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samedi 27 janvier 2024

26-17

Ce qui devait être, ce qui sera


J’aurais dû être en train de préparer le dernier souper.
Le frigo devrait être quasi vide.
Les bagages déjà dans l’auto.
Le vélo accroché sur son support.
La glacière prête à être remplie.

Je devrais être en train de regarder les conditions routières de l’autoroute 81 : Watertown, Syracuse surtout, Wilkes-Barre. Le cœur battant, hésiter à partir demain. On annonce plus beau lundi.
Je devrais être train de préparer des phrases en anglais pour le dounier de Lansdowne, en Ontario, mais aussi voir plus loin, voir notre arrivée à Myrtle Beach. Voir notre hôtel et surtout le balcon.

Un balcon avec vue sur la mer.
Un balcon où je lirais mon cadeau de Noël : Inventer le désir de Camille Laurens.

Oui, jusqu’à mardi dernier, c’était ça : passer deux mois à Myrtle Beach, à marcher sur la plage, pédaler sur le boardwalk, manger des fruits de mer, photographier les oiseaux des mers et les aussi fabuleux que célèbres levers de soleil, et... bien sûr, lire sur le balcon.

Je suis plutôt à attendre que le cassoulet soit cuit à point.
À voir le ciel gris et brumeux, les arbres un peu givrés.
À croire que le grand champ blanc vaut bien la longue plage de sable blond.
À chercher comme un chien ou un chat le meilleur coin où faire mon nid, faire ma couche pour les deux prochains mois et à le lire ce fameux livre de Camille Laurens.

Et surtout... à être heureuse, tellement heureuse d’être ici, de rester chez nous.
De penser à demain où, au lieu de stresser en pensant à la douane, j’écrirai un texte qui raconte mon village. Ce village qui, il y a 350 ans, lors de la naissance de la seigneurie de la Petite-Nation, n’avait pas encore de nom. Oui, je veux en parler de ce village où j'habite depuis plus de 50 ans, qu’il soit nommé, qu’il ne soit pas oublié. Mieux encore, qu’il soit aimé.

Mardi dernier, jour semblable au 19 novembre 2019, quand je titrais le billet de blogue : 42-32. Cette fois, je pourrais écrire 26-17. Je vis toujours avec cette personne dont le glaucome joue au yoyo. Cette fois, l’œil gauche. À 26, c’était trop instable pour une greffe de cornée. À 17, ça pourra aller, faut croire. Mardi dernier donc, l’ophtalmologiste l’a inscrite en priorité pour une greffe de cornée. Sa troisième. Deux pour l’œil droit et cette fois, l’œil gauche.

Le choix n’était pas difficile : on ne part plus. Les yeux d’abord.
Soulagement. Autant en 2019, c’était l’enthousiasme d’enfin partir après deux mois d’opérations, de suivis, autant cette fois, c’est le soulagement de rester.

Et puis, quatre ans plus tard, ce n’est plus le même emballement. Depuis qu’on voyage, on a vu Myrtle Beach huit fois, la Floride sept fois. On n’a plus de véhicule récréatif. Le vélo... bof! Le fleuve de mai à octobre, c’est très bien aussi. Et puis, j’aime bien l’hiver, moi! Bref, les deux mois prochains, je surveillerai les conditions routières des autoroutes québécoises pour conduire Louise à ses rendez-vous médicaux... et c’est dans une chaise berceuse, bien au chaud, que je lirai Camille Laurens.

mardi 19 novembre 2019

42-32

42-32.
Ça pourrait être le titre d’un roman ou d’une nouvelle.
Ce sera… c’est le titre d’un billet de blogue.

Je vis avec une personne qui fait du glaucome depuis des années. Examen annuel, examen du champ de vision. Trois sortes de gouttes depuis une bonne dizaine d’années. Bien contrôlé faut croire. Rien pour l’empêcher de conduire, de voyager, de lire. De vivre normalement. Elle aurait cru que les problèmes seraient plutôt venus du côté de son arthrite psoriasique dont elle souffre depuis plus de trente ans et qui lui gèle les mains dès qu’il fait 0 degrés dehors.

Tellement heureuse de son séjour de quatre mois en Floride l’hiver dernier, elle en voulait cinq cette année. Pour éviter le stress des routes enneigées au nord, pour vivre le plaisir, la vie de groupe, être dehors, chanter, rire, surtout rire, le départ prévu:  le 4 novembre.

En juin, examen annuel chez son ophtalmo de Gatineau (oui, retenir qu’elle est de l’Outaouais, cette région collée sur l’Ontario).
Rendez-vous sera pris en septembre chez un spécialiste du glaucome… à Ottawa.
Ça doit pas être trop grave si ce n’est que dans trois mois, qu’elle se dit.

24 septembre : Ottawa, donc. À 75 minutes de la maison. Examens. Champ de vision 60 %. Plus de noir que de blanc dans l’illustration. Pas fameux. Bonne nouvelle, le nerf optique pas trop atteint. Il faut opérer. Pratiquer une petite ouverture pour que l’humeur aqueuse s’évacue. L’humeur prend une débarque.
— Puis-je partir en Floride et me faire opérer dans six mois?
— Non, pas avant Noël c'est certain, c’est urgent, si on ne fait rien, à votre retour, vous aurez perdu votre œil. En attendant de vous opérer, je vous prescris du Diamox (tout le monde l’appelle Diamant comme si c’était la pilule précieuse, magique qui règle tout).

