Y a celle qui voudrait s'enfermer quelque part ou rester debout toute la nuit juste pour lire et écrire. Qui finirait par s'assécher par manque de stimulation. Se promener sur le bord de la mer, à regarder ses pieds pour ne pas être déconcentrée, ça ne peut pas durer bien des jours, sans que les idées partent en croisière.
Y a celle qui voudrait être dehors toute la journée, au soleil, juste parce que ça respire mieux, juste parce qu'elle ne se sentirait pas un ours dans sa caverne, un loup dans son terrier. Elle serait ouverte au monde, à la corneille qui se demande si elle va rester encore longtemps, à l'outarde qui s'attarde, à la feuille qui s'accroche à l'arbre, à cette vie vivante qui vole au vent. Elle finit par geler et entre pour en parler.
Y a celle qui se perd dans la vie des autres, à les écouter bavarder, à ne pas être attentive à la grippe H1N1 ni aux effets de serre, ni aux changements à la suite des élections municipales, à perdre patience pour un rien, à être bougon sans savoir pourquoi, par manque de sommeil peut-être, par manque d'intérêt, par frustration, parce qu'elle n'est pas là où elle voudrait être, sans trop savoir où elle voudrait être.
Y a celle qui prendrait (perdrait?) son temps devant sa bibliothèque, à examiner les livres qu'elle lit, puisque, comme plusieurs auteurs, Dany Laferrière a dit à la télévision: "dis-moi ce que tu lis et je te dirai qui tu es". Devant les soeurs Groult, Marie Laberge, Arlette Cousture, Virginia Woolf, Louky Bersianik, Hervé Bazin, Gilbert Cesbron, Colette, Michel Tremblay, y a celle qui cherche, encore à son âge, à savoir qui elle est. Ou plutôt à être qui elle est devenue.
Y a celle qui s'occupe de choses nécessaires comme le ménage, le lavage, le serrage, la pose de lumières de Noël, le raclage, le ramassage d'aiguilles de pin, la préparation des repas. Et qui s'en passerait bien.
Y a celle qui écrit sa vie plutôt que de la vivre. Même qu'elle écrit celle des autres.
C'est peut-être celle que j'aime le plus, avec qui je suis le mieux.
Y a toutes les autres qui me courent après et à qui j'essaie de sourire quand même.
(Photo: un jour de grand vent à Cape Cod, photo de l'auteure)