais comment retrouver le droit chemin.
Et personne à côté de moi qui puisse m’aider à débloquer, à régler les problèmes un à un, tout en gardant l’ensemble possible des cinq générations. Ma mère ne le faisait pas de son vivant, mais simplement parce que j’ai vu la date sur le calendrier : 16 juillet, j’ai pensé à elle qui m’aidait tant avec les mots. Et comme c’est son personnage, qui n'est pas le principal, qui veut me parler dans mon manuscrit, qui veut s’imposer, j’ai bien du mal à ne pas le laisser aller. Pour lui faire plaisir, au moins la journée de sa fête.
Un auteur est par principe un orphelin.
(photo de Michelle Deguire, source: Louis-Dominique Lamarche)
(photo de Michelle Deguire, source: Louis-Dominique Lamarche)
Écrire, ça se fait dans la solitude. Même quand tout bouge autour de nous, on est seul dans notre tête, avec notre texte. Mais je comprends fort bien ta nostalgie actuelle. Une mère, surtout quand elle a été présente comme la tienne et qu'elle tient un rôle dans ton histoire, ça ne se remplace pas. Mais tu la fais revivre ici un peu, tu nous la fais connaître! Merci!
RépondreEffacerBonne écriture, ClaudeL.
Merci pour ce beau texte. J'en ai été très touchée.
RépondreEffacerMême avec les réseaux sociaux, les blogues, même si on peut parler avec des ami(e), un(e) conjoint(e), qui parle de telle ou telle difficulté dans son écriture?
RépondreEffacerÀ part quelques minutes avec un animateur d'atelier d'écriture ou un directeur littéraire.
Tu es chanceuse d'avoir pu échanger avec ta mère sur ta passion, même si ce n'était que sur une partie de l'écriture. C'est une belle chose à partager, et savoir que ta mère serait parmi tes premiers lecteurs devait te faire un petit velours (ou te stresser!). N'empêche, comme je comprends qu'elle doit te manquer, en ce moment. Bonne continuation.
RépondreEffacerHélène, oui, j'ai de la chance d'avoir eu des parents intellectuels qui aimaient les livres et les mots.
RépondreEffacerMes parents ne me manquent pas, j'ai vécu ce que j'avais à vivre avec eux. Comme il faut, enfin j'espère. Ce qui ne m'empêche pas d'y penser souvent, comme s'ils étaient encore là, mais sans la maladie des dernières années. Par association d'idées comme des dates ou certaines activités.
Quelle bravoure de résister à la voix de sa mère ! C'est bien évident qu'elle a le goût de s'étendre. Je la laisserais faire. À force que le surmoi chicane l'auteur, on en finit par couper l'énergie. La correction à la fin, jamais en écrivant. En tout cas, c'est mon principe et il vaut ce qu'il vaut. C'est ce que j'ai retenu des cours d'écriture pris avec des auteurs.
RépondreEffacerJ'ai hâte de te lire.
Venise, elle aura droit au chapitre, mais ça reste un personnage secondaire, c'est son père le personnage principal. Le premier jet est terminé, j'en suis à la réécriture.
RépondreEffacerJ'ai fait la même erreur dans Les têtes rousses entre Bridget et sa fille Jenny et on m'a dire qu'il y avait coupure, je devais rester avec la mère jusqu'au bout, tout en parlant de ses enfants bien sûr. Pas facile. Travailler-travailler-travailler.
Et puis, là, son anniversaire est passé!
Bon, encore un billet émouvant. :))
RépondreEffacerC'est toujours un réel plaisir de passer par ici.
Tout comme Julie, je pense qu'écrire est un acte solitaire. Mais dans ton cas, on dirait que la présence de ta mère atténuait un peu cette solitude et que cela favorisait une complicité particulière entre vous deux. Chanceuse, si tel était le cas. ;)
Pendant que j'écrivais, j'étais seule. Ce n'est qu'après, lors d'une avant-dernière correction disons, je faisais comme mon père et lui présentais mes manuscrits.
RépondreEffacerPendant des années, aux Éditions de la Petite-Nation, de toute façon, c'est elle qui était à la photocomposition (avant l'ordinateur auquel elle n'a jamais touché), alors forcément, elle lisait, commentait et on lui donnait l'autorisation de corriger. Elle ne discutait jamais le contenu ni même le style, mais les fautes, la syntaxe. Elle était puriste mais pas sévère.