Mauvaise nouvelle : l’ophtalmologiste se fait taper sur les doigts parce qu’il opère trop de Québécois à l’hôpital Monfort d'Ottawa. Il voudrait bien opérer à Gatineau, mais il faut qu’il renouvelle d’abord sa licence. Donc impossible de fixer une date pour l’opération.
Dès que possible d’ici deux mois. Calcul rapide : 24 octobre, 24 novembre. Trop tard. Elle veut partir début novembre. Ah! si le rendez-vous avait été en juillet, mais voilà, le système public, c'est ça: long de temps, long d'attente, long de doute.

Pas de panique. Tout un mois pour trouver une solution avant de partir.
Elle regarde du côté privé. Cherche et trouve sur Internet. Obtient un rendez-vous rapidement.
Quant au Diamox qui lui donne des effets secondaires, genre confusion (elle se mêle dans les jours, elle répète des phrases qui n’ont jamais été dites, en plus de la fatigue et de la somnolence), la pharmacienne lui obtient une diminution de la dose.

Mercredi 2 octobre : 90 minutes par la 15 quand la circulation est fluide. Quand la circulation est-elle fluide sur la 15? Ou sinon, deux heures par la 40, ville Saint-Laurent, aucune attente. Examens, rencontre avec le spécialiste, explications des traitements : drain dans un, laser dans l’autre. Et oubliez le Diamox. Yé!
Jeudi 3 octobre : opération, pose d’un implant de drainage.
Vendredi 4 octobre : suivi de l’œil gauche et laser dans l’œil droit.
Lundi 7 octobre : le drain a bougé, retour à la salle d’opération.
Mardi 8 octobre : troisième opération, nouvel implant… cette fois c’est réussi.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre.
— Y a des bonnes chances, oui.

Mercredi 9 octobre : suivi, pression trop basse
Jeudi 10 octobre : tout redevient stable
Vendredi 11 octobre : encore stable
Espoir.

Mercredi 16 octobre : la pression a remonté dans un, stable dans l’autre.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre?
— on va voir dans une semaine.

Lundi 21 octobre : humeur aqueuse instable, humeur tout court variable aussi. On change de gouttes.
— Pourrai-je partir pour la Floride début novembre?
— Je pars en vacances pour deux semaines, je veux vous voir avant mon départ, on verra alors.

Mercredi 23 octobre, Saint-Lambert (deux heures par la 30). Bien au-dessus du 21 recherché.
— Je ne peux pas vous laisser partir.

Prescription de Diamox (Oui, oui, ce médicament qui la rend confuse et somnolente. Demi-dose alors).
— On se revoit le 13 novembre, à mon retour de vacances.

On fait un x sur le départ du 4 novembre. On averti ami. e. s et famille. On garde le moral, qu’est-ce que c’est dix jours! L’an dernier on était parti le 24 novembre.

Le 7 novembre, il tombe 12 cm de neige. Ouf! pas de rendez-vous.
Matin blanc, matin beau. Belle lumière.
Mais tout de suite, inquiétude : dans l’espoir de partir pour le sud, je n’ai pas fait poser mes pneus d’hiver. Le stress monte d’un cran.
On commence nos bagages. On remplit l'auto. On regarde les conditions routières de l’Ontario et de l’état de New-York. Si on a l’accord du docteur, on vise le jeudi ou le samedi. Les routes devraient être sèches.

Mercredi 13 novembre :
— Ça s’améliore, je veux vous revoir dans deux mois.
— Pourquoi pas cinq mois? Et le Diamox?
— Si ce n’est pas stable, il faudra penser à une autre petite opération.

Alors, avec ce médecin collaborateur et même la technicienne super efficace, on se met à jaser, comparer les gouttes, discuter des problèmes possibles, penser à passer un examen en Floride, trouver un « Eye Center » près de mon RV Resort, prendre l’avion, revenir à Montréal une ou deux semaines.

— Arrêtez le Diamox, essayez ces nouvelles gouttes, et revenez lundi matin avec tous vos bagages, vous pourriez partir de Ville Saint-Laurent…

On distribue (encore) nos au revoir, on assiste à des funérailles d’une amie très chère. On se dit qu’il faut vivre chaque moment. On se dit que le glaucome n’est pas la mort.

Lundi 18 novembre, 11 heures : 42-32.
Mon cœur arrête de battre. Je sais. On part pas.
— Je vais vous opérer à nouveau. Une petite fistule (ouverture) pour que le liquide s’échappe.
On ne pose plus de questions. On ne demande plus combien de temps.

De retour à la maison, on parle, on pleure un peu, on communique (encore) avec nos ami. e. s, ceux et celles déjà rendu. e. s en Floride, ceux et celles du Québec. Par courriel, par Messenger, par téléphone. Mon frère se réjouit : on pourra assister à la fête de dimanche prochain.

On essaie de se convaincre que le bonheur n’est pas qu’en Floride. Qu’on a des ami. e. s aussi au Québec. Qu’on peut rire et chanter aussi au Québec. Même à moins 15!

On marche sur le chemin blanc, on écoute le geai bleu, on regarde les feuilles des hêtres qui s’accrochent.

Demain, mercredi 20 novembre, 8 h 30 : opération
Et ensuite suivi. s.

Hâte d’entendre 21 partout, c'est beau. 
Entendre : on se revoit dans x mois.
Et sinon.
Je suis née dans un pays de quatre saisons, de neige en novembre, de chaleur en juillet. De ciel bleu, de nuages noirs et de grands champs blancs.
Je vis dans un temps où les ami.e.s sont au bout de mes doigts sur le clavier, peu importe qu'il y ait palmiers ou érables.

(Mise à jour: finalement nous sommes parties le vendredi 29 novembre. Nous devions rester jusqu'au 15 avril... mais avec la Covid, nous sommes revenues le 23 mars.)