J’aime lire des biographies, je l’ai déjà dit. Et comme il est suggéré aux écrivains d’écrire ce qu’ils aiment lire, raconter la vie des gens m’attire toujours autant. Je l’ai fait dans des reportages journalistiques, je l’ai fait dans un récit sur mon père. Je pense avoir réussi pour mes ancêtres irlandais, mais là pour le prochain, je suis confrontée à des choix difficiles. Probablement par pure paresse intellectuelle, au fil des années, je me suis fait un ancrage en me disant que je n’avais pas d’imagination, alors je pars de personnes qui ont existé, elles m’offrent une base de départ : visage, cheveux, dates de naissance et de décès, adresses de maison et même leurs prénoms et noms. Ça pouvait paraître une bonne idée quand mon histoire se situait dans les années 1850-1900, je pouvais bien faire vivre ce que je voulais à mes personnages, personne ne viendrait me dire qu’ils n’ont pas éprouvé ceci ou cela.
Benjamin, Philéas et Léo Deguire |
Mais une fois dans les années 1900-1950, à l’époque de mes grands-parents? Les historiens pourront mettre en doute mes écrits au sujet des événements ou des lieux, mais pourtant ce n’est pas cette réalité qui me fait peur. Je cherche et vérifie tout ce que je peux et si je doute de l’exactitude des faits, je n’en parle tout simplement pas. Non, la réalité qui m’effraie et me fait hésiter dans le choix des scènes, ce sont les personnalités, les caractères. Dans un roman, contrairement à une biographie ou un article de journal, l’éditeur insiste (parce que moi, je me contenterais bien d’un récit linéaire, des histoires d’amour et des petits drames quotidiens qui ont jalonné leur existence), il faut un conflit, donc des méchants et des bons, des doux et des durs, des surprises.
Dès le début de l’écriture de cette sorte de suite aux Têtes rousses, je me suis sentie plus libre en changeant la plupart des prénoms des personnes qui, très tôt dans l’histoire, sont devenues des personnages, mais ce ne fut pas suffisant. J’ai attendu que leurs visages se métamorphosent, que je ne voie plus les photographies que ma grand-tante avait précieusement conservées. J’en suis à la page 75 de la nième version et leurs visages sont toujours les mêmes dans ma tête. Hélas! Au final, ce n’est plus du tout l’histoire de mes grands-parents dont j’ai tout de même gardé le patronyme parce que je le trouve beau et riche d'histoire. Ni leur vie, ni leur personnalité, ni leurs gestes. Il ne reste à peu près que leurs dates de naissance et de mort. Mais pourquoi donc, est-ce que je me sens coupable de trahir leur mémoire? Je me sens coupable de faire croire à leurs descendants que telle a été leur vie. Même si j’en ai parlé à ma cousine qui me donne l’autorisation de déformer la réalité — réalité qu’elle n’a pas connue puisqu’elle n’a pas vécu au Canada à l’époque des faits —, j’ai toujours ce tiraillement dans ma tête entre le vrai du faux. Comme si je ternissais leur réputation. Pourquoi me suis-je embarquée dans cette galère?
En exergue, j’ai déjà cité Simone de Beauvoir : « La littérature ne soutient avec la vérité que d’incertains rapports » et Jean-Guy Paquin également : « J’aime aller à la rencontre de ce qui veut exister », mais est-ce que, de là-haut, mon grand-père et tous les membres de sa famille, vont me lire et me comprendre?
Évidemment si tu crois qu'il y a un là-haut...
RépondreEffacerY'a ça! Ils sont peut-être en-bas?
RépondreEffacerC'est fou, hein?
L'art en général, et donc la littérature aussi, propose du réel que le lecteur reconstruit avec ce qu'il est, ce qu'il vit, ce qu'il croit. Mettre en fiction des personnages dont on s'inspire n'est pas trahir, c'est leur permettre de donner à voir ce que parfois même l'auteur ne voit pas. Le lecteur recrée son réel avec ce qui lui est donné. Quand le personnage devient plus précis lors de la création, il est maitre de lui et l'auteur ne peut dire n'importe quoi: ce personnage vit. Et cette vie nouvelle apporte du... nouveau au lecteur. Ché pas du tout si je suis claire... j'exprime un sentiment...
RépondreEffacerBref, j'ai votre bénédiction pour continuer mes doux et pieux... mensonges! En fait, ce ne sont pas des mensonges, puisque je ne connais pas la vérité. Donc, douces et pieuses inventions!
RépondreEffacerOn dirait qu'il y a confusion, dans ton esprit, à propos du mandat initial. Est-ce un roman ou une biographie que tu écris ?
RépondreEffacerJe prends la liberté de répondre pour toi : un roman.
Donc, c'est autre chose qu'un simple récit de détails et de faits historiques, oui ? Oui.
Dans ce cas, à mon humble avis, tu n'as pas le choix, tu dois te servir de ton imagination (et tu en as) pour inventer ce que ça prend pour satisfaire tes lecteurs ! Ce ne sera pas des mensonges sauf si ton ouvrage se prétend être une biographie.
Me semble, d'ailleurs, qu'on voit souvent ça, une petite note de l'auteur qui dit que son roman est inspiré de faits réels qui ont ensuite été largement romancés. M'enfin, si ça peut t'être utile, tu as ma bénédiction pour mentir. LOL
Ah! Sylvie! Si on t'avait pas...
RépondreEffacerMerci pour le sourire que tu me rends.
Merci pour la bénédiction.
Alors, je vais faire ma méchante: j'enterre toutes les photos de vraies personnes, je brûle toutes les photos des maisons existantes et je m'en vais dans l'imaginaire, débusquer ces personnages qui veulent bien me raconter leurs bons et mauvais coups.
Tu vois, j'oscille constamment sur le même fil avec ma série historique : il y a les faits, il y a l'intrigue que je veux mener, des fois ça se croise, mais pas toujours...
RépondreEffacerAlors, oui, il faut accepter de mentir. Faut juste avoir l'honnêteté de l'admettre (et non pas, comme un certain Dan Brown tenter de faire passer nos inventions pour des faits). Et il faut se dire que les personnages réels qui nous ont inspirés seront fiers, s'ils sont en position de nous lire, de simplement nous avoir servi d'inspiration.
Comme dirait ma grand-mère "les os leur font pu mal" de toute façon! ;)
"J'aime".
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