mardi 19 novembre 2019

42-32

42-32.
Ça pourrait être le titre d’un roman ou d’une nouvelle.
Ce sera… c’est le titre d’un billet de blogue.

Je vis avec une personne qui fait du glaucome depuis des années. Examen annuel, examen du champ de vision. Trois sortes de gouttes depuis une bonne dizaine d’années. Bien contrôlé faut croire. Rien pour l’empêcher de conduire, de voyager, de lire. De vivre normalement. Elle aurait cru que les problèmes seraient plutôt venus du côté de son arthrite psoriasique dont elle souffre depuis plus de trente ans et qui lui gèle les mains dès qu’il fait 0 degrés dehors.

Tellement heureuse de son séjour de quatre mois en Floride l’hiver dernier, elle en voulait cinq cette année. Pour éviter le stress des routes enneigées au nord, pour vivre le plaisir, la vie de groupe, être dehors, chanter, rire, surtout rire, le départ prévu:  le 4 novembre.

En juin, examen annuel chez son ophtalmo de Gatineau (oui, retenir qu’elle est de l’Outaouais, cette région collée sur l’Ontario).
Rendez-vous sera pris en septembre chez un spécialiste du glaucome… à Ottawa.
Ça doit pas être trop grave si ce n’est que dans trois mois, qu’elle se dit.

24 septembre : Ottawa, donc. À 75 minutes de la maison. Examens. Champ de vision 60 %. Plus de noir que de blanc dans l’illustration. Pas fameux. Bonne nouvelle, le nerf optique pas trop atteint. Il faut opérer. Pratiquer une petite ouverture pour que l’humeur aqueuse s’évacue. L’humeur prend une débarque.
— Puis-je partir en Floride et me faire opérer dans six mois?
— Non, pas avant Noël c'est certain, c’est urgent, si on ne fait rien, à votre retour, vous aurez perdu votre œil. En attendant de vous opérer, je vous prescris du Diamox (tout le monde l’appelle Diamant comme si c’était la pilule précieuse, magique qui règle tout).

Mauvaise nouvelle : l’ophtalmologiste se fait taper sur les doigts parce qu’il opère trop de Québécois à l’hôpital Monfort d'Ottawa. Il voudrait bien opérer à Gatineau, mais il faut qu’il renouvelle d’abord sa licence. Donc impossible de fixer une date pour l’opération.
Dès que possible d’ici deux mois. Calcul rapide : 24 octobre, 24 novembre. Trop tard. Elle veut partir début novembre. Ah! si le rendez-vous avait été en juillet, mais voilà, le système public, c'est ça: long de temps, long d'attente, long de doute.

Pas de panique. Tout un mois pour trouver une solution avant de partir.
Elle regarde du côté privé. Cherche et trouve sur Internet. Obtient un rendez-vous rapidement.
Quant au Diamox qui lui donne des effets secondaires, genre confusion (elle se mêle dans les jours, elle répète des phrases qui n’ont jamais été dites, en plus de la fatigue et de la somnolence), la pharmacienne lui obtient une diminution de la dose.

Mercredi 2 octobre : 90 minutes par la 15 quand la circulation est fluide. Quand la circulation est-elle fluide sur la 15? Ou sinon, deux heures par la 40, ville Saint-Laurent, aucune attente. Examens, rencontre avec le spécialiste, explications des traitements : drain dans un, laser dans l’autre. Et oubliez le Diamox. Yé!
Jeudi 3 octobre : opération, pose d’un implant de drainage.
Vendredi 4 octobre : suivi de l’œil gauche et laser dans l’œil droit.
Lundi 7 octobre : le drain a bougé, retour à la salle d’opération.
Mardi 8 octobre : troisième opération, nouvel implant… cette fois c’est réussi.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre.
— Y a des bonnes chances, oui.

Mercredi 9 octobre : suivi, pression trop basse
Jeudi 10 octobre : tout redevient stable
Vendredi 11 octobre : encore stable
Espoir.

Mercredi 16 octobre : la pression a remonté dans un, stable dans l’autre.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre?
— on va voir dans une semaine.

Lundi 21 octobre : humeur aqueuse instable, humeur tout court variable aussi. On change de gouttes.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre?
— Je pars en vacances pour deux semaines, je veux vous voir avant mon départ, on verra alors.

Mercredi 23 octobre, Saint-Lambert (deux heures par la 30). Bien au-dessus du 21 recherché.
— Je ne peux pas vous laisser partir.

Prescription de Diamox (Oui, oui, ce médicament qui la rend confuse et somnolente. Demi-dose alors).
— On se revoit le 13 novembre, à mon retour de vacances.

