Un dimanche sans raquettes. Trop froid. Surtout trop venteux. Alors, écrire, corriger. Et pendant les pauses, question de prendre du recul, lire Le désert mauve de Nicole Brossard.
Je m’améliore : je suis capable de lire, d’admirer, d’aimer, sans être ravagée d’envie, sans tomber dans la mésestime de l’auteure que j’essaie d’être. Je sais, chaque fois, je me dis que je ne devrais pas lire pendant l’écriture , ni la réécriture, ni la révision. Mais voilà, une journée sans sortir m’offre d’autres possibilités durant mes pauses. Et aujourd'hui, c'est tout beau, question lecture. Plus que beau.
« Pourtant la nuit. » Oui, il y a bien un point, donc c’est une phrase.
« Le désert boit tout. La ferveur, la solitude. »
« La nuit ! Oui, j’ai vu l’aube. Souvent. »
J’aurais dit une écriture du 21e siècle, pas de 1987. Alors avant-gardiste, précurseure, madame Brossard.
Des phrases courtes, qui, parfois, ne semblent avoir aucun lien. Pourtant, comme une chaîne aux maillons entrelacés. Un noir, un blanc, un bleu, un vert et on répète et on insiste. Les chaînes s'enchaînent. Exemple ? « Un homme vient s’asseoir près d’elles. Il entame la conversation en français. L’homme est mince. […] Je ne comprends pas ce qu’il dit. Elles rient. Il se lève et se dirige vers le bar. La lumière est vive. »
Un livre comme je les aime : sans histoire évidente, sans dialogues, presque sans intrigue. Où je n’ai absolument pas le besoin d’aller voir la fin parce qu’il n’y a ni questions ni réponses. Le bonheur est dans la lecture de chaque phrase, de chaque chapitre. Pour la musique. Que du bonheur du mot présent.
Sous prétexte de préface, aux allures d’étude universitaire, les dix-neuf premières pages de l’édition Typo rend hommage à ce livre, l’explique, le décortique, le résume. J’avais trop hâte de lire le livre, alors j’ai lu en diagonale. De toute façon, même étudiante, je n’ai jamais disserté de la sorte et je ne lis jamais avec ma tête qui cherche à circonscrire un sujet, quel qu’il soit. Je lis avec mon vécu émotif.
Et pour Le désert mauve, je me laisse bercer par le rythme. Et je jouis de lire pareil texte. Fascination pour cette auteure. Pourtant à cent lieues de mon univers littéraire, parce que je ne suis pas friande de poésie à laquelle elle est identifiée. Ne m’y sens pas à l’aise, ne m’attire pas. Comme la musique contemporaine de Jean Papineau-Couture ou les tableaux de Marcel Barbeau. Même si, à l’occasion, j’aime bien un Jean-Pierre Lafrance.
L’œuvre et la vie de Nicole Brossard m’attirent… depuis quarante-six ans, simplement parce qu’un certain été, nous avons partagé une baie, un lac. Et c’est à elle, à elle seulement, que j’ai osé montrer mon premier roman. Peut-être a-t-elle oublié, elle a sûrement oublié. Mais moi, pas.
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