vendredi 22 avril 2016

Je suis brune

Qui n’a pas eu de petit cahier noir dans lequel on couchait les mots dans l’urgence de dire l’émotion? Parfois en prose comme un journal intime, parfois en lignes courtes qu’on se targuait de nommer poème. On se croyait auteur en herbe, mieux encore, futur poète. On s’attendrissait à lire Rimbaud. On croyait comprendre les textes d’Aragon. On apprenait par cœur du Prévert.

Et on continuait de noircir des pages lignées. 

J’ai cessé d’acheter et de remplir de ces petits cahiers noirs quand, en 1969, j’ai rencontré Nicole Brossard.

En lisant Aube à la saison, j’ai su que je ne serai jamais poète. Pire, que ce ne serait pas mes lectures préférées. Même après trois lectures de ses poèmes, je ne « voyais » pas l’histoire, je ne saisissais pas le sens et je butais sur la typographie. J’aurais pu au moins admirer le style, aimer les mots, la musique. Même pas. Bon, si un peu, pour certains poèmes. 
sur ma prunelle
je veux des nuages effilés de bras
je veux des flots d’azur frappés sur le hublot de mes songes
je veux la plaine des  jours
tirée comme une joie
au cœur de mon paysage

J’aimais les livres, j’aimais les mots. Je lisais tout Tchekhov, je lisais tous les Spirou, je lisais des lettres, des journaux, des essais, mais à part les auteurs «obligés», je ne lisais plus de poésie.

J’avais honte mais je n’étais pas du genre d’élève à me forcer en espérant qu’à force de lecture, je comprendrais. J’étais prose probablement comme on est brune: ça ne se commande pas.

Mais voilà que, près de cinquante ans plus tard, je jette encore un coup d’œil, comme on essaie de goûter à un légume qu’on détestait dans son enfance. Et si j’allais aimer?

Aussi, par curiosité de Nicole Brossard, j’ai fouillé dans ma bibliothèque et j’ai trouvé Le Centre blanc que l’auteure avait dédicacé à mon père en 1980, et j’ai emprunté Les femmes rapaillées dans lequel je n’ai reconnu que trois noms : Nicole Brossard, Hélène Dorion et Louise Dupré. 

Il faut beaucoup de phrases pour arriver à exister. Il faut parfois même les traduire et ce n’est pas simple car ça passe par l’estomac, l’haleine des mots, le type de salive qu’elles sécrètent dans une langue et pas dans l’autre.
Nicole Brossard
Le voyage dure encore,
Qui me mène au commencement de moi-même,
Et la traversée ne connait aucun port.

Hélène Dorion
un regard, un seul
regard
autour de toi

et te voilà pénétrée
par la douleur
des femmes

Louise Dupré
Je comprends mieux qu’à vingt ans, j’admire encore plus, j'essaie de retenir les noms, mais je ne peux pas dire que j’aime parce que ça ne m’émeut pas. Et je n’ai plus honte d’être seulement brune (quoique c’est une image parce que je suis plutôt grise!)

Tout de même, je me suis inscrite pour le brunch du 1er mai au Centre d’action culturelle. J’irai écouter Claude Larouche, qui se dit « passeur de beauté » nous lire des textes poétiques de chansonniers québécois tels Gilles Vigneault et Félix Leclerc, mais aussi des poèmes de Baudelaire, Rimbaud et Aragon.

Lien vers La matinée de poésie>>>

3 commentaires:

  1. Je lis trop peu de poésie... Pourtant, j'aime celle de Miron, d'Anne Hébert, de son cousin, de Marie Uguay. J'aime aussi celle d'Éluard. Je me laisse glisser sur les flots de leurs mots et je pars dans un ailleurs couleur orange...

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  2. Je pense que nous sommes tous et toutes dans le même cas, sauf peut-être les auteurs de poésie.

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  3. La poésie à l'ancienne, rhymée ou rythmée par des règles me fait tripper par la virtuosité qu'elle demande.

    La poésie moderne, qui aligne des mots sans trop qu'on sache pourquoi, je suis comme toi : elle me laisse froide.

    Moi aussi j'en viens à croire que la poésie est faite pour et par les poètes!

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