Au Salon du livre de l'Outaouais 2016 (emprunt au site http://matv.ca/) |
La ronde des Salons du livre se poursuit. Mi-avril, celui de Québec. Ronde, tournée, tourner en rond, ronde folle, y aller ou non. Jouer le jeu ou non. Le monde du livre est un jeu de hasard. Comme gagner à la loterie.
Rien à voir avec écrire.
Un jeu pour les grands. Les grands éditeurs, les grands auteurs. Grands dans le sens de gros, de connus, de ceux qui ont les moyens. Pour leur assurer une certaine visibilité ou présence, les petits éditeurs se rabattent sur le distributeur, comme Prologue. Les auteurs moins connus investissent de leur poche pour se payer l’hôtel, les repas, l’essence. D’autres ne jouent plus. Fréquentent plutôt les bibliothèques, donnent des conférences à des groupes ciblés, se rendent dans des expositions régionales. Ou restent chez eux.
Rien à voir avec écrire.
Parce que ceux qui écrivent, ce qu’ils veulent, eux, c’est écrire. Mais ce qui les épuise bien souvent c’est d’attendre, d’espérer. Attendre après l’éditeur, après l’acceptation de leur manuscrit. Espérer être découvert, être aimé, être lu, être vu. Et ils voudraient bien en vivre, ne faire que ça, parce qu’ils aiment ça, écrire. Le reste, c’est du social, du collatéral, du promotionnel. Quelques-uns voudraient bien être comme Elena Ferrante qui a dit à son éditeur : « De tous vos écrivains, je serai celle qui vous importunera le moins. Je vous épargnerai jusqu’à ma présence. » Mais ici au Québec, nos livres peuvent-ils être lus si l'auteur reste chez lui?
Je connais des auteurs qui jouent autrement. Et qui, en apparence du moins parce que sait-on jamais s’ils ne se sont tout simplement pas résignés à emprunter cette voie, faute de rouler sur l’autoroute — pourtant raboteuse comme toutes les routes — majeure de l’édition.
Certains, des plus jeunes, s’aventurent dans le numérique, dans le epub, ils sont à l’aise avec les logiciels et l’Internet. D’autres, des plus vieux, se sont frayé un autre chemin dans cet univers aux multiples avenues.
Le 30 avril j’assisterai au lancement d’un livre. Lors de la petite fête, tout aura l’air d’un lancement ordinaire : des invités, des amis, d’anciens collègues professeurs. Il y aura des fleurs, du vin et des petites bouchées, peut-être. Et surtout, un livre à fait normal : ISBN en page 4 ou 6, couverture soignée, reliure allemande, imprimé chez un professionnel.
On a pu ou pourra voir l’auteure au Salon du livre de l’Outaouais parce que l’auteure est membre de l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais.
Mais tout de même ce sera différent des autres événements du genre.
Un, l’auteure a 86 ans.
Deux, c’est un livre autoédité.
Trois, le lancement ne se fait ni dans une bibliothèque ni dans un restaurant ni dans un Centre culturel, mais à sa résidence de personnes autonomes.
Le livre ne sera pas en librairie, quoique l’auteure réussira sûrement à convaincre quelques libraires indépendants de mettre son livre sur les tablettes. Peut-être même plus longtemps que le trois mois habituel. Mais pas dans toutes les librairies du Québec parce que le livre n’est pas publié chez un éditeur reconnu.
L’auteure aura tout payé : le montage, l’imprimerie, la livraison, les affiches. Elle aura tout orchestré du début à la fin. Elle aura demandé à une amie de faire le montage, à d’autres d’écrire des présentations, aura fait imprimer son livre, aura été le chercher à l’imprimerie, aura envoyé des communiqués de presse aux journaux de la région, aura eu une belle couverture dans l’hebdomadaire régional. Elle ira porter son trésor dans quelques librairies, aura envoyé des courriels, lancé les invitations. Et au final, les huit livres écrits dans les quinze dernières années lui rapporteront probablement plus que les deux ou trois publiés chez un éditeur reconnu, parce qu’elle a un bon réseau parce que si elle a eu toutes les dépenses, elle aura eu aussi tous les revenus.
Elle sera fatiguée, mais fière. Heureuse d’avoir publié son huitième livre, tous autoédités. Heureuse d’écrire encore, de publier encore, de réaliser ses rêves, d’avoir des lecteurs et lectrices. Combien? Qu’importe, l’important pour elle c’est d’écrire, de laisser sa trace, de raconter ce qu’elle a vécu à ses enfants et petits-enfants.
Et moi, je suis heureuse de la connaître, elle me rappelle sans cesse que point n’est besoin de jouer dans la cour des grands, de courir après tous les Salons, de vouloir son nom dans tous les médias, de voir son visage sur de grandes affiches. De toujours vouloir plus : après la famille, le village, après la région, la province, puis la France et les traductions, les voyages en Europe, la télévision, le monde entier.
Rien à voir avec l’écriture finalement.
À chacun son parcours, mais le mien ressemble de plus en plus à celui de mon amie de 86 ans : je laisserai ma trace. Qu’importe la profondeur du sillon, qu’importe le temps qu’elle restera visible.
Beau texte.
RépondreEffacerJe sens une émotion indicible, comme si j'étais impliquée ou aurait dû être impliquée.
Je me sens comme un peu lâche.
RépondreEffacerEt il y a les lecteurs qui ont aimé les livres et aussi l'auteur au hasard des rencontres personnels.
Ce qui fait que Marie-Andrée a soumis tes livres à son club de lecture, et demandé à notre blblio de faire venir tes livres. Un petit pas dans l'univers.....mais un pas quand même...
Tu ne t'es pas vu indirectement visée, toujours? Je ne connais pas suffisamment ton parcours pour l'avoir pensé.
RépondreEffacerComment ça, lâche? Ça t'appartient bien sûr, mais tu veux dire que tu aurais pu agir différemment? Allez, tu as choisis ta voie, ne retiens que le meilleur.
Je ne peux commenter car je ne suis pas écrivaine... Je lne peux que lever mon chapeau à la passion de l'écriture... Merci pour ce beau texte...
RépondreEffacerLe beau-frère: oui c'est ainsi que le livre fait son chemin et que l'auteur-e peut continuer le sien. Merci encore d'avoir croisé le mien.
RépondreEffacerMadame lit: J'aime bien montrer les différentes avenues que les écrivains empruntent. On sait si peu parfois des chemins des autres, surtout les moins visibles.