samedi 2 mai 2020

Choisir la facilité : obéir

Silence apparent ces dernières semaines. Plus facile de se taire que de chercher les mots pour bien exprimer ce que je ressens. Parce que le ressenti est tout croche. Émotif plus que raisonné. Mais Stéphane Laporte me rassure: 
« Ce ne sera pas évident. Parce qu’elle va vouloir rester en dedans. Elle est très possessive, la peur. Elle est contente de nous avoir juste à elle. Elle n’aime pas nous partager. Ça va prendre bien du courage pour la convaincre d’aller dehors. Mais il faut y parvenir. Lui dire qu’elle aura encore son utilité. Pour nous pousser à être prudents. À respecter les consignes. À nous protéger et à protéger les autres.
Nous sommes des millions à avoir peur, depuis des semaines, pourtant, nous n’en parlons pas. On garde ça pour nous. Ça fait faible. Pas sûr. »
J’ai moins honte et je me sens moins coupable de dire la peur. Je m’étais convaincue que ce n’était pas la peur qui me faisait refuser de prendre le risque d’aller plus loin que ma région. Je disais que c’était ma conscience sociale. Mais oui, aussi. Quand même.

Le degré de peur a augmenté avec l’âge. Je suis moins téméraire qu’à 20 ans quand je descendais à toute vitesse la piste Beauchemin au mont Tremblant. Ou quand je conduisais à 134 kilomètres à l’heure sur une autoroute. Ou même quand je buvais quatre bières en deux heures et que je prenais la route.

Le degré de conscience sociale a augmenté probablement en même temps. Je n’ai pas eu d’enfants, mais j’ai eu des parents vieillissants, j’ai côtoyé des malades, j’ai vu des accidents, j’ai voyagé, j’ai comparé, j’ai vu les effets de nos actions sur notre terre.

Est-ce que la peur me paralyse? Oui, mais à quel point?
La peur me fait-elle prendre de mauvaises décisions? Peut-être, mais mauvaises pour qui?
La conscience de la collectivité a-t-elle bon dos? En partie sûrement.

Se demander qui a tort ou qui a raison, ce n’est pas le moment. De toute façon, on a toujours raison pour ce qu’on pense… puisqu’on le pense, peu importe si c’est à partir d’un raisonnement ou d’une émotion.

J’ai 70 ans depuis quelques jours seulement et les interdits sont nombreux.
Combien de temps encore à obéir? Combien de temps encore à convaincre mes proches de rester chez eux?

En fait, je fais ce que j’ai toujours fait : une liste des pour et des contre avant de prendre une décision: quand sortir, où aller, puis-je voir telle ou telle personne, puis-je accepter la visite d’une telle? Chaque fois : en ai-je vraiment besoin? Puis-je tenir le coup encore quelques jours, quelques semaines? Puis-je attendre une permission officielle? Suis-je tentée d'être rebelle parce que je me sens capable d'évaluer les risques? Oui, bien sûr, comme toute personne frustrée.

D’instinct, je serai toujours pour l’obéissance, je serai toujours du côté de l’autorité, des règles. Mes parents ont longtemps décidé pour moi, mais ils m’ont aussi appris à être responsable, à nuancer, à peser le pour et le contre, à penser aux autres.
Obéir, mais je ne suis pas pour autant aveugle ni sourde, ni silencieuse, ce qui ne m’enlève pas le droit de critiquer, de changer d’avis, de prendre quelques risques en défiant l’autorité.

Choisir la facilité, la sécurité, la paix, la tranquillité d’esprit plutôt que l’anxiété à me demander si je suis en tain de mettre la vie de mes proches, de mes co-citoyens, de mes compatriotes en danger. Ai-je vraiment le goût de peut-être avoir à discuter avec un policier, à me demander qui m’a dénoncée? Choisir le respect de la loi plutôt que de privilégier cette liberté si chère à nos cœurs. Quitte à passer pour lâche, pour peureuse, pour anxieuse.
Mais je commence à être à bout d’arguments pour convaincre ceux et celles qui m’entourent, qui veulent me voir, qui veulent sortir. Sous prétexte qu’on n’est pas atteint du virus. Sous prétexte qu’on est en bonne santé, même si on a 70 ans.

Le cœur s’en mêle.
Le cœur physique qui bat la chamade la nuit quand la conscience ne sait plus quoi penser.
Le cœur émotif quand il faut que je dise non à des gens que j’aime. Parler ou me taire? Parce que la peur de ne plus être aimée s’ajoute aux autres inquiétudes. Et parfois, prime. Et parfois mauvaise conseillère, elle aussi.

De savoir que je ne suis pas la seule à affronter de telles questions, un tel dilemme ne me rend pas tellement la chose plus facile. Me battre n’a jamais été naturel chez moi. Même si ce n’est qu’avec des mots.

Oublier un peu tous les empêchements, trouver plutôt les -- quand même-- nombreuses permissions : marcher sur ma rue, nettoyer le terrain, lire, jouer au Candy crush, préparer une soupe à l’oignon gratinée, prendre un apéro avec des ami.e.s via un écran. Rire.

Et se dire bientôt. Sans fixer de date.

3 commentaires:

  1. La facilité? Vraiment? Je trouve au contraire très difficile d’obéir qui n’a rien à voir avec mon petit côté rebelle. Très difficile de me piler sur le coeur pour m’empêcher de voir ceux que j’aime. Très difficile de freiner mon indépendance pour aller dans d’autres régions, que ce soit pour magasiner chez des marchands locaux ou simplement pour m’y promener. Très difficile de mettre mon social sur pause.
    Et la peur dans tout ça? Ne ne crois avoir peur. Du moins, pas pour moi. Pour ma mère, oui. Pour mes amis plus âgés ou ayant des problèmes pulmonaires, oui. Mais pour moi? Des fois oui, des fois non, des fois pas vraiment. Ne ne suis pas brave, je ne suis pas défaitiste. Je suis les consignes sanitaires et la distanciation sociale. Si malgré tout le gros méchant virus m’attrape, et bien, je souhaite faire partie des statistiques des gens qui se sont rétablis.
    Il n’y a rien de mal ou de honteux à dire qu’on a peur. Les enfants le font spontanément.

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  2. Merci de ton commentaire.
    Mais au moins, vous suivez les consignes.

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  3. Est-ce de la peur qui nous fait rester chez nous? Je ne ressens pas de peur, et je n'ai pas l'impression d'obéir, en tout cas pas dans le sens que ce mot avait quand l'ordre venait de nos parents, de nos profs. Ou de la police. Je reste chez moi parce que le bon sens me dit que sans contact, je ne contracterai rien, que sans visite, même le virus se tiendra loin. Question de santé. Exactement comme endosser un imper quand il pleut à torrent, comme ne pas manger un champignon inconnu, comme panser une plaie ouverte pour ne pas qu'elle s'infecte. Je ne me sens ni patiente ni obéissante, ni brimée ni émotive. Simplement logique. Et conséquente.

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