On fait un x sur le départ du 4 novembre. On averti ami. e. s et famille. On garde le moral, qu’est-ce que c’est dix jours! L’an dernier on était parti le 24 novembre.

Le 7 novembre, il tombe 12 cm de neige. Ouf! pas de rendez-vous.
Matin blanc, matin beau. Belle lumière.
Mais tout de suite, inquiétude : dans l’espoir de partir pour le sud, je n’ai pas fait poser mes pneus d’hiver. Le stress monte d’un cran.
On commence nos bagages. On remplit l'auto. On regarde les conditions routières de l’Ontario et de l’état de New-York. Si on a l’accord du docteur, on vise le jeudi ou le samedi. Les routes devraient être sèches.

Mercredi 13 novembre :
— Ça s’améliore, je veux vous revoir dans deux mois.
— Pourquoi pas cinq mois? Et le Diamox?
— Si ce n’est pas stable, il faudra penser à une autre petite opération.

Alors, avec ce médecin collaborateur et même la technicienne super efficace, on se met à jaser, comparer les gouttes, discuter des problèmes possibles, penser à passer un examen en Floride, trouver un « Eye Center » près de mon RV Resort, prendre l’avion, revenir à Montréal une ou deux semaines.

— Arrêtez le Diamox, essayez ces nouvelles gouttes, et revenez lundi matin avec tous vos bagages, vous pourriez partir de Ville Saint-Laurent…

On distribue (encore) nos au revoir, on assiste à des funérailles d’une amie très chère. On se dit qu’il faut vivre chaque moment. On se dit que le glaucome n’est pas la mort.

Lundi 18 novembre, 11 heures : 42-32.
Mon cœur arrête de battre. Je sais. On part pas.
— Je vais vous opérer à nouveau. Une petite fistule (ouverture) pour que le liquide s’échappe.
On ne pose plus de questions. On ne demande plus combien de temps.

De retour à la maison, on parle, on pleure un peu, on communique (encore) avec nos ami. e. s, ceux et celles déjà rendu. e. s en Floride, ceux et celles du Québec. Par courriel, par Messenger, par téléphone. Mon frère se réjouit : on pourra assister à la fête de dimanche prochain.

On essaie de se convaincre que le bonheur n’est pas qu’en Floride. Qu’on a des ami. e. s aussi au Québec. Qu’on peut rire et chanter aussi au Québec. Même à moins 15!

On marche sur le chemin blanc, on écoute le geai bleu, on regarde les feuilles des hêtres qui s’accrochent.

Demain, mercredi 20 novembre, 8 h 30 : opération
Et ensuite suivi. s.

Hâte d’entendre 21 partout, c'est beau. 
Entendre : on se revoit dans x mois.
Et sinon.
Je suis née dans un pays de quatre saisons, de neige en novembre, de chaleur en juillet. De ciel bleu, de nuages noirs et de grands champs blancs.
Je vis dans un temps où les ami.e.s sont au bout de mes doigts sur le clavier, peu importe qu'il y ait palmiers ou érables.

(Mise à jour: finalement nous sommes parties le vendredi 29 novembre. Nous devions rester jusqu'au 15 avril... mais avec la Covid, nous sommes revenues le 23 mars.)

8 commentaires:

  1. Très bon récit j'ai hâte de lire la fin .Ont vous attends. Claudette

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  2. Oh! C'est triste tout ça. Je pense à vous. Mais qui sait? Peut-être que l'auteure ou la peintre avaient besoin de renouer avec l'hiver?

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    1. Surtout besoin d'apprendre à accepter que la vie n'est pas toujours ce qu'on voudrait qu'elle soit...

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  3. Il ne faut pas désespérer, nous gardons le fort et nos rires pour votre arrivée. De toute façon, le plus beau reste à venir. Et les travaux finis, nous aurons le temps pour la jasette, le vin et les apéros. Puis pour les jeux et les soirées. Amitié. Xx

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    1. Je ne vois ton commentaire que ce matin. Merci pour tout. Y en a qui ont besoin de parler. Y en a qui ont besoin d'écrire. Certains de présence, d'autres de silence.

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  4. Quand la santé nous joue des tours, il faut lui laisser le temps de se refaire et surtout, ne pas lui en vouloir de ne plus être. J'ai bien hâte de vous rencontrer, ici ou ailleurs.

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  5. Ouin, ouin, ouin, c'est la soeur de Pierrôt qui m'a informée de ce contretemps...je sympathise avec vous, vraiment! C'est là qu'on se dit que dans la vie, ça prend de la résilience! Je pense à vous et espère de tout coeur que vous pourrez retourner vivre cette vie de snowbirds que vous avez tant aimée l'an passé!

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